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l’apprentissage des langues

Chapitre 4 Affordances sociales du réseau socio-pédagogique

3. Les formes sociales collectives en ligne

3.3. La communauté d’apprentissage

Certains chercheurs dans le domaine de l’éducation ont depuis questionné le paradoxe qui existe entre les cadres du web social et l’idée de communauté d’apprentissage, ou de pratiques. Barton et Hamilton (2005) font remarquer que dans les pratiques quotidiennes, un certain nombre de champs de l’action sociale ne sont pas caractérisés par des objectifs partagés stables et bien définis, mais les acteurs agissent avec des logiques différentes et potentiellement conflictuelles. Alors que l’idée de communauté d’apprentissage se rattache à l’idée d’une organisation plutôt contrainte et à celle d’une activité orientée vers des tâches bien définies, certaines formes de collectif peuvent avoir des modes d’adhésion diffus, soutenir des régimes d’engagement ambivalents – les participants peuvent jouer un rôle actif dans l’environnement ou bien se laisser guider par les structures émergentes de la participation des autres- et des répertoires incomplets de ressources partagées. Ces caractéristiques ne sont pas forcément marginalisantes, notamment sur le web. Mais, notent Dron et Anderson (2009, n.p.), le paysage institutionnel ne conduit pas souvent à des systèmes sociaux informels et émergents, « les écosystèmes développés dans les contextes institutionnels ressemblent plus à des jardins qu’à des jungles, tenus et cultivés par des enseignants plein de ressources ». Le véritable potentiel des réseaux et des collectifs, selon eux, en particulier leur rôle comme déterminant de la structure, n’est pas exploité. Ces nouvelles formes collectives permises par les espaces interactifs sociaux en ligne remettent en question la participation et l’engagement des étudiants. Certains chercheurs dans le domaine de l’éducation ont ainsi questionné cette association entre liens forts et communautés, haut degré d’engagement et réseaux sociaux (Zourou, 2012).

En termes d’apprentissage en ligne, se saisir du terme de « communauté » signifie prendre en compte les théories socio-constructivistes qui voient l’apprentissage comme l’intégration d’une culture par les interactions sociales. Il permet de se dégager fortement d’une empreinte béhavioriste trop longtemps attachée à l’emploi des technologies. Il met en valeur la structure

sociale pour laisser secondaire la technologie, car « le terme ne décrit pas un environnement technique, mais une construction sociale utilisant cet environnement» (Dillenbourg et al, 2003 : 14). Mais la forme sociale communautaire comme « label qualité » des interactions et de la sociabilité en ligne semble trop faire référence à ce profil idéal-typique de l’internaute et de l’apprenant, « individu altruiste motivé par l'action collective » (Aguiton et Cardon, 2007 : 52). Les espaces du web social ne sont pas investis de la même manière partout en même temps, les régimes d’appartenance et de participation sont diffus et variés et les espaces sociaux d’apprentissage, même institutionnels, n’échappent pas à ces règles. Cela nous invite à mettre l’accent sur des dynamiques de réseau et de processus. Le concept de réseau comme « maillage de pratiques » (nexus of practice, Scollon et Scollon, 2003) permet de prendre en compte des formes de collectifs « émergeant de la fluidité générale de l’interaction sociale » (Barton et Hamilton, 2005 : 26) sans les figer a priori dans des formes communautaires définies et de manière idéal-typique. L’analyse des réseaux permet de mieux prendre en compte la dynamique du monde social comme « caractérisé par de multiples appartenances », aux frontières non résolues et dont les formes collectives « existent dans une variété de relations de l’une à l’autre, dans un rapport à la fois de soutien et de compétition » (Barton et Hamilton, ibid.). Ces formes collectives n’impliquent pas une entité culturelle partagée homogène, « ni une nécessaire co-présence, un groupe bien défini et identifiable ou des liens sociaux visibles » mais « la participation à un système d’activité à propos duquel les participants partagent une même compréhension de ce qu’ils sont en train de faire » (ibid., p.98).

