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I. Ouverture au sujet de recherche

I.3. La régulation sociale et les modes extrajudiciaires de PRD

Quelle place pour les modes de PRD dans la régulation sociale ? Les modes extrajudiciaires de PRD, qu’il s’agisse de la médiation, de la conciliation ou de la

58 J.-G. BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le

prochain code de procédure civile », préc., note 12, p. 324.

59 Id., p. 335.

60 Voir Jean-François ROBERGE, Typologie de l’intervention en conciliation judiciaire chez les juges canadiens siégeant en première instance et ses impacts sur le système judiciaire, le droit et la justice,

Faculté de droit, Université de Sherbrooke, Thèse, 2007, [non publiée].

61 Voir Partie I, Chapitre III, Section I. L’exposé critique de l’approche institutionnelle de l’accès à la

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négociation, comme les modes juridictionnels, ont pour objectif commun la régulation sociale. La régulation n’est pas uniquement synonyme de droit formel étatique. Celui- ci n’est qu’un mode de régulation parmi d’autres62. Le professeur Jacques Chevallier

écrit d’ailleurs que « la régulation suppose le recours à une panoplie de moyens d’action, les uns juridiques, les autres non juridiques »63. Confirmant ce propos, l’auteur

Jean-Baptiste Racine affirme pour sa part que l’une des caractéristiques majeures de la régulation est de ne pas être exclusivement juridique, ce qui montre l’ouverture du droit sur d’autres systèmes64. Cette remarque s’applique particulièrement aux modes

extrajudiciaires de PRD. Les médiateurs, les conciliateurs ou les parties elles-mêmes engagés dans les modes de PRD peuvent utiliser des instruments juridiques pour trouver un accord. Mais ils ont le privilège de pouvoir utiliser un panel de normes beaucoup plus étendu que celui qui est disponible dans une procédure processuelle65. Cet élément retient particulièrement l’attention, car sans dénier l’importance de la normativité juridique formelle, le droit formel étatique n’est tout de même pas, pour une partie plus ou moins importante des composantes d’une société, l’instrument privilégié de la recherche du juste. Ces personnes font sciemment appel à d’autres processus pour résoudre leurs conflits qualifiés entre autres de modes alternatifs de règlement des différends, car elles souhaitent s’écarter du droit formel étatique ou du procès. Ne faudrait-il pas y déceler des indices marquant le recul du droit dans sa conception positiviste étatique66 comme instrument par excellence de règlement des différends67? La notion de régulation apparaît plus large que celle de réglementation68. Elle a l’avantage de constituer une réponse nouvelle et intéressante à la complexité de la

62 Voir supra, Partie I, Chapitre III, Section II, II.1.2. L’évolution de la règlementation vers la régulation.

Voir également R. A. MACDONALD, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques avancées », préc., note 12, n°2 et suiv.

63 J. CHEVALLIER, préc., note 3, p.32.

64 Jean-Baptiste RACINE (dir.), Pluralisme des modes alternatifs de résolution des conflits, pluralisme du droit, Lyon, l'Hermès, 2002, p. 20.

65 Dans les modes de PRD, le tiers intermédiaire (médiateur ou conciliateur) ou les parties elles-mêmes

peuvent utiliser ou prendre appui sur toute norme de référence qu’elles estiment utile, ayant essentiellement l’obligation de ne pas enfreindre l’ordre public, alors que le juge a le devoir de statuer en droit.

66H. KELSEN, Pure Theory of Law, préc., note 48;P. ROUBIER, préc., note 48, p.51 et s; H. ROLAND et

L. BOYER, préc., note 48, p.156 et suiv.

67 J.-G. BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le

prochain code de procédure civile », préc., note 12, aux pages 336 et suiv.

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société actuelle69. Cette complexité ne commande-t-elle pas une adaptation des modes d’élaboration, d’application de la règle de droit et plus globalement des modes de traitement des différends, donc de la procédure civile ? Le concept de régulation prend mieux en compte et rend effectif, ainsi que le montre la thèse, l’appréhension nouvelle de l’accès à la justice qui ne devrait plus être tout juridique ou tout judiciaire, une des conséquences de l’évolution de la procédure civile qui sera suggérée par la recherche.

La régulation par les modes extrajudiciaires de PRD mettrait-elle en danger les droits des citoyens ? L’application stricte du droit formel étatique est un moyen parmi d’autres d’assurer la paix sociale. La régulation par les modes de PRD n’entend pas « jeter le droit de l’État par la fenêtre », ni sacrifier les droits fondamentaux des citoyens encore moins retomber dans une sorte de loi de la jungle. Au contraire, elle conserve à la réglementation juridique et aux institutions juridictionnelles étatiques toute leur place ; leur rôle dans la gestion des relations sociales est acquis. La bonification que le concept de régulation apporte c’est l’admission d‘autres pôles et d’autres modes de règlement des crises ou des tensions qui peuvent jaillir dans la société. Le temps est-il venu de ne plus les ignorer ? Pour schématiser, il est possible d’affirmer que la démarche des modes extrajudiciaires de PRD est inverse de celle commune qui consiste à partir de la formulation juridique abstraite d’un problème auquel il faudra appliquer une règle de droit qui permettra peut-être d’aboutir à une solution équitable. Dans les modes extrajudiciaires de PRD, le postulat est que les protagonistes détiennent toutes les clés pour trouver une solution à leur litige, l’équité étant la référence principale avec pour seule exigence que la solution obtenue ne contrevienne pas aux principes de droits fondamentaux et à l’ordre public.

