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Introduction au cadre théorique

Chapitre 2 Réseau social et dispositif médiatisé

2. Le dispositif pédagogique médiatisé

2.1. Le dispositif comme espace de médiation ouvert

2.1.4. Un dispositif favorable à l’autonomie

La condition de l’actualisation d’un dispositif réside dans l’interaction sociale, c’est-à-dire le fait que l’individu soit autorisé et s’autorise à être acteur. Cette vision du dispositif comme cartographie de rôles accessibles se veut soutenir la réalisation de l’individu. Rappelons que l’un des objectifs du dispositif est de permettre une plus grande individualisation des formations et de participer à une autonomisation des étudiants (cf. chapitre précédent).

Cela nous amène à proposer une définition de l’autonomie comme une compétence sociale qui se développe par l’interdépendance plutôt que par l’indépendance de l’individu avec son environnement. Les apprenants ne sont jamais indépendants, mais plutôt liés aux autres individus et à leurs outils et leurs pratiques de manière complexe ; c’est-à-dire liés à toutes sortes d’ « attachements » (Latour, 2007) dont la multiplicité est plutôt une richesse qu’une faiblesse. Cette perspective sur l’autonomie reconnaît l’agentivité de l’individu mais la capacité de contrôler et d'influencer ce qui se passe n'est plus centrée sur l'énonciateur. Cette capacité est distribuée entre les participants, les artefacts, les circonstances et les histoires qui construisent la situation communicative. D’autre part, nous envisageons le dispositif comme une instrumentation de l’autonomie des acteurs, à l’aide de la notion de « contrôle flexible » (Benson, 2013).

2.1.4.1. Les circonstances organisatrices d’un projet d’apprentissage

Les apprenants, s’ils sont autonomes, ne sont jamais indépendants, mais liés à des ressources et à des outils, aux autres individus, à des communautés et à leurs pratiques.

Nous dirons ainsi que l’individu n’est pas autonome par lui-même dans le sens où les cadres sociaux dans lesquels nous agissons contraignent et activent à la fois notre agentivité et l’autonomie doit être entendue « non pas comme seulement une performance individuelle mais plutôt comme une agentivité socialement orientée » (Toohey et Norton, 2003 : 58). Cette vision de l’agentivité, véhiculée par les théories socioculturelles, est proche de celle de l’autonomie, mais apparaît plutôt comme une alternative socialement orientée à la notion de l’autonomie perçue comme impliquant l’individu de manière isolée. Le processus d’autonomie serait alors « l’internalisation d’une capacité à participer pleinement et de manière critique aux interactions sociales » (Little, 1996 cité par Benson, 2013 :77 ; notre traduction). Il s’agit ainsi également d’une autonomie relationnelle. Ce type d’autonomie est dialogique, selon van Lier (2004), intersubjective, selon Voirol (2011) : elle « dépend de manière constitutive de l'existence de relations et de la présence d'autrui » (Voirol, 2011 : 150).

Cette vision de l’autonomie implique deux caractéristiques qui rendent les artefacts sociaux potentiellement favorables au développement de cette dernière :

• Plus l’individu est capable d’intervenir dans des cercles sociaux, dans une culture publique, plus il va être en mesure d’étendre son potentiel d’action, dans la confrontation avec l’action des autres.

• Plus l’individu parvient « à s'appuyer sur des objets techniques pour déployer [ses] modes de faire et se nourrir des modes de faire des objets techniques pour élargir [ses] activités, plus s'affirme [son] autonomie » (Voirol, 2011 : 150).

Ces relations et ces actions vont rendre les activités et les ressources disponibles et accessibles au travers du dispositif de formation plus ou moins désirables pour chaque individu. En outre, l’individu n’est jamais capable de faire l’inventaire de toutes les ressources à sa disposition et ainsi, les ressources possibles et pertinentes ne sont pas toutes en jeu à un moment donné (cf. le chapitre suivant et la notion d’affordance). La médiation dans un contexte d’apprentissage a par conséquent été souvent conçue comme essentiellement organisationnelle et a véhiculé l’idée que la planification est centrale. Cette idée est pourtant remise en question par certaines recherches importantes (Spear & Mocker, 1981 ; Tremblay, 2003 ; Candas, 2009). Dans ces

études portant sur des contextes d’apprentissage auto-dirigé, les apprenants ont utilisé des ressources limitées, en petit nombre, disponibles dans leur environnement immédiat ou trouvées par hasard, des ressources fournies par les circonstances, ce qui remet en question l’idée de planification rigoureuse d’un projet d’apprentissage. Cela a amené Spear et Mocker (1981) à proposer le concept de « cadre organisateur » (organizing circumstances). Le processus d'apprentissage n'est pas séquentiel et unidirectionnel, et ne se construit pas par étapes prédéterminées. Un projet auto-dirigé réussi se conçoit comme un ensemble d’éléments disparates qui seront a posteriori agencés entre eux de manière cohérente par l’apprenant ; parmi ces éléments, certains sont perçus comme plus importants que d’autres dans la réussite du projet et il est remarquable que, dans la majorité des cas, ces éléments ressources étaient présents dans l’environnement permanent de l’apprenant et ont été obtenus par des actions exploratoires non finalisées. Candas (2009 ; 2012), dans sa recherche, a montré également que les trajectoires d'apprentissage autodirigé sont structurées par des buts très larges et flexibles et une intentionnalité flottante. Ce qui lui permet de proposer la définition de l’autonomie d’apprentissage suivante :

Sur le plan cognitif, l’autonomie d’apprentissage pourrait être définie comme la capacité à explorer son environnement et entreprendre des activités, parfois sans lien apparent, pour ensuite agencer ces différentes expériences, distantes dans l’espace et dans le temps, afin de créer du sens et ainsi d’apprendre. Candas, 2009 : 64.

