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Chapitre 2 : Cadre théorique et conceptuel

2.2 Notion de genre chez les Kaingang

En général, les études réalisées auprès des Kaingang traitent très peu du contexte des pratiques sociales en relation avec les dynamiques entre les genres. Seules quelques études assez récentes se penchent sur le rôle des femmes dans la construction du corps social de cette société patrilinéaire. Afin mieux situer les dynamiques de genre sans l’influence du pentecôtisme, je présenterai ici les principaux éléments qui émergent de la littérature qui seront mis en relation avec les observations de terrain.

2.2.1 Organisation de l’espace

Tout d’abord, plusieurs chercheurs ont remarqué que les habitations kaingang étaient en général orientées en fonction du soleil dans un axe Est-Ouest (Crépeau 1997, 2002, Almeida 2004, Rosa 2005, 2010). Selon ces auteurs, les habitations possédaient fréquemment deux portes dont l’une, associée aux activités masculine, était orientée vers l’est et l’autre, associée aux activités féminines, était orientée vers l’ouest. Les espaces domestiques à l’intérieur des maisons étaient eux aussi divisés selon les activités associées aux deux sexes dans un axe Nord-Sud. Les différentes études mentionnent cependant que ces espaces ne sont pas exclusifs à l’un ou l’autre des genres, mais démontrent simplement une intensification des activités réalisées par l’un des deux genres (Crépeau 1997, 2002, Almeida 2004). Lors de mon étude de terrain, la grande majorité des habitations ne comptaient dorénavant qu’une seule porte et si les femmes occupaient bien davantage l’espace de la cuisine souvent orientée vers l’ouest, le reste de

l’espace domestique semblait être occupé de manière égale par les individus féminins et masculins.

2.2.2 Organisation du travail

L’organisation du travail serait centrée sur des tâches spécifiques attribuées à chacun des genres déterminant ainsi une « division sexuelle du travail ». Cette division du travail existe également dans une relation d’opposition complémentaire et interdépendante entre les genres (Sacchi 1999, 106). Anciennement, les hommes se chargeaient de la chasse et de la pêche, confectionnaient les armes de même que les instruments de travail, préparaient la terre pour la plantation et s’occupaient de la construction des habitations. Les femmes de leur côté s’occupaient de la cueillette et la plantation de certains produits agricoles, de l’approvisionnement en eau, de la préparation des aliments ainsi que de la confection artisanale d’objets tissés, de sparteries et de céramiques servant notamment au transport des produits de la cueillette (Veiga 1994, 2000, Sacchi 1999). La cueillette impliquait d’ailleurs souvent le transport quotidien des produits parfois sur des distances de 15 kilomètres en plus de souvent être accompagnées par des enfants en bas âge (Carvalho 2008). Plusieurs ouvrages notent la participation des femmes aux guerres où elles lançaient des flèches et insultaient les ennemis en plus de préparer les aliments et s’occuper des enfants durant les luttes (Veiga 2000, 106; Sachi 1999, 48). En plus de ces tâches, les femmes devaient également confectionner et laver les vêtements, cuisiner de même que s’occuper des enfants.

De plus, selon Fernetes, Almeida et Sacchi (2006), des rôles complémentaires seraient attribués selon le genre durant le rituel du Kikikoi. En effet, il serait conféré aux hommes un rôle « structurel» où ces derniers seraient responsables de l’organisation, c’est-à-dire de l’instrumentalisation, des prières et des cantiques. Les femmes auraient plutôt un rôle fonctionnel et seraient donc responsables de la préparation et de la distribution de la nourriture de même que de la boisson rituelle, des pleurs cérémoniels en plus de la réalisation des peintures faciales. Les auteurs concluent donc que les hommes et les femmes tiennent des rôles complémentaires qui peuvent être traduits en termes de centre et de périphérie rituelle. Les rôles associés aux genres à travers ce rituel permettent de mieux comprendre comment les Kaingang

pensent leurs catégories rituelles de même que l’expression du locus des catégories féminines et masculines (Ibid.).

De nos jours, malgré les changements engendrés par le contact et la sédentarisation, il persiste encore une certaine division sexuelle du travail. Les femmes doivent toujours élever les enfants, s’occuper des tâches domestiques et faire la cuisine en plus de veiller à la production et à la vente d’artisanat. Les hommes continuent à dominer dans les rôles politiques et pratiquer parfois la chasse et la pêche (Veiga 2000, Sacchi 1999, Carvalho 2008). Toutefois, il existe davantage de diversification des tâches au niveau de l’agriculture. En effet, Sacchi (1999) suggère que les différentes tâches agricoles sont réalisées de manière plus égalitaire et que les maris participent à des tâches anciennement considérées comme féminines et vice-versa. En outre, plusieurs emplois modernes sont autant pratiqués par des hommes que par des femmes kaingang comme ceux liés à l’enseignement41, au poste de santé ainsi que les emplois dans les entreprises de la

région. Certaines femmes sont également chamanes et plusieurs sont des guérisseuses au sein de leur communauté (Sacchi 1999). Quelques femmes s’assuraient également un petit revenu officieux en vendant certaines de leurs confections42. Elles sont donc également visibles dans la

sphère publique. Notons qu’à partir de cinquante ans, les Kaingang ont aujourd’hui accès à une petite pension du gouvernement.

