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communicatives du réseau socio- socio-pédagogique

1. L’écrit en ligne

1.2. La conversationnalisation de l’écrit connecté

1.2.2. La conversation en ligne

Sur le web, on utilise l’écrit pour une pratique autrefois réservée à l’oral, celle de la conversation ordinaire. Le rapprochement de ces deux activités autrefois disjointes, l’écriture et la conversation, par l’interface produit des « effets de contamination » (Beaudouin, 2002 : 210) entre les deux. L’apparition de « formes écrites transitoires » (p.202) comme la conversation sous forme écrite, modifie ainsi les statuts de l’écrit et de l’oral, ainsi que les frontières entre le formel et l’informel.

La conversation nous intéresse comme affordance du réseau socio-pédagogique de deux manières :

- comme instrument d’extension des groupes sociaux. Toute communauté « suppose une vie publique » (Conein, 2006 : 170) pour une transmission horizontale de l’information et de la connaissance au-delà des dyades ou des tryades. De plus, elle permet des « niches relationnelles » (ibid.) qui permettent de choisir ses partenaires et d’étendre son réseau de relations.

- comme instrument d’apprentissages langagiers.

C’est aux caractéristiques langagières de la conversation que nous porterons maintenant notre attention.

1.2.2.1. La notion de conversation

La conversation est un type de dialogue qui a les caractéristiques de base suivantes (van Lier, 1996 ; Bigot, 1996 ; Kerbrat-Orecchioni, 1996) :

- les échanges ne sont pas planifiée à l’avance (ou seulement certains éléments peuvent l’être) et sont donc imprévisibles, dans leur séquentialité, leur résultat et leurs thèmes ; - il s’agit d’un type de dialogue qui aspire à un haut degré de symétrie : les droits et

devoirs des interlocuteurs sont également distribués dans le déroulement de l’interaction ;

- elle est soumise à une contingence (c’est-à-dire un caractère dépendant et incertain) réactive et mutuelle et à une forte indexicalité62 ;

62 On peut définir l’indexicalité comme la propriété de dépendance au contexte des signes (Jones, 2014 ; Scollon et Scollon, 2003). Ce sont des caractéristiques de la « présence connectée » (Licoppe, 2012 ; cf. chapitre précédent).

- elle a un caractère plus ou moins familier.

La notion de « conversation » peut être plus ou moins restrictive que celle pensée par l’usage courant de la conversation « à bâtons rompus », sans finalité particulière, où

l’élément central pour définir la conversation par rapport à d’autres types d’interactions est son objectif, que l’on caractérise parfois par son absence, en taxant la conversation d’activité gratuite. Traverso, 2002 : 142, cité par Combe Celik, 2010 : 102.

Nous choisissons pour notre part une définition plus large de la conversation, à l’instar de Gee et Hayes (2011) qui envisagent la conversation comme un continuum qui irait de la « petite conversation » (small talk), où l’interaction sociale est plus importante que le contenu, à la « grande conversation » (big talk)63, où le contenu est plus important que l’interaction ou la relation sociale, en passant par la conversation « moyenne » (middle talk), où l’interaction / la relation sociale et le contenu sont d’égale importance. Ce continuum de la conversation est celui d’une performance qui cherche à accomplir une certaine solidarité sociale et un lien avec les autres versus une conversation qui exprime plus de distance sociale et moins de solidarité et de liens (Gee et Hayes, 2011 : 30). Pour Goffman (1991), la conversation n’est pas en prise avec des « sujets sociaux d’envergure ». Il s’agit plutôt des « petits bavardages » qui accompagnent un « projet d’envergure » et se logent dans ses « interstices », pour y « demeurer sans conséquence » (p.491).

1.2.2.2. La conversation en ligne

Dans un article portant sur l’analyse conversationnelle des forums de discussion, Marcoccia (2004) discute de l’acception du mot conversation au travers de la matérialité du média social. Ainsi, la première question qu’il se pose est l’unité de l’interaction. Il rappelle la définition qu’en donne Kerbrat-Orecchioni (1990) :

Pour qu'on ait affaire à une seule et même interaction, il faut et il suffit qu'on ait un groupe de participants modifiable mais sans rupture, qui dans un cadre spatio-temporel modifiable mais sans rupture, parlent d'un objet modifiable mais sans rupture. Kerbrat-Orrecchioni,1990 : 216 ; cité par Marcoccia, 2004 : 27-28.

L’unité de la conversation se fait autour d’une unité thématique et/ou d’une unité de site. A partir de cette définition, nous posons, avec Marcoccia, les éléments de définitions suivants en les étendant aux sites de réseaux sociaux qui nous intéressent :

- l’asynchronie et l’étalement dans le temps de l’interaction favorisent la dispersion thématique dans les conversations ;

- l'unité du cadre participatif est difficile à faire car il n’y a pas de groupe de participants identifié a priori alors même qu'il y a beaucoup d'entrée et de sorties de participants ; - les conversations sur les RSN et les forums sont persistantes et discontinues, ce que

Goffman désigne par « un état de parole ouvert » (Goffman, 1987 : 40).