69 C’est sans doute parce que les systèmes législatif et judiciaire sont aujourd’hui trop complexes que la

réglementation étatique paraît inadaptée, la régulation serait alors une réponse à cette complexité. Ce n’est certainement pas sans raison que les modes extrajudiciaires de PRD se développent sur le réseau internet. Ils sont sans doute une réponse à la complexité et aux spécificités de ce réseau, il faut alors notamment de la souplesse pour répondre à cette complexité et les modes extrajudiciaires de PRD y contribuent grandement. Voir notamment au Québec ; FRANCE,LE FORUM DES DROITS SUR L’INTERNET, Premier rapport d’activité du groupe de travail Internet et les modes alternatifs de règlement des

différends, à la p.61, en ligne : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports- publics/034000120.pdf (consulté le 15 août 2016).

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Il est possible d’analyser le volontarisme qui anime les modes de PRD, comme de la proactivité, la responsabilisation, le désir des acteurs impliqués de prendre en main leur destin, ou plus modestement leur vie et par conséquent les conflits qui peuvent jalonner celle-ci. C’est la preuve si l’on veut qu’a minima, ils sont capables de faire face à leur « adversaire », tenter de renouer une communication avec lui, et qu’a maxima les protagonistes sont capables de retisser une relation nouvelle ou renouvelée au-delà des différends qui peuvent les opposer. Les modes extrajudiciaires de PRD étant des processus de régulation sociale participant à l’objectif de justice, la thèse fait évoluer la procédure civile par l’approfondissement de leur connaissance et renouvelle par la même occasion l’accès à la justice en parallèle avec le législateur qui a montré une ouverture en ce sens par l’adoption d’un Nouveau Code de procédure civile en février 2014.

Mieux encore, ne se pourrait-il pas que les modes de PRD répondent plus adéquatement à certains besoins de justice des citoyens ? La société actuelle est une société de revendication des droits en même temps qu’elle est une société de désacralisation du droit formel étatique70. La thèse suggère l’hypothèse d’un changement de paradigme dans la résolution des différends, incarné par la régulation à la place de la réglementation. Ce changement de paradigme repose sur la « fondamentalisation » de certains droits et le développement des droits subjectifs. À la suite d’autres auteurs71, la recherche soumet le constat d’une société dans laquelle les droits fondamentaux occupent de plus en plus de place et sont de mieux en mieux protégés coïncidant avec l’expansion des droits subjectifs. Le changement de paradigme opéré par les droits subjectifs sur le concept d’accès à la justice, est, pour paraphraser le doyen Roubier72,

dans le principe de l’autonomie de la volonté qui les sous-tend et son corollaire le

70 Certains auteurs vont jusqu’à affirmer un recul du droit objectif lié à l’expansion des droits subjectifs.

Ainsi le professeur Serge GUINCHARD affirme : « il est permis d’avancer que nous assistons à un déclin du droit objectif corrélatif à une progression des droits subjectifs» dans Serge GUINCHARD et al., Droit

processuel. Droit commun du procès, préc., note 7, p.1032, n°596; Jean-Guy BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le prochain code de procédure civile », préc., note 12, à la page 342.

71 Serge GUINCHARD et al., Droit processuel. Droit commun du procès, préc. note 7, p.1032, n°596; Jean-

Guy BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le prochain code de procédure civile », préc. note 12, p. 342.

72 Paul ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, préface de David Deroussin, Paris, Dalloz,

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pouvoir pour les acteurs de créer des situations juridiques qui correspondent à leurs vœux. C’est notamment ici que réside l’influence de la libre disposition des droits subjectifs, incarnés en l’espèce par le processus des modes de PRD, sur l’accès à la justice et la procédure civile.

Le développement des droits fondamentaux et des droits subjectifs sert de fondement théorique et prolonge la volonté et le besoin des citoyens de trouver des solutions hors cadre judiciaire à leurs différends. Hormis un noyau dur de droits et de matières, les modes de PRD peuvent par exemple leur permettre de « recontractualiser » une situation qui au départ pouvait s’analyser comme une situation de crise, de tension, aux relations parfois rompues, souvent au bord de la rupture. L’expansion des modes de PRD répondrait entre autres aux insuffisances de l’approche juridictionnelle de l’accès à la justice et aux nouveaux besoins73 exprimés par les citoyens.

