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Section I. L’autopsie du concept de l’« accès à la justice »

I.3. Une brève analyse économique de la justice

I.3.1. La justice distributive

Qu’est-ce que la justice distributive ? Lorsqu’on s’intéresse à l’aspect économique de la justice, elle peut être définie comme une corrélation entre la rétribution et le mérite. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales199 accorde au mot justice le

premier sens suivant : « Principe moral impliquant la conformité de la rétribution avec le mérite, le respect de ce qui est conforme au droit »200. Cette définition se rapproche dans son premier terme de l’analyse économique de la justice, sous ce qu’il est convenu d’appeler la justice distributive. Pour connaître le sens exact de la justice distributive, il faut expliciter celui du substantif « distributive » qui lui est accolé. Le mot « distributive » est formé à partir du préfixe « dis » qui indique la séparation ou la dispersion et du suffixe « tribuere » auquel on peut accorder le sens « d’attribuer » ou « répartir ». Le terme a été emprunté au bas latin distributivus et signifie « qui répartit » ; il est attesté qu’il est employé dans son sens juridique depuis le XIVe siècle201. La

197 La justice peut-être définie dans ce contexte comme un service efficace si elle atteint les objectifs qui

lui sont assignés. L’efficacité dans ce cas est évaluée en confrontant les objectifs assignés au service public qu’est la justice et les résultats obtenus. Voir V. CHAMPEIL-DESPLATS et D. LOCHAK (dir.), préc., note 191, p.12.

198 La justice peut-être définie comme un service efficient, si elle permet d’obtenir les résultats recherchés

au coût optimal. L’efficience dans ce cas est évaluée en mettant en regard le degré de réalisation des objectifs poursuivis et le «coût» de cette réalisation. Id.

199 Centre National de Ressources Textuelles et lexicales(CNRTL), s.v. «justice», en ligne :

http://www.cnrtl.fr/definition/justice [CNRTL].

200 Id., s.v. «système», en ligne : http://www.cnrtl.fr/etymologie/système[CNRTL]. 201 Id., s.v. «justice», en ligne : http://www.cnrtl.fr/definition/justice [CNRTL].

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justice distributive a donc pour objectif de repartir les biens et les peines, les honneurs et la richesse, les profits et les sanctions entre les membres de la société selon les mérites. Dans ce sens, certains auteurs202 l’assimilent à la justice sociale dans son sens contemporain, dont le but ultime serait la répartition de manière idoine des biens et des charges, des droits et des devoirs entre les membres de la communauté.

Tout en s’accordant sur le principe de la répartition, l’une des difficultés de la justice distributive définie comme une corrélation entre la rétribution et le mérite, c’est la détermination du ou des critères de cette répartition. Comment déterminer le mérite203 de chacun ? Plusieurs éléments entrent en compte dans la détermination du ou des critères permettant d’opérer la justice distributive. La mesure du mérite dépendra du régime politique en place dans la société, des valeurs auxquelles cette société est attachée ou auxquelles elle se réfère, de sa culture entre autres. Il est certain que la mesure du mérite ne sera pas la même dans le système communiste204 et dans le système

capitaliste205 de type libéral. Et même dans des sociétés culturellement proches ou dont

le système économique est plutôt semblable, la mesure du mérite n’est pas forcément la même. Elle n’est par exemple pas identique en France206 et au Royaume-Uni207.

Dans le courant de la justice organisationnelle208 qui comporte un aspect psychologique,

notamment dans les recherches sur les organisations, la justice distributive est définie

202 J. RAWLS, préc., note 149; M. BLAIS, préc., note 148, p.121-122.

203 M. BLAIS, préc., note 148, p.131 et suiv. L’auteur y explore particulièrement bien les enjeux de cette

question.

204 Le système communiste a un mode d’organisation sociale fondée sur le rejet de la propriété privée

des moyens de production et d’échange et privilégie la propriété collective. Dans une telle société le mérite individuel sera moins mis en exergue et se mesurera en rapport avec l’effort collectif, suivant la philosophie chacun contribue selon ses capacités et reçoit selon ses besoins.

205 Le système capitalisme a un mode d’organisation sociale fondée sur l’appropriation privée des moyens

de production et d’échange et l’accumulation individuelle du capital. Dans une telle société, le mérite est avant tout individuel et la répartition des biens est considérée comme juste si elle est proportionnelle au risque pris même si elle engendre un déséquilibre et une concentration de richesses entre les mains de quelques individus.

