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Chapitre 2 : Cadre théorique et conceptuel

2.3 Les femmes et les religions contemporaines

2.3.3 Les femmes et le pentecôtisme

Déjà très tôt dans l’histoire du pentecôtisme, un déséquilibre était observé entre le nombre de femmes et d’hommes. Barfoot et Sheppard (1980) affirment que dans les congrégations américaines en 1936, le nombre de femmes était souvent le double du nombre d’hommes. La littérature s’intéressant aux femmes au sein du pentecôtisme traite amplement du paradoxe selon lequel les femmes se convertissent en grand nombre à cette religion pourtant très conservatrice au niveau de sa doctrine et de ses valeurs (Woodhead 2012, Brusco 2010, Alexander et Young 2009). En effet, ce mouvement prescrit entre autres aux femmes de demeurer « soumises » aux hommes en plus de renforcer les rôles primaires d’épouse et de mère. Par exemple, Gill (1990), ayant réalisé des études auprès des communautés pentecôtistes de La Paz, affirme que selon la mentalité pentecôtiste, l’homme est à la tête de la maisonnée, l’homme pense également plus, donc il doit faire plus. Il est donc enseigné aux femmes de se soumettre

à l’autorité de leur mari et à leurs responsabilités de mère. Les pasteurs clament que les femmes doivent être contrôlées et surveillées, car elles sont plus faibles et peuvent tomber plus facilement sous l’emprise de Satan47. Beaucage et Ducos (2007) qui ont travaillé avec des

communautés pentecôtistes autochtones au Guatemala ajoutent que les églises pentecôtistes de leur étude mettaient l’accent sur la virginité des célibataires et la fidélité dans les couples. De plus, si au premier regard le pentecôtisme défie le patriarcat en offrant des rôles spirituels aux femmes plus élargis, soit comme guérisseuses, pasteures et prophètes, lorsque les femmes prêchent, leur autorité pastorale est bien souvent dévalorisée en plus d’avoir très peu accès aux rôles administratifs. Les limites des rôles des femmes ainsi que les possibilités de pastorats et de rôles administratifs dépendent réellement des congrégations et des églises pentecôtistes (Ambrose 2010, Brusco 2010, Lawless 2003, Scott 1994, Alexeter et Yong 2009)48. Mapuranga

(2013) examine l’émergence de leaders pentecôtistes féminins au Zimbabwe en adoptant un point de vue assez critique. Elle souligne que bien que les femmes pentecôtistes au Zimbabwe aient maintenant accès à des postes hauts placés dans la hiérarchie pentecôtiste, ces femmes ne promeuvent pas nécessairement les droits des femmes et ne tentent pas de détruire les valeurs patriarcales associées au mouvement ainsi que les visions traditionnelles du rôle des genres du Zimbabwe. Elle ajoute que ces femmes sont souvent mariées à des fondateurs d’églises pentecôtistes qui acceptent que leurs femmes dirigent certaines parties de l’église à condition de respecter les valeurs qu’ils imposent. Stevenson (2011) partage ce point de vue critique en expliquant que dans la plupart des congrégations, l’autorité ministérielle a été donnée aux femmes, mais ce n’est pas le cas de l’autorité gouvernante.

47 Pour plus d’informations sur les extraits de la Bible desquels sont issus ces interprétations, veuillez consulter le

livre de Warrington (2008) Pentecostal Theology: A Theology of Encounter.

48 Selon Barfoot et Shepard (1980), il y avait davantage d’opportunités pour les femmes de devenir pasteures aux

débuts du pentecôtisme, car l’accent était mis sur les capacités de prophétie ainsi que sur les dons, n’écartant ainsi pas les femmes de ces fonctions. Les auteurs argumentent qu’à partir des années 1920, les fonctions au sein des églises auraient changé puisque elles auraient commencé à être considérées comme sacerdotales au lieu d’être prophétiques suite à la centralisation ecclésiastique de nombreuses congrégations. Warrington (2008) ajoute que suite à la Seconde Guerre Mondiale l’importance de la femme comme femme au foyer aurait été amplifiée en réaction à l’augmentation drastique des femmes sur le marché du travail et d’une peur de dévaluation des valeurs familiales. Il y aurait ainsi eu une diminution des femmes aux postes de ministres dans les églises pentecôtistes aux États-Unis passant de 18,2% en 1950 à 7,7% en 1990 (Ibid., 145). À partir des années 2000, de plus en plus de congrégations pentecôtistes à travers le monde commencèrent à ordonner davantage de femmes comme ministres (Alexeter et Yong 2009, Warrington 2008, Fatokun 2006, Mapuranga 2013).

Les attitudes pentecôtistes envers la participation et le rôle des femmes varient cependant énormément d’un lieu à l’autre et d’une église à l’autre (Payne 2015). Fatokun (2006) démontre en effet que les attitudes vis-à-vis des femmes au Nigéria varient considérablement en fonction des églises. Alors que certaines églises pentecôtistes plus classiques vont jusqu’à interdire aux femmes de parler lors des cérémonies, d’autres sont majoritairement dirigées par des femmes. L’auteure explique également que les églises néo-pentecôtistes du Nigéria laissent beaucoup de places aux femmes et promeuvent même des valeurs très égalitaires, ne véhiculant pas l’idée qu’il y aurait un sexe plus faible que l’autre. Mafra (1996) avance également qu’il existe des profils d’églises pentecôtistes différentes au Brésil ayant chacune des approches divergentes quant à la promotion des relations de genre. Elle identifie d’abord certaines églises prônant des valeurs plus égalitaires des relations entre les sexes et où les femmes seraient également acceptées comme pasteures. Elle détermine également un profil intermédiaire, qui correspondrait plus aux congrégations créées dans les années 1950 comme l’Assemblée de Dieu, la Deus é Amor et l’Igreja da Graça, et qui favoriseraient selon la chercheure la domination de l’homme dans la sphère domestique tout en responsabilisant l’homme à l’intérieur de cette sphère. Les femmes posséderaient également des rôles limités à l’église, mais pourraient diriger des groupes connexes. Le troisième profil identifié par Mafra comme étant « traditionnel » prônerait des valeurs plus conservatrices. La femme y tiendrait une place de subordonnée en plus d’être considérée comme plus faible, devant donc se soumettre à l’autorité de l’homme. Mira et Lorentzen (2005) soulèvent que si l’intention du pentecôtisme est bien souvent de promouvoir une morale et des relations de genre plus conservatrices, il est important de distinguer ce que le pentecôtisme souhaite réaliser (renforcer la domination des hommes) et ce qui se produit réellement (possiblement égaliser les relations tout dépendant de la congrégation étudiée). Les chercheures soulignent que la recherche sur le sujet reste complexe puisque de nombreuses femmes interrogées sont très fortes et ne se considèrent pas comme des victimes du patriarcat, ces dernières sentant plutôt qu’elles ont du pouvoir et une voix. Pour mieux comprendre la popularité du pentecôtisme auprès des femmes, il est nécessaire d’explorer davantage le concept d’agentivité.