Puisque les femmes travaillent davantage dans l’agriculture et l’artisanat en plus de voir aux tâches liées à la sphère privée, plusieurs n’ont pas le temps de se dédier aux études (Faustino eet al. 2010). De nos jours dans la TIX, bon nombre de femmes de la réserve, particulièrement les générations plus âgées, n’ont pas d’emploi et n’ont souvent pas eu accès à un haut niveau de scolarité. Leurs enfants bénéficient la plupart du temps d’un plus haut degré de scolarité qu’elles. En effet, les générations plus âgées abandonnaient souvent l’école afin d’aider leurs parents dans l’agriculture, car à l’époque de nombreuses familles cultivaient la terre de manière substantielle pour vivre. De nos jours, si quelques familles disposent encore de quelques plantations, les métiers sont plus diversifiés et l’éducation plus valorisée dans le village Sede43.

41 Dans le village Sede, il semble d’ailleurs y avoir plus de professeurs et de personnel féminin que masculin dans

les écoles.

42 Par exemple, deux des informatrices utilisaient de vieilles semelles de sandales brisées pour en faire soit des

pantoufles en tricot, soit des sandales décorées originalement pour les revendre à prix modique dans la réserve.

Toutefois, les femmes ont encore aujourd’hui tendance à cesser leur scolarité plus tôt que les hommes. Cela est dû entre autres au fait que les femmes ont leur premier enfant très jeunes, à savoir entre 14 et 16 ans, voire vers 12, 13 ans. Elles abandonnent donc généralement l’école à ce moment. La grossesse est considérée comme un moment important dans la vie d’une femme et cette période est associée à une série de recommandations alimentaires et comportementales44.

Cependant, de plus en plus de jeunes femmes interrompent seulement leurs études pour allaiter et élever leur enfant, elles reprennent leur scolarité quand celui-ci est doté d’un minimum d’indépendance. Si elles tombent enceintes à répétition ou de manière rapprochée, l’interruption est plus longue et les chances de reprendre l’école sont plus minces. Les mères et les grands- mères aident énormément à élever les premiers enfants de ces femmes qui sont très jeunes au moment de leurs premières grossesses. S’occuper de ses enfants, de ses petits-enfants, puis de ses arrières petits-enfants est considéré comme une part importante du cycle de la vie des femmes (Garcia 2010). Mentionnons qu’au moment de l’étude, des cours de soir étaient disponibles pour permettre aux femmes de terminer leurs études primaires et/ou secondaires. Toutefois, peu de femmes participaient à ces cours et plusieurs d’entre elles abandonnaient, car trop occupées à la maison.

2.2.3 Rôles sociaux

Les Kaingang considèrent que les hommes possèdent le contrôle de la reproduction, car « ce sont eux qui font les enfants » (Rocha 2005, 84). Selon la vision kaingang, le sperme apporte avec lui les substances que l’enfant détiendra par la suite et il est donc normal que la moitié à laquelle l’enfant appartient et les caractéristiques sociales reliées à cette moitié soient transmises de manière patrilinéaire (Carvalho 2008, 22). Dans les faits, le contrôle des hommes serait partiel, car les femmes contrôlent la fécondation, élèvent les enfants et les nourrissent en plus d’être responsables de la transmission des valeurs éthiques et morales et donc de former les nouveaux sujets sociaux (Rocha 2005; Veiga 2000). Les hommes continuent également à se référer aux conseils de leur mère même en vieillissant (Veiga 2000). Ainsi, en tant que mères, elles tiennent une importance majeure dans la préservation et la transmission des valeurs

44 Pour plus d’informations à ce sujet, veuillez consulter le mémoire de Sacchi (1999) ainsi que l’article de Faustino

culturelles kaingang (Veiga 1994, Sacchi 1999, Fernetes 2013). Le contrôle des femmes dans la sphère domestique serait également illustré par le fait qu’elles contrôlent ce que les individus de la maisonnée ingèrent et ainsi la construction des corps (McCallum 1998).

Même si en général elles ne font pas partie de la liderança45, plusieurs chercheurs avancent que les femmes disposent d’un certain pouvoir de décision surtout à travers les conseils donnés dans la sphère domestique qui influencent de manière importante les décisions prises dans la sphère publique (Faustino et al. 2010, Fernandes 2003, Sacchi 1999, Veiga 1994). Veiga (2000, 122) affirme également que le grand pouvoir des femmes est celui d’influencer son mari et ses enfants par l’intermédiaire des interactions dans la sphère privée. Ainsi, la femme du chef dispose d’un pouvoir important, car elle peut influencer directement les décisions prises dans la réserve. De plus, elle peut servir d’intermédiaire à certaines femmes qui se sentent plus à l’aise de parler de leurs problèmes avec elle que directement avec le chef (Veiga 2000). Les femmes sont selon plusieurs auteurs les détentrices des informations du village et agissent comme « amplificatrices » des préoccupations de la communauté (Veiga 1994, Sacchi 1999, Fernandes 2013). Veiga (1994, 2000) et Sacchi (1999) insistent que les femmes ne sont d’aucune façon passives.

L’apprentissage des rôles sociaux liés au genre se fait à partir d’un très jeune âge. Les petites filles apprennent à s’occuper d’abord de leurs frères et sœurs, des animaux de compagnie en plus d’aider et de contribuer aux différentes tâches domestiques. Les jeunes garçons sont quant à eux élevés plus librement et leur aide n’est généralement pas réquisitionnée pour les travaux domestiques (Sacchi 1999, 96).

Dans son étude auprès des femmes chamanes shipibo-conibo, Colpron (2005, 2006) soulève la très faible documentation sur les femmes chamanes. Très peu d’études sont en effet effectuées sur les femmes autochtones et leur spiritualité, en particulier en ce qui a trait aux religions émergentes en milieu autochtone comme le pentecôtisme. La prochaine section s’intéresse donc à la pertinence de l’étude des femmes dans les études sur la religion.

45 C’est le terme employé pour désigner le Cacique ainsi que le groupe de leaders formant son comité en charge de