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Section I. L’état des lieux du droit positif canadien et de la doctrine sur l’accès à la

I.3. Les tentatives doctrinales et praticiennes de doter l’accès à la justice d’un

I.3.2. Les nouvelles approches doctrinales issues de la justice participative

Quelles sont les nouvelles approches doctrinales et praticiennes de l’accès à la justice et quels sont leurs apports aux réflexions théoriques et aux évolutions pratiques du concept ? Des auteurs412 universitaires ou praticiens sont parvenus de manière

relativement convaincante à surmonter l’obstacle du positivisme juridique quant à la perception de l’accès à la justice. Ils ont réussi à avoir une vision plus large de l’accès à la justice, ne le cantonnant plus à l’accès aux institutions processuelles de règlement des litiges.

Dans un article de droit comparé intitulé « le consommateur et le procès », le professeur Pierre-Claude Lafond413 s’intéresse à la question de l’accès à la justice pour le

410 Il faut songer notamment à la Cour des petites créances issue de la Loi favorisant l'accès à la justice,

L.Q., 1971, c. 86.

411 On peut noter par exemple le recours collectif.

412 Il ne faut pas s’attendre ici à une présentation exhaustive de tous les auteurs canadiens dont la

conception de l’accès à la justice ne se limite plus à l’accès aux tribunaux ou à l’accès au droit dans son acception moniste juridique. Seul un aperçu de cette nouvelle vague à travers quelques-uns de ses représentants sera proposé.

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consommateur. Il relève les difficultés auxquelles doit faire face le consommateur pour accéder aux institutions judiciaires de règlement des conflits ainsi que les limites des réponses offertes par celle-ci pour les différends de consommation. Il profite de ces constats pour envisager des voies alternatives pour répondre aux besoins de justice des consommateurs. Cette démarche conduit l’auteur à aborder la question de l’accès à la justice en la distinguant de l’accès aux tribunaux414, notant au passage que la justice ne

se trouve pas que devant les tribunaux. Il insiste sur la contribution essentielle des modes alternatifs de règlement des différends415 à l’accès à la justice. Quelques années

plus tard, il élargit et approfondit sa réflexion sur l’accès à la justice ne la limitant plus exclusivement au consommateur dans un ouvrage bien documenté sur l’accès à la justice416.

Suivant un axe de réflexion plus ancrée en procédure civile, le professeur Jean-Guy Belley, dans un article à la fois de synthèse et prospectif sur la réforme de la procédure civile, adopte à son tour une approche peu restrictive et moins institutionnelle de la justice civile de manière générale et de l’accès à la justice en particulier. L’inspirant article de l’auteur commence par dresser un portrait sans concession de l’archaïsme des fondements et du modèle d’organisation de la procédure civile, illustration d’une forme d’infantilisation des justiciables417. Puis retraçant l’évolution de la justice civile, le

professeur Jean-Guy Belley note le regain d’intérêt pour les modes non judiciaires de résolution des conflits418. Concomitamment, il relève l’effritement du modèle judiciaire

classique du XVIe siècle419. Finalement, son analyse de l’évolution de la justice civile

à travers ce qu’il qualifie de « justice de la seconde modernité »420 laisse assez nettement

pointer une conception de l’accès à la justice qui déborderait le cadre du paradigme classique de la justice étatique et processuel devenu trop étroit. La théorie juridique de

414 P.-C. LAFOND, préc., note 413, par. 3 et suiv. 415 Id., para. 34 et suiv.

416 P.-C. LAFOND,préc., note 228.

417 J.-G. BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le

prochain code de procédure civile », préc., note 12, par. 319 et suiv.

418 Id., para. 328 et suiv. l’auteur affirme notamment :« L'évolution actuelle prouve que l'on a tort

d'associer la justice étatique au seul mode judiciaire puisque la tendance dominante est non seulement d'encourager le recours aux modes non judiciaires offerts à l'extérieur du système de justice étatique, mais aussi d'intégrer ces modes alternatifs au sein même de ce dernier.», par. 329.

419 Id., par. 336 et suiv. 420 Id., par. 354.

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la seconde modernité serait incarnée pour l’auteur par le droit sociétal et réflexif421,

fondé notamment sur l’autonomie, la réflexivité et la rationalité procédurale422.

