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l’apprentissage des langues

Chapitre 4 Affordances sociales du réseau socio-pédagogique

3. Les formes sociales collectives en ligne

3.1. La communauté en ligne

Le concept de communauté en ligne56 a émergé depuis une vingtaine d’années avec l’arrivée d’Internet, et a fait florès depuis, mais il reste un concept assez flexible d’autant plus que les formes concrètes de ses apparitions évoluent avec les plateformes relationnelles du web. Nous voudrions en proposer une relecture critique.

Rheingold (1995) a été l’un des premiers à définir les communautés en ligne comme « des regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace » (p.6). Lave et Wenger (1991) retiennent quant à eux l’idée qu’une communauté consiste en un « agrégat de personnes qui se rassemblent à la faveur d’un engagement mutuel dans une activité » (Eckert and McConnell-Ginet, 1992 : 464) et que c’est à la faveur de cette activité que les particularités de la communauté, ses pratiques, vont émerger : manière de faire et de parler, croyances, valeurs et relations de pouvoir. Ces deux définitions conjuguent les éléments essentiels de tout collectif, la relation et la participation : Rheingold met l’emphase sur la relation alors que Lave et Wenger mettent l’accent sur la participation dans la pratique. Pour les auteurs, une certaine quantité dans la relation (nombre d’individus / temps) et une certaine qualité de la participation (engagement mutuel) semblent nécessaires. La construction d’une communauté relèverait ainsi de la pérennité d’histoires partagées entre les membres (Rovai, 2002), construisant des sentiments d’appartenance et de connectivité, d’interdépendance mutuelle reposant sur la confiance, des valeurs, des attentes et des buts communs.

Le concept de communauté étant très vaste, de nombreux auteurs se sont attelés à tenter de définir les types de communautés en ligne, selon des critères variés. La tentative la plus aboutie dans le champ de l’éducation est sans doute celle proposée par Henri et Pudelko (2003), dont la typologie a été reprise de nombreuses fois.

56 ou « communautés virtuelles » pour certains auteurs, mais nous souhaitons éviter l’ambiguïté du terme « virtuel » et la dichotomie réel / virtuel ; nous renvoyons à Vial (2013) et Latzko-Toth & Proulx (2006) pour une analyse de la notion de virtuel. De plus, nous considérons qu’il n’y a pas de différence essentielle dans le fonctionnement social des communautés en ligne et des communautés présentielles.

Cette catégorisation des communautés s’appuie sur la théorie de l’apprentissage social de Lave et Wenger (1991) et donc sur l’idée d’un apprentissage situé. L’intérêt de leur proposition et d’établir une typologie qui part du contexte d’émergence de la communauté. Les auteurs définissent les types de communauté en mettant en interaction deux composantes du contexte social de leur émergence : la force des liens sociaux et la force de l’intention à l’origine du rassemblement. La communauté d’intérêt est le rassemblement dont le degré d’intentionnalité et les liens sociaux sont les plus faibles, alors que la communauté de pratique est un rassemblement à haut degré d’intentionnalité et où les liens sociaux entre les membres sont forts. Les communautés qui intéressent les auteurs sont des communautés centrées autour d’objectifs et donc intentionnelles. Elles sont plutôt centralisées autour de membres dont la reconnaissance et l’activité sont les plus fortes, organisées entre un cœur et une périphérie. Les auteurs se défendent de réaliser tout « classement normatif » de communautés, mais cherchent à « fournir des repères pour observer, analyser et évaluer leur activité » (Henri et Pudelko, 2003 : 28).

Les communautés sont conçues comme différentes des réseaux sociaux par la dynamique des liens qui s’y installent. La communauté se caractériserait par « la force du lien social qui unit ses membres qui ont un centre d’intérêt partagé » (Henri et Pudelko 2006 : 107). Pour Casilli (2010), l'idée de communauté sur le web réside éminemment dans le mécanisme du don et du contre-don, qui correspond à l'idée que le comportement de chaque individu peut faire la différence. Des contributions fréquentes et de qualité suscitant réactions et commentaires engendrent un sentiment d'efficacité qui profite autant au groupe qu'aux individus. La participation et l’engagement correspond à « l’idée que, dans le cadre d’une communauté virtuelle, le don de temps et d’énergie pour la collectivité serait récompensé de manière claire, immédiate et proportionnelle à l’effort » (Casilli, 2011 : 54). Cela fait dire à Dillenbourg et al. (2003) que le terme de communauté est à prendre comme un label qualité relatif au fonctionnement du groupe et à la richesse des interactions.

