• Aucun résultat trouvé

l’accessibilité à la justice : La définition

renouvelée et contemporaine du concept d’accès

à la justice

Résumé du chapitre

Les enjeux de l’accès à la justice sont complexes, l’erreur consiste à les aborder sans préciser les tenants et les aboutissants du concept. Le présent chapitre voudrait éviter cet écueil. Il suggère un dépassement de la conception traditionnelle à dominance institutionnelle de l’accès à la justice par une analyse critique des limites et la construction d’une approche renouvelée. L’hégémonie des institutions juridictionnelles étatiques est pesante quand sont abordés les enjeux de l’amélioration de l’accès à la justice à tel point qu’elles focalisent l’attention, les énergies et les réformes. L’exploration des origines de l’approche institutionnelle de l’accès à la justice la lie de manière non exhaustive, à la création et à la consolidation des États modernes, soutenues par des théories du droit tel que le positivisme juridique ou encore à l’effondrement des autres modes de régulation de sociale. Cette conception de l’accès à la justice connaîtra son apogée avec l’assimilation de l’accès à la justice à l’accès au système judiciaire. L’approche institutionnelle de l’accès à la justice n’est pas exempte de critiques. Son analyse permet de mettre en évidence ses limites qui sont tant quantitatives que qualitatives.

La conception renouvelée de l’accès à la justice met le justiciable au cœur de toutes réflexions en visant l’amélioration à travers la prise en compte de ses nouveaux besoins et sa volonté de participer à la construction de la solution à son différend. Dans cette optique, la démonstration cherche à étayer l’hypothèse du changement de paradigme dans la conception de l’accès à la justice. Le changement suggéré est porté par le vent de la consécration des droits fondamentaux et des droits subjectifs, mais c’est surtout la substitution de la régulation à la règlementation qui l’incarne et qui opère une mutation fondamentale dans l’approche de la régulation sociale des conflits. Sans qu’il faille considérer qu’il s’agisse du seul angle pour appréhender l’évolution et le renouvellement qu’opèrent le changement de paradigme et la nouvelle approche de l’accès à la justice, l’étude retient les modes non duellistes de règlement des différends comme l’une des voies intéressantes de renouvellement du concept d’accès à la justice et de l’offre de justice. Les MARC ou modes de PRD ont une place prépondérante dans la définition innovante et originale qui symbolise la nouvelle vision de l’accès à la justice. La définition renouvelée de l’accès à la justice représente le dépassement de sa vision ancienne, rigide et étroite. Elle en est l’actualisation à la fine pointe des productions intellectuelles contemporaines et des réformes législatives.

170

Introduction

Quelle définition peut-on retenir du concept d’accès à la justice ? L’accès à la justice est une préoccupation majeure et constante dans les sociétés démocratiques contemporaines. Précédemment, il a été reconnu qu’il pose des enjeux que la Cour suprême du Canada ne se reconnaît pas le pouvoir de trancher sans empiéter sur les prérogatives du pouvoir législatif531. L’expression est chargée de sens et de valeur, elle

dégage comme une aura magique qui fascine, mais incontestablement elle manque de rigueur. Elle ne possède aucune véritable définition532 ou en a trop, chacun l’entendant

et l’adaptant selon les besoins de l’usage particulier qu’il entend en faire. La démarche de la définir ou d’en proposer le renouvellement n’est pour ces raisons ni un luxe ni une ambition superflue.

Pourquoi faudrait-il repenser l’accès à la justice ? Il paraît indiqué de repenser l’accès à la justice dès lors qu’il est possible de relever à la suite d’éminents auteurs533 de

doctrine, que la conception qui pendant longtemps prédominait relativement à l’accès à justice est de plus en plus remise en cause. Quelle était donc cette conception de l’accès à la justice qui ne serait plus adaptée ? La conception institutionnelle de la justice et de son accès, tel qu’il sera plus amplement démontré dans la section I du présent chapitre, fait du droit formel étatique l’unique norme de règlement des différends sociaux et des tribunaux, les seules institutions d’application et d’interprétation des normes juridiques. L’évolution de la conception institutionnelle de l’accès à la justice va de pair avec la genèse, l’essor puis la consécration des entités étatiques modernes.