Le professeur Roderick A. Macdonald fait partie des auteurs incontournables de la doctrine canadienne incarnant la nouvelle approche doctrinale de l’accès à la justice. Il a mené des travaux423 d’envergure pour en approfondir le concept d’accès à la justice.

Dans l’un de ses nombreux articles, sur l’accès à la justice424, il fait un état des lieux

relatif à l’accès à la justice au Canada et pose les jalons pour améliorer la situation. Le professeur Macdonald repère cinq vagues de réflexion sur l’accès. La première vague est constituée par l’accès aux avocats et aux tribunaux, la deuxième vague est constituée par le remaniement de la conception institutionnelle de l’accès à la justice, la troisième vague est celle de la démystification de la loi, la quatrième est constituée par le droit préventif marqué par l’émergence des modes alternatifs de règlement des conflits et la cinquième vague est incarnée par l’accès proactif à la justice. À travers l’exposé de ces différentes vagues d’évolution de l’accès à la justice et les développements de l’auteur dans le même article sur les éléments d’une stratégie d’accès à la justice, il ressort la nette idée que l’accès à la justice n’est pas seulement institutionnel ou processuel, mais plutôt multidimensionnel incluant notamment, mais pas seulement, les MARC.

Le professeur Macdonald va plus loin en théorisant les fondements d’une stratégie multidimensionnelle pour l’accès à la justice. À travers un article fondateur, l’auteur pose parfaitement le cadre qui permet d’admettre d’autres pôles normatifs dans le système de régulation sociale425. Il se fonde pour ce faire sur les théories du pluralisme

juridique et conçoit l’accès à la justice comme un droit.

421 J.-G. BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le

prochain code de procédure civile », préc., note 12, par. 357 et suiv.

422 Id., par. 359 et suiv.

423 R. A. MACDONALD, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques

avancées », préc., note 12; R. A. MACDONALD, préc., note 143; Roderick A. MACDONALD, préc., note 6, à la p.19.

424 R. A. MACDONALD, préc., note 6, 2005, à la p.19.

425 R. A. MACDONALD, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques

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La nouvelle approche doctrinale de l’accès à la justice est aussi incarnée par le professeur Jean-François Roberge426 à travers l’idée de justice participative. Dans un

ouvrage de référence, l’auteur théorise et soumet une vision prospective de l’évolution de la justice civile et de l’accès à la justice. Il soutient l’idée que la justice participative constituerait une réponse au défi de l’accès à la justice et propose des outils et des compétences indispensables pour le juriste de demain qui souhaite adopter une pratique de justice participative. L’aspect le plus important de sa réflexion réside sans nul doute dans les valeurs qui fondent la justice participative427 et le souffle nouveau que ses

valeurs insufflent à l’accès à la justice. Elle se fonde sur le fait qu’un courant majoritaire des décideurs428, des chercheurs et des universitaires pensent qu’il est nécessaire de prendre en compte les revendications des citoyens en les impliquant davantage dans les processus de règlement des différends et en leur confiant désormais le choix de décider quel genre de justice ils désirent. L’auteur explore également l’apport des modes de PRD à travers la justice participative à l’amélioration de l’accès à la justice.

En somme, il n’y a pas plus dans la doctrine canadienne que dans les textes législatifs ou la jurisprudence un consensus sur la définition et le contenu de l’accès à la justice. Une partie des auteurs entérine cet état de fait et la chose n’est plus véritablement controversée. Certains auteurs, après avoir relevé l’absence de consensus sur le contenu du concept d’accès à la justice, ébauchent des explications. Le professeur Roderick A. Macdonald429 retient deux éléments qui expliqueraient le manque d’unité

d’appréhension de l’expression. Le premier puise son origine dans le changement sur le terrain des problèmes d’accès à la justice au cours des années. Le deuxième serait lié aux divergences quant au contenu de l’accès à la justice dans une société libérale. Il faut rajouter à ces raisons, l’obstacle épistémologique que constitue le positivisme juridique. La situation n’est cependant pas figée, depuis quelques années, une évolution de l’appréhension de l’accès est amorcée et incarnée par la nouvelle approche doctrinale

426 J.-F. ROBERGE,préc., note 73.

427 « La justice participative est un cadre d’intervention fondé sur trois valeurs (respect, créativité,

proactivité) actualisées dans les trois dimensions (interaction, contenu, processus) d’un mode de prévention et règlement des différends (PRD).», dans J.-F. ROBERGE,préc., note 73, p13.