Dillenbourg et al. (2003) relèvent certaines caractéristiques communes à ces formes communautaires :

− l’interdépendance et l’implication : chaque membre a un intérêt commun avec les autres et la vie de la communauté repose sur l’implication de chacun. L’objectif peut évoluer selon la vie de la communauté, sa connaissance en est diffuse ; de même, l’implication des participants n’est pas homogène.

− une micro-culture : l’expérience collective contribue à construire un discours autour de la réalité de chacun des membres. Cette micro-culture repose sur des valeurs, des pratiques, des codes, des règles conversationnelles et de comportement ainsi que sur des rites. Elle contribue à développer une identité commune.

− une organisation sociale : plutôt informelle, elle est parfois installée par une hiérarchie de droits.

− une sélection spontanée, une croissance non planifiée et un processus d’intégration progressive des membres.

− la longévité : une communauté s’installe pour durer et passe par des cycles de vie qui la font évoluer.

Dans cette perspective, le concept de communauté se place vers l’une des extrémités d’un continuum qui classe les regroupements sociaux selon la force des liens, comme le montre le schéma suivant (figure 17), tiré de Bos-Ciussi (2007).

Figure 17 : genèse des formes sociales (Bos-Ciussi, 2007 : 184)

Un tel schéma linéaire de ce type ne saisit pourtant pas tout à fait la façon dont coexiste tout un ensemble disparate et émergent de regroupements sociaux, construits sur différents types de liens, plus ou moins forts. L’auteur avertit elle-même qu’ « il n’est pas facile de départager le type de lien social qui est vécu par les membres » (Bos-Ciussi, 2007b : 4), du fait de l’entrelacement des espaces et de la nature non figée des liens sociaux qui sont en évolution constante. Casilli (2010) propose un schéma moins linéaire d’un réseau « glocalisé » (p.58) qui permet de mieux visualiser le caractère multiple des regroupements (figure 18).

Figure 18 : réseau glocalisé (Casilli, 2010 : 58)

La typologie des communautés de Henri et Pudelko (2003) comporte à nos yeux deux écueils. Une telle présentation des communautés semble impliquer un objectif de départ, clair et déterminé a priori, unique et au centre des activités de la communauté, ce qui est sans doute le cas pour des organisations contraintes et à l'activité orientée vers des tâches biens définies, mais pas systématiquement à l’origine de tout rassemblement. Il nous semble devoir concevoir des rassemblements d’une part dont l’objectif n’est pas forcément clair à l’origine et se détermine -ou du moins se précise- dans le temps des interactions, et d’autre part dans lesquels tous les acteurs n’ont pas forcément le même objectif, au départ et au même moment. Le deuxième écueil, à notre sens, est que cette classification fixe une norme quant à la nature du lien et de l’engagement. Certes, les critères de contexte d’émergence, d’objectifs de rassemblement et de types d’apprentissage sont essentiels pour décrire ce que les gens font, mais ils restent insuffisants pour comprendre le fonctionnement de ces rassemblements. Un tel modèle de communautés a tendance à uniformiser les activités et les relations de tous les individus qui en sont membres. La plupart des groupes sociaux met en place des protocoles d’adhésion qui servent à uniformiser les objectifs, les activités et les comportements. Mais on peut supposer qu’il existe des types de communautés plus ou moins centralisées et où les chemins de participation sont moins uniformes. Les communautés en ligne, par la nature des outils interactionnels, ont tendance à diversifier les façons de s’engager, d’interagir et de participer.

C’est pourquoi Dillenbourg et al. (2003) proposent de mettre la forme sociale communautaire au centre d’un continuum, dont les extrêmes seraient le groupe d’amis, dont le centre de l’activité serait de maintenir la relation, et le groupe formel basé sur un intérêt ou un projet commun. La communauté repose sur une dimension fonctionnelle de la participation, mais la

dimension collective de la relation est basée sur l’adhésion volontaire, les affinités personnelles et un investissement émotionnel fort.