531 Voir nos développements partie I, chapitre II, I.2. La retenue de la jurisprudence face au concept

d’accès à la justice.

532 R. A. MACDONALD, préc., note 6, à la p.19.

533 Voir notamment J.-F. ROBERGE,préc., note 73 ; R. A. MACDONALD, préc. note 6, à la p.19 ; R. A.

MACDONALD, « L’hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques avancées », préc., note 12, p. 133; George A. LEGAULT, «La médiation et l’éthique appliquée en réponse aux limites du

droit» (2002-2003) 33 n°1-2 R.D.U.S., 153; J.-G. BELLEY, « Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le prochain code de procédure civile », préc., note 12, p.317 ; Louise LALONDE, «Médiation et droit : opposition, intégration ou transformation? Le «continuum» dans la pratique civile et commerciale de la médiation», dans Barreau du Québec, Service de la formation permanente, Développements récents en médiation (2001), Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 2001, p. 73.

171

Elle va se fonder sur des doctrines telles que le positivisme juridique534 et sur une

certaine idée du droit. Pour l’instant, il est suffisant de retenir que le mot droit recouvre plus d’un sens.

En théorie juridique, deux sens peuvent lui être attribués qui distinguent deux axes d’analyses. Le droit désignera tout d’abord dans un premier sens un système de règles qui tendent à organiser les rapports sociaux d’une société déterminée sous des formes spécifiques535. L’analyse du droit sous cette acception s’attache au système que

constitue le droit, au fonctionnement de ce système, à sa structure, à son évolution, à sa croissance, à ses soubresauts, à ses pathologies, ainsi qu’aux éléments et facteurs nécessaires à sa perpétuation ou en favorisant l’excroissance. Elle s’attache également aux causalités susceptibles d’entraîner sa disparition éventuelle. Le mot droit désignera par ailleurs dans sa deuxième signification, cet objet conceptuel, matière d’étude dans les universités notamment, de réflexions sur son sens, sa portée et ses enjeux. Dans cette acception, c’est la science juridique, discipline théorique sur un objet dénommé droit536

que l’on désigne. Les développements qui suivent ciblent particulièrement le droit dans son premier entendement. L’analyse critique du droit qui sera faite dans le présent chapitre se focalisera sur le droit en tant que système de normes juridiques, ensemble de règles édictées par une autorité souveraine dotée du pouvoir de coercition, destinée à régler et règlementer les rapports, les relations entre les multiples acteurs des sociétés humaines.

Sous cet angle, l’approche institutionnelle de l’accès à la justice poursuivant un dessein de construction du pouvoir étatique va faire de sa conception du droit, la seule susceptible de rendre la justice. Elle va, ce faisant, restreindre en cohérence avec ce qui vient d’être énoncé, l’accès à la justice à l’accès aux tribunaux et faire de ces derniers l’institution monorégulatrice des conflits sociaux. Le professeur Roderick Macdonald, l’un des auteurs les plus critiques de cette approche affirme en substance que sous le discours et les réformes visant l’amélioration de l’« accès à la justice » ce qui est en réalité poursuivi c’est l’« accès au droit ». Voici comment l’auteur exprime sa pensée :

534 Le positivisme juridique sera abordé plus en détail par la suite dans le présent chapitre voir I.1.1. Les

origines de l’approche institutionnelle de l’accès à la justice.

