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Introduction au cadre théorique

Chapitre 2 Réseau social et dispositif médiatisé

4. L’attention dans l’espace en ligne

4.3. Attention et polyfocalisation

4.3.2. Des régimes d’attention « divisée »

Les chercheurs ne sont pas tous d’accord sur l’importance à donner au niveau d’attention dans des situations d’apprentissage. Certains pensent ainsi que ces structures attentionnelles en usage construisent des modes cognitifs différents. Nous présentons trois propositions cherchant à qualifier l’attention façonnée dans les espaces connectés et leurs conséquences sur l’apprentissage : l’hyper-attention, l’attention partielle continue et l’attention exploratoire.

4.3.2.1. L’hyper-attention

Hayles (2007) entrevoit une mutation cognitive attentionnelle qu’elle appelle « hyper-attention » et qu’elle oppose à une hyper-attention profonde qui serait une captation de l’hyper-attention par un seul objet pendant une longue durée31. L’hyper-attention est un moyen de faire avec les changements rapides d’environnements contextuels dans lesquels de nombreuses sources d’attention sont constamment en compétition. Pour Hayles, ce changement cognitif est un défi qui se présentent aux modèles d’enseignement et d’apprentissage, qui eux, se construisent sur un modèle d’attention profonde. Une des solutions qu’elle aperçoit est du côté du média social qui permettrait de « construire des ponts entre l’attention profonde et l’hyper-attention (Hayles, 2008 : 195)32. Ces deux styles cognitifs auraient donc des avantages et des inconvénients différents. Ressource puissante pour l’apprentissage et la résolution de tâches complexes, l’attention profonde serait au détriment de l’attention à l’environnement et à l’imprévu et une ressource moins flexible que l’hyper-attention, mieux adaptée quant à elle aux activités multi-tâches des environnements numériques.

4.3.2.2. L’attention partielle continue

Pour Davidson (2011) il existe un mode d’ « attention partielle continue » qui nous oriente dans de multiples directions de manière simultanée, lorsque nous surfons sur Internet par exemple, et qu’elle conçoit comme « une compétence de survie numérique » (p.287, cité par Citton, 2014b : 267). En tant qu’attention polyphonique, elle peut être source de différence et de créativité. Il s’agit aussi d’une attention flottante présente dans les régimes attentionnels caractérisés par le détachement. On peut rapprocher ce régime attentionnel de celui du « flâneur » (Joseph, 1984). Elle présuppose une déambulation dans l’univers des choses.

31 La formulation montre bien qu’il s’agit d’une analyse à partir de travaux neuroscientifique qui envisage l’attention individuelle, alors que nous l’envisageons essentiellement comme un phénomène collectif. Toutefois, rappelons quand même que la concentration attentionnelle ne peut être qu’un régime temporaire et que, la plupart du temps, de nombreuses choses attirent notre attention en même temps, avant que, parfois, nous choisissions de nous concentrer sur une tâche unique.

32 Le média social en effet nous paraît associer un design de la visibilité à un design de la lisibilité, que le « flâneur » et le « liseur » peuvent s’approprier tous deux.

L’expérience du flâneur à l’attention flottante, c’est celle de « l’intrus qui cherche sa place sans vouloir être celui qu'on attend » (Breviglieri et Stavo-Debauge, 2007), dans un espace que l’on ne s’est pas encore approprié, un espace dans lequel notre place n’est pas encore déterminée. Elle nécessite une « grammaire de la mobilité » (ibid.).

4.3.2.3. L’attention exploratoire

Selon Auray (2011), le régime d’attention exploratoire est un régime d’ « attention divisée » qui maintient « une attention non focalisée, par dédoublement de l’activité intellectuelle entre une tâche planifiée et un canal de distraction » (p.331). Elle correspond à une sorte de liberté anarchique favorisée par les réseaux numériques et leurs interfaces, assez significative des réseaux sociaux et du web participatif en tant que réseau de liens, sans programmation sémantique prédéfinie. Ce mode d’engagement dans la situation propre à l’exploration

ne s'ordonne pas suivant […] une activité planifiée. Il privilégie et valorise l’expérimentation sur la rationalisation et les tâtonnements sur les apprentissages formels. Auray, 2011 : 335.

