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Section I. L’état des lieux du droit positif canadien et de la doctrine sur l’accès à la

I.3. Les tentatives doctrinales et praticiennes de doter l’accès à la justice d’un

I.3.1. Les approches doctrinales et praticiennes majoritaires de l’accès à la

Comment la doctrine et les praticiens conçoivent-ils l’accès à la justice ? En ont-ils élaboré une définition et énoncé le contenu ? Peu d’auteurs s’attachent véritablement à la construction d’une définition de l’accès à la justice dans leurs articles. Le concept est pourtant souvent employé, mais comme s’il tombait sous le sens. Il semble être une évidence que tout le monde sait ce qu’il faut entendre par accès à la justice400. Ce qui

n’est pas justement le cas, car ses emplois trahissent souvent les appréhensions qu’en ont les auteurs et qui sont souvent bien éloignées les unes des autres sans doute influencées par ce qu’il convient de nommer l’obstacle épistémologique du positivisme juridique.

Que faut-il entendre par obstacle épistémologique401 du positivisme juridique ? Un

obstacle est ce qui arrête le mouvement, la progression de quelqu’un ou de quelque

400 Un chercheur relève fort justement d’ailleurs qui consisterait à définir l’accès à la justice en affirmant

que « «La signification de l’accès à la justice peut refléter une vaste gamme de valeurs et d’objectifs distincts en rapport avec une grande diversité d’enjeux et d’activités». La description de la situation de l’accès à la justice au Canada constituerait donc une tâche nécessitant des énergies et une érudition considérables. Il est beaucoup plus facile de préciser certaines des grandes caractéristiques de l’accès à la justice, sous sa forme actuelle. Cette tâche pourrait s’avérer utile pour les personnes peu familiarisées avec le concept de l’accès à la justice, ainsi qu’avec l’histoire et l’essor de ce mouvement.» (Note omise), Ab Currie dans CANADA,MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Compte rendu du symposium Élargir nos horizons,

Redéfinir l’accès à la justice au Canada, préc., note 12, p.45.

401 Cette expression est empruntée au philosophe Gaston BACHELARD qui a développé une admirable

théorie autour de cette notion, dans son non moins célèbre ouvrage La formation de l'esprit scientifique

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chose402. C’est ce qui va entraver, gêner, constituer une difficulté pour l’atteinte d’un

objectif. L’épistémologie403 est la science qui étudie la connaissance scientifique en

général. Elle s’attache à l’étude critique des sciences pour en évaluer les postulats et la valeur. Un obstacle épistémologique pourrait être défini comme une entrave, une difficulté inconsciente, qui va empêcher le chercheur d’accéder à la véritable connaissance scientifique404. Le positivisme juridique est un courant théorique qui

diffère des théories du droit naturel et se fonde « sur l’observation des faits et sur l’expérience, qui se refuse par prudence à toute incursion dans le domaine de la métaphysique »405. La conception positiviste étatique de l’accès à la justice renvoie aux

modes étatiques formels de règlement des conflits sociaux, à la justice entendue principalement comme l’accès au système juridictionnel étatique et à son offre de justice.

Pourquoi le positivisme juridique constitue-t-il un obstacle épistémologique pour certains auteurs de doctrine et certains praticiens relativement à la définition de l’accès à la justice ? Le positivisme juridique, lorsqu’il s’agit de conceptualiser et de définir l’accès à la justice, peut être assimilé à un obstacle épistémologique tel que cette notion a été précédemment définie, car les théories positivistes en raison de leurs fondements ont tendance à assimiler l’accès à la justice à l’accès au droit étatique et à ses institutions formelles de règlement des litiges. Sans tenter de définir formellement l’accès à la

402 Définition du Centre National de Ressources Textuelles et lexicales(CNRTL), s.v. «obstacle», en

ligne : http://www.cnrtl.fr/obstacle/restituer[CNRTL].