535 Michel MIAILLE, « La critique du droit », (1992) 20:21 Droit et société 75, p.79. 536 Id.

172

« Parler d’“accès à la justice” déplace deux fois ce qui devrait être notre objectif. Nous en venons à nous attacher à l’“accès” à la justice plutôt qu’à la “justice” elle-même ; et bien que nous proclamions que l’“accès à la justice” est un but, ce que nous visons réellement, c’est l’“accès au droit”. Les préoccupations les plus importantes des Canadiens au sujet de la justice ont peu à voir avec les droits fondamentaux au sens strict : elles concernent plutôt la reconnaissance et le respect. Et les obstacles les plus importants à l’accès à la justice ne peuvent être surmontés que si nous réorientons notre façon de considérer les différends, les droits, les jugements et les recours judiciaires du type tout ou rien ; l’injustice découle non pas des difficultés rencontrées lors des procès civils, mais des inégalités du pouvoir social. La plupart des propositions contemporaines d’améliorations de l’accès à la justice sont simplement la réaction d’un système officiel qui craint de perdre sa capacité de contrôler les autres institutions sociales où les gens négocient et vivent leur propre droit et les pratiques de la société civile. »537

Au-delà des critiques sur les paradigmes fondant l’approche institutionnelle de l’accès à la justice qui peuvent être perçues comme de pures controverses dogmatiques, c’est de manière plus cruciale ses limites quantitatives et qualitatives qui la remettent en cause. Est-il crédible de penser que le système judiciaire peut absorber et apporter une réponse à tous les litiges susceptibles de naître de la vie en société ? Est-il imaginable que les juridictions puissent dans un délai raisonnable accueillir les demandes de toutes les personnes qui auraient des droits à faire valoir en justice ? Est-il raisonnablement concevable que toutes les situations conflictuelles de la vie des citoyens soient adéquatement traduites en termes de droit, judiciarisées pour recevoir un traitement judiciaire ? Peut-on réduire sans risque la complexité de la vie, de tous les types de conflits aux normativités juridiques formelles étatiques ? Peut-on réellement croire que seules les normativités juridiques formelles émanant de l’État peuvent apporter les solutions idoines à tous les conflits ? Et finalement doivent-elles constituer les seuls vecteurs de la justice ? Répondre à ces questions sera l’occasion de réfléchir sur les limites qualitatives et quantitatives de la conception institutionnelle de l’accès à la justice.

537 Roderick A. MACDONALD, «La justice avant l’accès», notes de discours non révisées, dans CANADA,

MINISTERE DE LA JUSTICE, Compte rendu du symposium Élargir nos horizons, Redéfinir l’accès à la

173

Plus encore, une approche renouvelée de ce concept s’imposait, car peu de travaux récents ou de recherches scientifiques d’envergure lui ont été consacrés538. Après avoir

explicité le sens de l’expression accès à la justice, il est désormais possible de faire une analyse critique de l’hégémonie des institutions juridictionnelles étatiques comme instruments privilégiés d’accès à la justice (I). Si elle ne doit pas être rejetée systématiquement, cette approche de l’accès à la justice recèle cependant plusieurs limites dont il convient de prendre conscience. Ces limites combinées aux mutations sociétales et aux transformations de la régulation sociale commandent une définition actualisée de l’accès à la justice (II).

538 P.-C. LAFOND,préc., note 228; Julia BASS, W. A. BOGART, Frederick H. ZEMANS (dir.), L'accès à la justice pour le nouveau siècle : les voies du progrès, Toronto, Barreau du Haut-Canada, 2005; CANADA, COMMISSION DU DROIT DU CANADA, La justice réparatrice – Cadre de réflexion, préc., note 14; CANADA, Commission du droit du Canada, La transformation des rapports humains par la justice participative, préc., note 12; CANADA,MINISTERE DE LA JUSTICE, Compte rendu du symposium Élargir nos horizons,

Redéfinir l’accès à la justice au Canada, préc., note 12; QUEBEC,MINISTERE DE LA JUSTICE, Rapport du groupe de travail sur la révision du régime d’aide juridique au Québec, Pour une plus grande accessibilité

174

Section I. L’exposé critique de l’approche