Pour penser la régulation sociale en intégrant les modes extrajudiciaires de PRD, il n’est certainement pas illégitime de se demander si les modes extrajudiciaires de PRD ont un impact positif sur l’amélioration de l’accès à la justice. La thèse soumet une réponse théorique positive à cette interrogation74. En effet, il faut retenir que les modes de PRD

remettent en cause la vision étroite des premiers théoriciens de l’accès à la justice ; ils réinstallent au cœur du concept d’autres mécanismes pour gérer les différends, en même temps qu’ils améliorent l’appréhension du concept d’accès à la justice. Cette vision élargie de la justice et de son accès fait ressortir la multipolarité de la notion de justice et du concept d’accès à la justice. Cette multipolarité implique un abandon de son acception centralisatrice et purement institutionnelle ainsi que des dogmes de l’hégémonie des institutions processuelles étatiques.

73 Ces besoins sont entre autres : le besoin d’une plus grande accessibilité au système de justice et donc

la possibilité d’être réellement entendu, le besoin de prise en compte de leurs véritables problèmes et intérêts et donc de solutions pas toujours juridiques à leurs différends, le besoin de légitimité du droit et donc la volonté d’appropriation ou de réappropriation et d’implication dans la résolution de leurs différends. Voir Jean-François ROBERGE, La justice participative. Changer le milieu juridique par une

culture intégrative de règlement des différends, Cowansville, Yvon Blais, 2011, p. 25 et s, p.29 ;

MACDONALD «L’accès à la justice», préc., note 3, p.36.

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Une des contributions originales de la recherche, c’est que la conception de l’accès à la justice sous-tendue par les modes de PRD que la thèse propose dépasse les multiples implications de l’accès au juge ou aux tribunaux ; elle transcende des principes de droit judiciaire aussi essentiels que celui du contradictoire ou encore ceux des droits de la défense. L’approche extensive du concept de l’accès à la justice soutenue par la thèse pour une évolution des principes fondamentaux de la procédure civile, renvoie à l’omniprésence des droits fondamentaux, à la densité des conceptions philosophiques, morales et juridiques de la justice. Elle refuse l’accaparement du concept de justice par les seules institutions étatiques au détriment des justiciables, en même temps qu’elle postule le rejet de la sublimation de la notion de justice pour mieux en déposséder les citoyens. Elle préfère la puissance évocatrice de la notion de justice rendue avec et pour les citoyens. Affirmée de façon concise, elle signifie mettre le citoyen au cœur de la justice. N’est-il pas possible d’affirmer en paraphrasant le doyen Roubier75 qu’il n’y a

rien d’excessif, dans la société contemporaine à placer les modes de PRD parmi les modes d’organisation des situations juridiques, à côté des mécanismes institutionnels classiques, des actions en justice et des droits définis relevant de la procédure civile ? Un éminent auteur a écrit fort justement :

« […] de manière générale, dans une société libérale, il faut convenir que les individus sont encore les mieux placés pour déterminer la solution qui leur convient ; l’observation s’impose d’autant plus que la recherche d’une “justice concrète” c’est-à-dire d’une justice à même de saisir l’exacte réalité du litige sans se laisser abuser par l’abstraction des catégories juridiques, passe nécessairement par une plus grande participation des intéressés à la solution de leur litige. »76

L’accès à la justice est véritablement au centre des préoccupations des gouvernants et des citoyens. Que signifierait une société libre et démocratique sans un réel accès à la justice ? Permettre un meilleur accès à la justice devient une véritable gageure dans une société multiculturelle pour les différents acteurs du système de régulation sociale que

75 Paul ROUBIER, préc., mote 73, aux pages 10 et 42. [Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques]. 76 S. GUINCHARD et al., Droit processuel. Droit commun du procès, préc., note 7, p. 1006, n°584.

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sont le législateur, l’exécutif, le corps judiciaire et les citoyens. Ce défi consiste dans le constat maintes fois dressé qu’il s’est créé au fil des ans un écart entre l’offre de justice civile d’une part et la combinaison des perceptions de justice et des attentes de justice des citoyens d’autre part. Ce constat est entériné par les plus hautes autorités d’administration du système judiciaire. En effet, lors de la présentation de l’Avant-

projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile du Québec77, le ministre de la Justice du Québec affirme la nécessité d’un changement de culture juridique en introduisant une culture de prévention des différends et de partenariat entre tous les acteurs concernés (citoyens, avocats, juges, etc.) pour une meilleure accessibilité à la justice pour le citoyen. Le Nouveau Code de procédure civile consacre que les modes privés de prévention et de règlement des différends deviennent la porte d’entrée de la justice civile78.

Toutefois, d’une part le concept de l’accès à la justice demeure vague et sans définition à valeur théorique et opérationnelle, d’autre part il n’existe aucune véritable proposition de modèle théorique susceptible de soutenir l’évolution de la procédure civile. C’est fort de ces éléments que les questions de recherche ont été formulées. Elles constituent le fil conducteur de la thèse et les points d’ancrage autour desquels l’ensemble de la recherche s’est attelée à apporter une réponse rigoureuse.