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II. Question de recherche et méthodologie

II.3. Contribution du projet à l’avancement des connaissances

II.3.2. L’évolution des paradigmes de la procédure civile et l’élaboration d’un

l’amélioration de l’accès à la justice

Pourquoi faire évoluer la procédure civile ? De nombreux auteurs131 dressent un constat sans concession du modèle processuel classique et de manière plus large de l’organisation de la procédure civile. Le Pr Jean-Guy Belley relève l’archaïsme des fondements et du modèle d’organisation du Code de procédure civile132 en vigueur

avant 2003. Pour l’auteur, ce modèle est fondé sur des principes qui seraient aujourd’hui dépassés, tels la hiérarchie, l’esprit d’affrontement ou de duel, l’objectif de mater les instincts belliqueux ou encore l’idée que les justiciables sont inaptes à résoudre leurs différends.

La procédure civile doit encore être transformée selon ce même auteur,133 car pendant trop longtemps, les réformes du système de régulation se réclamaient d’une philosophie sociale-démocrate pour laquelle l’accès à la justice passait plutôt par l’accroissement des procès que par la confiance dans les vertus de la négociation.

130 Voir la Partie II, Chapitre III, Section II de la thèse. 131 Id.; R. A. MACDONALD, préc., note 6.

132 J.-G. BELLEY, préc., note 12, p.320 et suiv. 133 Id., p.336 et suiv.

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D’autres auteurs exposent bien à propos les limites du système judiciaire considéré comme mode unique de règlement des conflits. Le Pr Harry Arthurs soutient de manière on ne peut plus pertinente que « les procédures contradictoires ne peuvent satisfaire la gamme entière des preuves et des arguments pertinents, les recours judiciaires ne peuvent remonter aux causes premières ni se prolonger jusqu’aux remèdes ultimes »134.

L’idée de faire évoluer la procédure civile pour un meilleur accès à la justice ne doit pas être perçue comme une volonté de rejeter en bloc tous les fondements de la discipline que représente la procédure civile ni de remettre en cause les garanties que fournissent ses règles dans l’optique d’un combat judiciaire loyal. Il faudrait plutôt, comme le suggère la doctrine, aborder la critique de la justice et à travers elle, celle de la procédure civile comme s’insérant dans la logique du processus de construction permanente et d’amélioration continue de ce qui est peut-être l’œuvre la plus difficile et la plus importante des sociétés humaines : l’œuvre de justice. Cette analyse est traduite par le Pr Jean-Guy Belley en ces termes :

« [...] Le phénomène de la justice critiquée peut pourtant être abordé dans une optique radicalement différente comme contrepartie normale de l’évolution générale des mœurs ou de la culture des sociétés occidentales contemporaines. On peut y voir l’expression des transformations majeures qu’y a connues l’organisation judiciaire et de nouvelles attributions qui échoient à la justice dans le fonctionnement du système social. Dans cette optique, la justice n’est pas critiquée parce qu’elle a refusé ou refuse de se transformer, mais plutôt parce qu’elle s’est transformée et se transforme encore dans une direction qui appelle la critique de la justice au même titre que sa promotion. »135

Pour le Pr Jean-Guy Belley, la conception ancienne et institutionnelle de l’accès à la justice devrait être renouvelée en se fondant sur un droit sociétal et réflexif136. Elle remettrait en cause les théories de la première modernité et leur paradigme classique137

134 H. ARTHURS, « Plus de litiges, plus de justice ? Les limites des poursuites comme stratégie de justice

sociale », préc., note 16, p.249 et suiv.

135 J.-G. BELLEY, préc., note 12, p.338 et suiv. 136 Id., p.344 et suiv.

137 Selon le Pr Jean-Guy BELLEY :

«Au stade de la première modernité, la théorie générale du droit et de l'État reposait sur un paradigme que l'on peut résumer de la façon suivante. L'État exerce un pouvoir central et souverain au sein de la société. Il assure l'ordre, la justice et le progrès en créant le droit et en gérant l'administration publique au bénéfice général de la société. Les tribunaux étatiques contrôlent la légalité des actes privés ou publics et arbitrent les litiges entre citoyens, ou entre l'État et les citoyens, en appliquant les règles du droit en vigueur. Au- delà des interprétations politiques fort divergentes, allant du minimalisme libéral au maximalisme communiste, voire totalitaire, ce paradigme reposait sur une triple confiance

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qui fondaient essentiellement les principes de la procédure civile. L’auteur suggère plutôt une justice sociétale et réflexive guidée par trois idées fondamentales : « la décentralisation du système de justice civile, la coordination d’une pluralité de modes de règlement des différends et leur contrôle procédural exercé par les tribunaux étatiques »138.

Le modèle de régulation sociale qui a été élaborée dans cette thèse a une filiation directe avec les idées et propositions du Pr Jean-Guy Belley, mais également avec les recherches menées par le Pr Roderick A. Macdonald. Le modèle construit est fondé sur le cadre théorique précédemment annoncé et s’articule autour de trois paradigmes à savoir la décentralisation, multipolarité et complémentarité. Ces paradigmes n’ont pas été choisis par hasard, ils ont été retenus pour leur valeur théorique et opérationnelle. De plus, les développements sur ces paradigmes démontreront qu’ils sont totalement cohérents et idoines pour renouveler les réflexions sur la régulation sociale dans l’objectif d’améliorer l’accès à la justice. Car l’évolution de la procédure n’est pas proposée par simple goût du changement. Elle s’inscrit dans le dessein fondamental d’une meilleure accessibilité à la justice pour les citoyens.

En termes concis, la thèse est une contribution théorique supportant les efforts de réforme de la procédure civile et l’évolution du concept d’accès à la justice par sa définition ainsi que l’élaboration d’un modèle de régulation sociale multimodal. Les mots du Pr Francis-Paul Benoit résonnent comme un écho quant à l’utilité d’un tel projet : « […] Les institutions juridiques viables et durables ne sont donc le fruit ni du hasard, ni des contingences, ni du pragmatisme, ni de l’habilité, mais seulement de la

collective : confiance en l'existence d'une société suffisamment homogène pour entretenir une vision consensuelle du bien commun ; confiance en la puissance d'un État capable de contrôler et de diriger du centre la société ; confiance dans une rationalité permettant d'énoncer des règles de droit supérieures aux autres normes sociales en précision et en validité puis d'en assurer une application neutre et systématique par les fonctionnaires de l'État et par les juges.»

J.-G. BELLEY, préc., note 12, p.345 et suiv.

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rationalité. »139 On ne saurait mieux dire et c’est le parti qu’a résolument pris cette thèse.