206 Marie FONTANEL, Nicolas GRIVEL et Valérie SAINTOYANT, Le modèle social français, coll. Débats

publics, Paris, Odile Jacob, 2007 ; France, Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), L’économie française, comptes et dossiers: rapport sur les comptes de la Nation de 2008, INSEE, 2009.

207 OCDE, Études économiques de l'OCDE : Royaume-Uni 2009, Études économiques de l’OCDE,

volume 2009/9, juin 2009, OECD Publishing, 2010; Jean-Pierre DUMONT, Les systèmes de protection sociale en Europe, 4e éd., Paris, Économica, 1998.

208 La justice organisationnelle, en tant que domaine de recherche, désigne la partie de la psychologie

s’intéressant aux perceptions de justice dans les organisations. Voir Jerald GREENBERG et Jason A. COLQUITT (dir.), Handbook of Organizational Justice, New York, Psychology Press, 2005; Zinta S.

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comme le rapport cognitif que fait l’individu entre sa contribution et sa rétribution en comparaison d’autres éléments du groupe placés dans la même situation que lui. Elle est en lien étroit avec le principe d’équité. L’un des pionniers qui ont théorisé cette dimension de la justice organisationnelle est John Stacey Adams209 en 1965.

La justice distributive est souvent utilisée dans le domaine de l’entreprise pour ce qui est de la répartition des avantages qui sont forcément limités (salaires, primes, congés, mutuelles). Des études ont démontré qu’il doit exister un rapport de proportionnalité équitable pour un employé entre ce qu’il reçoit de l’entreprise et ce qu’il lui apporte. La dimension de la justice distributive permet de mesurer cette perception de l’individu vis-à-vis du résultat. Selon l’évaluation opérée par celui-ci, sa réaction et son comportement vis-à-vis du résultat et de l’organisation n’est pas la même. Lorsqu’il perçoit un déséquilibre, il cherche par divers moyens à le compenser210. Lorsqu’il

perçoit que la rétribution qu’il reçoit est inférieure à la contribution qu’il fournit, il aura un sentiment d’iniquité, il sera tenté de fournir moins d’effort ou de se « payer » autrement, en utilisant par exemple à des fins personnelles le matériel de l’entreprise. Lorsqu’il perçoit que la rétribution qu’il reçoit est supérieure à la contribution fournie, il aura un sentiment de culpabilité et sera tenté de faire plus d’effort pour l’entreprise. Les auteurs211 expliquent que la justice distributive n’est pas facile à atteindre dans les

entreprises, car elle dépend d’éléments déterminants comme la nature des contributions/rétributions prise en compte par exemple par les salariés et leurs référents, qui serviront à comparer leurs rapports contributions/rétributions. Or chaque salarié peut faire intervenir des facteurs différents dans son évaluation de la justice sociale.

BYRNE et Russell CROPANZANO, “The history of organizational justice: The founder speak “ (2001) dans

Russell CROPANZANO (dir.), Justice in the workplace: From theory to practice Vol. 2, New York, Lawrence Erlbaum, pp. 3-26; Robert J. BIES et Thomas M.TRIPP, “The use and abuse of power: Justice as social control” dans Russell CROPANZANO et K. Michele KACMAR (dir.), Organizational politics,

justice, and support: Managing the social climate of the work place, New York, Quorum Press, 1995, p.

134-145. Ces auteurs affirment que : « la justice organisationnelle peut être définie comme étant l’ensemble des règles et normes sociales gouvernant (1) la manière dont les résultats doivent être alloués, (2) les procédures qui doivent être utilisées pour prendre les décisions et (3) la nature du traitement interpersonnel que les individus doivent recevoir » p.134 (notre traduction).

209 J. Stacy ADAMS « Inequity in social exchange » (1965), dans Leonard BERKOWITZ (dir.), Advances in experimental social psychology, vol. 2, New York, Academic Press, pp. 267-299.

210 Dirk D. STEINER et Florence ROLLAND, « Comment réussir l’introduction de changements : les apports

de la justice organisationnelle», dans Claude LÉVY-LEBOYER, Claude LOUCHE et Jean-Pierre ROLLAND,

RH : les apports de la psychologie du travail. Management des organisations, T.2, Paris, Eyrolles, 2006

[Steiner et Rolland, «Comment réussir»].

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La justice commutative repose elle de son côté sur d’autres critères.