428 CANADA,COMMISSION DU DROIT DU CANADA, La transformation des rapports humains par la justice participative, préc., note 12 ; CANADA,MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Compte rendu du symposium Élargir nos horizons, Redéfinir l’accès à la justice au Canada, préc., note 12.

429 CANADA,MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Compte rendu du symposium Élargir nos horizons, Redéfinir l’accès à la justice au Canada, préc., note 12, à la p.19 et suiv.

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du concept qui, sans faire l’unanimité, occupe une place de plus en plus importante dans le champ de réflexion en lien avec l’accès à la justice.

L’état des lieux entrepris sur l’accès à la justice au Canada impose à présent de le caractériser en droit canadien, d’en ressortir les éléments sinon topiques au moins typiques.

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Section II. La caractérisation du concept d’accès à la

justice en droit canadien

Quels sont les traits marquants de l’accès à la justice au Canada ? Après l’analyse de l’appréhension de l’accès à la justice par le droit positif, la doctrine et les praticiens canadiens, il convient de s’intéresser à présent aux éléments caractéristiques du concept en droit canadien. Les premières réformes sur l’accès à la justice au Canada se sont attachées, s’inspirant des pratiques dans d’autres régions du monde430, à la vulgarisation

de l’éducation et de l’information juridique (VEIJ)431 et à la simplification du jargon

juridique, à l’usage d’un langage moins ésotérique encore dénommé emploi de la langue courante en droit (ELCD)432. L’accès à la justice dans cette première acception

avait pour objectifs de promouvoir l’utilisation des services juridiques, de réduire les stéréotypes négatifs reliés à la loi et aux avocats ou encore renseigner le public afin que celui-ci sache quand consulter un avocat433.

Plus tard, se fondant essentiellement sur les poussées doctrinales434 notamment des

analystes féministes du droit, mais aussi compte tenu de l’histoire et du choix sociétal canadien, l’accès à la justice sera essentiellement pensé sous l’angle communautaire (II.1). L’absence précédemment relevée de définition légale ou jurisprudentielle du concept et l’approche globalement communautaire qui domine son analyse produisent certaines conséquences sur le contenu du concept qui peuvent être critiquées et analysées comme des limites de son appréhension en droit positif canadien (II.2).

430 Les pratiques dans les pays suivants ont été particulièrement analysées aux États-Unis d’Amérique,

au Royaume-Uni, en France, en République fédérale d’Allemagne et en Australie.

431 Canada, Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec, Pour une politique sur l’accès et la diffusion de l’information juridique, Comité sur l’information juridique diffusée aux membres du

Barreau, 1996, (Président : François LAJOIE).

432 CANADA,MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Accès à la justice. Notes de recherche, préc., note 44; J. GROSS

STEIN et A. COOK,préc., note 251, à la p. 163.

433 CANADA,MINISTÈRE DE LA JUSTICE, Accès à la justice. Notes de recherche, préc., note 44, p.58-59. 434 Voir les théories féministes du droit, CANADA,FONDS DE RECHERCHE EN MATIÈRE DE POLITIQUES DE

CONDITION FÉMININE CANADA, Rapports de recherche en matière de politiques, Un pied dans la porte :

Les femmes, l’aide juridique en matière civile et l’accès à la justice, préc., note 305; M.J. MOSSMAN et H. Ritchie, «Access to Civil Justice: A Review of Canadian Legal Academic Scholarship 1977-1987 », dans A.C. HUTCHINSON (dir.), Access to Civil Justice, Toronto, Carswell, 1990; M.J. MOSSMAN, «Gender Equity and Legal Aid Services : A Research Agenda for institutional Change»(1993), dans

Sydney Law Review, n°15, p.30-58; M.J. MOSSMAN, «Gender Equity, Family Law and Access to Justice»(1994), dans International Journal of Law and the Family, n°8, pp.357-373 cité par Lisa ADDARIO dans CANADA,FONDS DE RECHERCHE EN MATIÈRE DE POLITIQUES DE CONDITION FÉMININE

CANADA, Rapports de recherche en matière de politiques, Un pied dans la porte : Les femmes, l’aide

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II.1. La prééminence de la vision communautaire de l’accès à