Ces formes diffuses de collectif profitent de dynamiques sociales propres à l’Internet et des effets de réseau qui les font évoluer de manière auto-organisée. Nous parlerons de « trajectoire de réseau » (Kilduff et Tsai, 2003 : 88) pour rompre avec des descriptions de réseau qui suggèrent une stabilité peu réaliste, et parce qu’il s’agit d’étudier des changements dans les réseaux. Kilduff et Tsai (2003) identifient deux processus de mise en réseau, qui vont produire des trajectoires différentes : une trajectoire de réseau dirigée par un objectif (goal

directedness) et une trajectoire dirigée par une sérendipité (serendipity).

Les trajectoires dirigées par l'objectif se développent autour de buts que les membres partagent, alors que dans les réseaux conduits principalement par la sérendipité, les trajectoires se développent de manière aléatoire à partir des interactions des acteurs individuels. La première trajectoire se relie à la finalité alors que la seconde capitalise sur des processus de chance et d'opportunité. Dans les processus par sérendipité, il n'y a pas de buts

pour conduire le processus d'interaction et les acteurs individuels font des choix à propos des personnes avec qui se connecter et sur l'objet de la transaction, sans guidage a priori concernant les buts et les stratégies.

Le premier type est centralisé autour de leaders clairement identifiés, d’un agenda clair et de buts communs qui renforcent le réseau ; les membres sont connectés avec un nombre important d'autres membres, les frontières sont claires entre membres et non-membres, avec un contrôle explicite concernant l’adhésion. Dans les réseaux de sérendipité, ou qui préservent la sérendipité, il n’y a pas de cœur centralisé de membres et ceux-ci ne sont connectés qu’à une petite partie du réseau dont les frontières sont lâchement définies. Les membres n’ont pas de vision claire de la structure du réseau, pas de vision fonctionnelle et les bénéfices et les responsabilités des membres sont donc peu claires ou sont tacites. L’addition ou la perte de membres n’affectent que peu l’ensemble du réseau qui observe souvent un turn-over relativement important. Les interactions sont généralement permises soit par la localisation géographique, soit par un contexte social.

Dans les mêmes réseaux, il est possible de voir, dans le temps et dans l’espace, des périodes alternées ou concurrentes de direction par le but ou de sérendipité.

Notre but est de déterminer, en examinant les échanges en ligne sur le réseau socio-pédagogique, si les processus interactifs font évoluer le réseau vers des trajectoires dominées par l’activité et une intention ou vers des trajectoires aléatoires, par opportunité.

Nous retiendrons donc une définition souple de formes de collectifs, puisque, nous l’avons vu, le terme « communauté » véhicule des idées quelque peu maximalistes en termes d’engagement et de collaboration. Le point de départ d’une définition serait celui que Barton et Tusting (2005) proposent dans l’introduction de leur ouvrage Beyond communities of

practice : des gens se regroupent pour réaliser des activités, dans la vie de tous les jours, sur le

lieu de travail ou en éducation. Ces regroupements sont perçus comme distincts des structures formelles de ces mêmes domaines et se caractérisent par trois aspects essentiels : (1) les membres interagissent entre eux de manières variées, (2) dans un effort attentionnel au collectif et (3) ces interactions développent dans le temps un répertoire partagé de ressources de langages, de styles et de routines qui construit une identité collective imaginée. Mais cette identité est toujours en recomposition, Cette conception permet de reconnaitre les variétés des réseaux et des groupes à l’intérieur même d’institutions et de structures formelles, et les autres façons de se grouper en équipes, selon les lieux et les relations. L’entreprise partagée est définie par les participants en cours de processus, le fruit d’une négociation. L’organisation

collective est une constellation de pratiques, une conception plus large qu’une communauté, dont les regroupements sont de tailles multiples et temporaires et reposent sur le sentiment de présence ambiante caractéristique des réseaux. C’est cette notion de présence en ligne que nous étudierons dans la section suivante.