Ce régime n’est pas simple ouverture à l’imprévu, car l’internaute doit pouvoir rattacher l’enchaînement des rencontres ponctuelles et des bifurcations aléatoires pour donner du sens à son activité. Sur Internet, l’exploration connaît trois catégories :

• l’exploration documentaire, où l’internaute passe de contenu en contenu, d’un objet à l’autre, jusqu’à s’arrêter à celui qui répond à ses attentes,

• l’hypertexte, où l’exploration est un mode attentionnel gouverné par l’hypertexte qui le mène à explorer autre chose,

• le réseautage où l’exploration peut être dirigée par l’attention portée aux autres internautes33.

L’engagement exploratoire prend du temps ; en cela, il se distingue du régime de l’alerte, mais s’en rapproche par l’excitation curieuse sur laquelle il repose.

Ce mode d’attention curieuse est marqué intentionnellement et reconnu, identifié comme tel par les acteurs. Il s’agit d’une posture face à l’activité qui permet de « se rendre disponible à des perturbations, à ne pas les traiter comme des interruptions » ni comme des dispersions (Auray et Vétel, 2014 : 158).

33 On retrouve dans ces trois modes exploratoires les modes de sociabilité numérique repérés par des sociologues comme Ito et al. (2010) : le « hanging out » est un mode d’engagement conduit par l’amitié, motivé par le fait de passer du bon temps ensemble, le « geeking out » est le fait de se plonger dans un domaine en profondeur pour en tirer une connaissance nouvelle et approfondie, et le « messing around » se réfère à l’exploration, au fait de naviguer au hasard et de se frotter à l’extérieur et au nouveau, à la navigation exploratoire pour trouver de nouveaux « trucs » (Ito et al., 2010 ; Horst et al., 2008 ; Coutant, 2011).

Ces trois façons d’envisager l’attention dans l’apprentissage en ligne nous paraissent interroger la polyfocalité de l’attention façonnée par le média en ligne et son intérêt pour l’apprentissage.

5. Synthèse

Nous avons consacré ce chapitre au dispositif pédagogique médiatisé.

Dans une première section, nous avons vu que le dispositif de formation relève d’une intention de médiation et offre un cadre pour initier et faciliter l’apprentissage. Nous retenons que :

• Le dispositif possède un certain caractère normatif, car il procède toujours d’une intention de conception. Cependant, il s’actualise toujours dans un entre-deux de liberté et de contrainte, d’autonomie et de régulation, du fait de ses caractéristiques à la fois facilitatrices et contraignantes, par les actes d'apprentissage qu'il favorise et les conditions d'action qu'il impose.

• Un dispositif émane de ses usages, c’est-à-dire d’un processus dynamique et émergent ; les usages d’un dispositif sont des arrangements particuliers que les individus construisent en situation. L’activité dépend du caractère enrôleur du dispositif.

En tant qu’instrument pour l’autonomisation des acteurs,

• il s’appuie sur les interactions entre ces éléments pour permettre des trajectoires d’apprentissage plus flexibles, moins intentionnelles, au pilotage plus flou ;

• il doit faciliter l’exploration de l’environnement et l’engagement dans des activités, favoriser une autonomie participative.

Le média social, par sa structure, peut faciliter ces processus d’autonomisation.