De la sorte, nous retiendrons que les outils de communication des sites de réseaux sociaux permettent des « polylogues discontinus médiatisés par ordinateur » (Marcoccia, 2004 : 28) qui favorisent la fragmentation, l'émergence et la bifurcation de sous-groupes conversationnels. Ces dispositifs de communication en ligne sont des « dispositif[s] interactionnel[s] permettant l’émergence d’interactions focalisées au sein d’un espace d’interaction diffuse » (de Fornel, 1989 : 33).

1.2.2.3. Le cadre participatif en ligne

Le cadre participatif des interactions en ligne a ses particularités. Si l’on considère participant à l'interaction toute personne qui peut se trouver à un moment donné dans l'espace de l'interaction, il est possible d’identifier trois types de participants, selon leur mode d'engagement (Marcoccia, 2004) :

- les lecteurs silencieux (lurkers, cf. infra) qui ne laissent aucune trace dans l'espace d'interaction ;

- les participants occasionnels ;

- les animateurs qui se distinguent des seconds soit par la qualité des messages publiés qui va traduire le rôle qu'ils assument dans l'espace d'interaction et la nature des relations avec les autres participants, soit par la quantité des messages postés. Le problème de la ratification des participants à l’interaction est complexe. Les médias sociaux prévoient la lecture à l'insu comme forme de participation et donc rend normale la position de lurker, c’est-à-dire de « celui qui écoute aux portes » (Marcoccia, 2004 : 35). On va alors pouvoir distinguer deux ordres de participants « non-ratifiés » :

- ceux qui sont en mesure de surprendre la conversation mais tout en étant perçus par les autres (ceux qui accèdent à l'espace en ligne en se connectant) et

- ceux qui sont en mesure de le faire mais dont la présence n'est pas perceptible (ceux qui accèdent à l'espace en ligne sans se connecter).

Le Rezolumière, comme tout RSN, fournit d’autres outils de conversation que le forum, dont les affordances communicatives sont proches bien que l’interfaçage de la conversation soit différent. Des ordres de conversation différents se construisent selon les lieux de leur inscription discursive. Le mode conversationnel le plus minime est le « j'aime ». Un acte plus impliquant, générant une relation plus dyadique est la demande d'amitié. Sur le RSN qui nous occupe elle est d'ailleurs indispensable à d'autres actes d'échanges en dyade, comme l'envoi de courrier électronique. Parfois, elle s'accompagne d'inscription sur la page de profil de l'autre membre avec lequel on souhaite installer un début de conversation. Les deux autres outils sont l’actualisation du statut et la fonction de commentaire de publication qui conversationnalisent l’espace en ligne64.

1.2.2.4. Les unités de l’échange

La plupart des définitions de la conversation présuppose le « tour de parole » et l’unité de base comme la paire adjacente. On peut donc identifier, avec Combe-Celik (2012) quatre unités de la conversation :

• La contribution isolée : une contribution initiative postée par un membre qui est resté isolée car personne n’y a directement répondu.

• L’échange dialogal : un échange entre deux contributeurs constitué d’une contribution initiative suivie d’une contribution réactive ;

• L’échange polylogal : un échange d’au moins trois interlocuteurs constitué d’une contribution initiative suivie de plusieurs contributions réactives.

• L’appréciation « j’aime » : une contribution réactive a minima propre aux médias sociaux.

Cependant, par rapport aux forums, les sites de réseau sociaux permettent des échanges conversationnels plus asymétriques et où la réciprocité est moins obligatoire. L’ « échange communicationnel réciproque et fréquent » (ibid.) n’existe qu’entre personnes du premier cercle65. Les utilisateurs ne sont pas obligés de compléter un échange conversationnel, ce n’est pas synonyme de rejet car il y a moins d’attente à l’égard d’une réponse personnelle. On observe ce que Zappavigna appelle « une dilution des obligations de la conversation » (2013 : 31). De plus, la persistance des traces permet aux participants de pouvoir entrer et sortir de la

64 a fortiori sur le Rezolumière qui ne permet pas de sélectionner de manière fine les personnes qui ont accès à votre activité (cf. chapitre précédent).

65 Selon les données de la Facebook Data Team, un utilisateur de Facebook ne développe une communication réciproque qu’avec 5 personnes pour les hommes et 7 pour les femmes (Cardon, 2012 : 36)

conversation. Celle-ci s’étend dans le temps. La notion de persistance est la dimension permanente de l’interaction écrite à l’écran et a été proposée par Herring (1999). La dimension persistante permet notamment la cohérence de l'échange médiatisé dans une temporalité élargie.

1.2.2. La persistance des échanges et la polyfocalité