403 Définition du Centre National de Ressources Textuelles et lexicales(CNRTL), s.v. «épistémologie»,

en ligne : http://www.cnrtl.fr/épistémologie/restituer[CNRTL].

404 « Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette

conviction que c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de l'esprit humain : c'est dans l'acte même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C'est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c'est là que nous décèlerons des causes d'inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.» Gaston BACHELARD, préc., note 401, p.14.

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justice, les auteurs et les praticiens l’entendent généralement comme l’accès aux tribunaux406.

Quelles raisons expliquent les difficultés de la doctrine et des praticiens à surmonter dans leur l’appréhension de l’accès à la justice l’obstacle épistémologique du positivisme juridique ? Plusieurs raisons expliquent l’obstacle épistémologique que constitue le positivisme juridique.

D’abord, l’organisation politique des sociétés actuelles étant centrée autour de la puissance étatique, celui-ci est de facto devenu le seul détenteur de la souveraineté et l’unique titulaire du pouvoir de contrainte sur les individus et les groupes. La justice civile étatique et ses structures de mise en œuvre les tribunaux, sont les produits de ces fondamentaux et de la volonté de l’État de s’imposer comme institution politique dominante407. Ensuite, d’éminents auteurs408, subjugués par le monopole de la contrainte

légitime que détient l’État et par la volonté d’ériger le droit au rang de science409 à part

entière, vont lier le droit à l’État et à son ordonnancement juridique. Ces théories vont longtemps fonder l’enseignement du droit dans les universités et ont encore un rayonnement certain de nos jours dans les facultés de droit. Ces raisons expliquent en majeure partie l’absence de définition doctrinale consacrée de l’accès à la justice et son assimilation dans les écrits des auteurs, qu’ils soient universitaires ou praticiens, à l’accès aux tribunaux.

L’absence de définition doctrinale ou praticienne consacrée, mais surtout l’obstacle épistémologique du positivisme juridique ont des conséquences sur les recherches qui se soucient de l’amélioration de l’accès à la justice. Ils favorisent notamment

406 «3) «Accès aux tribunaux» n’est pas synonyme d’«accès à la justice». Le défi est de «reconcevoir les

conflits humains d’une manière qui permet aux institutions officielles de reproduire la sagesse des symboles sociaux non officiels, et aux symboles sociaux non officiels de reproduire les valeurs démocratiques et d’égalité sociale que nous attribuons à nos processus officiels» », R. A. MACDONALD

dans CANADA,MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Compte rendu du symposium Élargir nos horizons, Redéfinir

l’accès à la justice au Canada, préc., note 12, p.4.

407 J.-G. BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le

prochain code de procédure civile », préc., note 12, p. 323.

408 Voir Hans KELSEN (1881-1973) et les théoriciens de l’École normative tels Alfred Verdross (1890-

1980), Adolf Julius MERKL (1890-1970), etc.

409 Pour Hans KELSEN le droit «se place dans la catégorie des sciences «normatives», c'est-à-dire des

sciences qui se composent d’un ensemble de règles de conduite humaine», nous citons P. ROUBIER, préc., note 48, p.61.

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l’identification de l’accès à la justice à l’accès aux tribunaux ou aux juges. Cela a entre autres pour conséquence que les réflexions des auteurs sur le sujet vont essentiellement tenter en conservant le système juridictionnel étatique d’identifier certains de ses dysfonctionnements et d’en élaborer des correctifs. Les propositions vont se focaliser sur des thématiques, tels l’accès aux avocats, les délais, les coûts ou encore l’aide juridique. Il est possible également de mentionner comme suggestions de mesures correctives, la création de nouveaux tribunaux410 ou la création de nouvelles voies de

recours411.

Certains auteurs ont cependant réussi à surmonter l’obstacle épistémologique du positivisme juridique. Ils ont, sans avoir réussi à installer une définition faisant consensus de l’accès à la justice, une vision renouvelée du concept en ne l’identifiant plus uniquement à l’accès au système judiciaire.

I.3.2. Les nouvelles approches doctrinales issues de la justice