Dans une deuxième section, nous avons envisagé l’espace hybride proposé par le dispositif. Un dispositif hybride implique des espaces d’apprentissage différents. Il nous apparaît important de chercher à comprendre comment s’articulent ces espaces, comment s’opérationnalisent des agencements d’espace. De tels dispositifs amènent leurs usagers à opérer des arbitrages entre les espaces. Pour comprendre ces arbitrages, il nous faut d’abord comprendre comment ces différents espaces s’articulent au sein du dispositif. Le terme qui convient pour parler de ces articulations est celui d’ « agencement » ; en effet, nous pensons que ce terme reflète mieux leur caractère dynamique. Les choix, les arbitrages et les

articulations se font dans l’action et selon le contexte de l’activité. Ces choix ne sont pas définitifs, ils sont labiles, à la fois collectifs et individuels.

Ces notions nous permettront de cerner la façon dont les utilisateurs du Rezolumière conçoivent cet espace en ligne et le combinent ou non avec les autres espaces de leurs activités, et cela en rapport avec les autres acteurs des situations de formation dans lesquelles ils sont engagés. Cela implique pour le chercheur de tenter de « tracer les conceptions et les représentations de l’espace social soutenu et produit par les participants » (Leander, 2002 : 234) au travers de leur activité et de leurs discours. Cela implique de comprendre comment l’espace d'apprentissage est étendu par l'usage d’un média numérique. Il faut dès lors s’intéresser aux trajectoires entre les lieux d’apprentissage en déterminant la façon dont les apprenants vivent et conçoivent les rapports entre les objets spatiaux selon les modes différents :

o de l’interface : les espaces se jouxtent par la limite, la frontière

o de la cospatialité : chevauchement des espaces dans des agencements complexes

o de l’emboitement : relation d’inclusion

L’émergence de nouvelles possibilités d’agencements spatiaux se traduit par de nouvelles logiques de compétition. L’espace d’enseignement / apprentissage est un agencement qui se réinvente sans cesse, selon des arbitrages individuels et collectifs.

Dans une troisième section, nous avons envisagé le dispositif pédagogique comme dispositif attentionnel. La question de l'attention rejoint la question de la valeur accordée à la situation, à l'outil et à certaines configurations de travail. L’attention représente notre capacité à sélectionner ce qui est pertinent, pour nous et dans une situation donnée, dans le monde qui nous entoure. Elle prend une dimension matérielle par le design d’une interface. Notre attention. L’attention passe par des opérations de filtrage et de cadrage qui sont médiatisées par les dispositifs techniques. Les dispositifs pédagogiques médiatisées sont des mises en forme de l’attention.

Les médiations attentionnelles peuvent se définir par quatre régimes :

• un régime de fidélisation, créé par la répétition et où l’attention va aux indices de reconnaissance ; il recherche les certitudes du connu.

• un régime d’alerte, basé sur l’attention à la nouveauté ; c’est aussi un régime de l’incertain.

• un modèle de la projection, qui permet de capter l’attention autour d’un projet planifié. L’attention est captive d’un projet unique et univoque.

• Un régime de l’immersion, où l’attention est multifocalisée.

A l’échelle du site de RSN, ces régimes d’attention se retrouvent tous potentiellement dans le design, mais ce sont les usages du site qui vont révéler les régimes d’attention actualisés par les utilisateurs. Cependant, la communication médiatisée par les RSN est une communication qui a aussi pour but d’attirer l’attention sociale et les dispositifs communicationnels du web social reposent sur un « ethos de polyfocalité » (Jones, 2004). Vivre dans le monde numérique demande de savoir orchestrer cette polyfocalité. Mais cette « compétence » est reconnue différemment suivant que l’on parle d’hyper-attention, d’attention partielle continue ou d’attention exploratoire.

Ces notions de dispositif, d’autonomie, de régimes d’interspatialité et de régimes attentionnels servent la compréhension de ce que font les acteurs dans le dispositif de formation et comment ils conçoivent et se représentent le dispositif et ses différents éléments.

Dans le chapitre suivant, nous examinerons la façon dont les acteurs intègrent de nouveaux artefacts à leur environnement de travail en nous appuyant sur les notions d’appropriation et d’affordance.

Chapitre 3 Intégration des TIC et