Candas parle de « pilotage flou » (2009 : 9) des trajectoires et retient un pilotage qui est construit à partir de certaines capacités :

• la capacité à explorer son environnement ;

• la capacité à entreprendre des activités dans cet environnement ;

• la capacité à agencer ces activités pour donner du sens à l’expérience d’apprentissage. Ce sont des éléments qu’un design d’apprentissage doit prendre en compte pour permettre une autonomie participative.

En outre, les trajectoires intègrent ce que les apprenants aiment et ressentent à un moment donné, confirmant l'importance de la dimension affective dans le processus d'apprentissage. L’autonomie n’est pas liée à la façon dont l’apprentissage est organisé ; elle ne se manifeste pas de la même manière à chaque fois et n’est pas un état permanent. Elle implique une mise en pratique constante. Cette capacité peut varier suivant le domaine d’activité, elle est exercée

par choix et ce choix peut dépendre de facteurs externes, liés à la situation, et de facteurs internes, comme la confiance en soi ou le manque de motivation22.

2.1.4.2. La médiation du dispositif médiatisé

S’il n’y a pas de planification et si les intentions sont flottantes, l’agentivité d’un apprenant autonome nous paraît être alors une question de choix et de contrôle des épisodes d’apprentissage. L’autonomie n’est plus alors une « prise en charge » de son apprentissage qui supposerait intention et planification a priori mais la capacité à assumer le contrôle de son apprentissage et les choix à faire à cette occasion (Benson, 2013). Cette autonomie ne se manifeste pas de la même manière à chaque fois et n’est pas un état permanent (Candas, 2009). Elle implique des capacités et des dispositions variées et est susceptible de varier de personne à personne, de contexte à contexte et selon le temps. L’idée de « contrôle flexible » est utile pour comprendre comment le contrôle peut être distribué à travers les situations et les événements. Un apprenant autonome peut se trouver dans des situations ou choisir des situations dans lesquelles il a peu de contrôle sur les conditions de son apprentissage. Mais ce qui importe est que l’apprenant adopte un point de vue réflexif qui lui permet de se plonger dans ces situations tout en maintenant un « contrôle de principe » (Benson, 2013) qui leur permet de reprendre le contrôle si la situation l’exige.

Dans la perspective de l’apprentissage, ce qui importe alors est le processus à travers lequel les individus négocient la médiation qui provoque l’apprentissage. Ainsi, le médiateur, qui peut être l’enseignant mais pas toujours, doit non seulement préparer les apprenants à prendre la responsabilité de leur comportement dans des activités spécifiques, mais doit aussi les encourager à chercher « de nouvelles activités où leurs compétences pourront s’exercer à plein » (Lantolf, 2013 : 20). D’après Lantolf, la qualité principale d’une médiation qui tient compte de l’agentivité des apprenants est son caractère contingent, c’est-à-dire capable de transférer au moment approprié la responsabilité de l’activité à l’apprenant. Le design pédagogique est aussi une médiation socio-techno-sémiotique- qui doit permettre ce transfert de la responsabilité de la participation aux membres du réseau.

Le média social a des caractéristiques qui peuvent faciliter ce dialogue, selon Dron (2007, n.p.) : (1) Il est évolutif, dupliquant ce qui réussit et minimisant ce qui échoue ; (2) il est stigmergique, c’est-à-dire que les signes laissés dans l’environnement permettent la

22 C’est pourquoi Candas plaide pour une définition de l’autonomie en termes cognitifs mais aussi affectifs et sociaux. Nous développerons par la suite (cf. chapitre 4) en quoi le dispositif médiatisé reposant sur un réseau social met l’emphase sur une présence socio-affective qui, en accord avec Candas, nous semble favorable à une autonomie.

communication avec les autres qui eux-mêmes laissent de nouveaux signes dans l’environnement ; (3) il a une structure émergente, formée plutôt par un contrôle ascendant (bottom-up) que par un design (top-down). Le média social présente à l’apprenant « des options, des liens et des chemins recommandés de manière implicite ou explicite » qui sont le résultat du comportement d’un nombre indéfini d’autres personnes. Dron y voit une forme de contrôle qui ne serait pas la détermination de la trajectoire d’un seul individu, mais une propriété émergente des interactions du groupe. Au travers du média social, le groupe est médié et réifié. Il permet de faire apparaître une structure comme le résultat d’un dialogue ; la négociation du contrôle réside dans cette structure émergente. Un apprenant dépendant pourra choisir d’être contrôlé pendant qu’un apprenant autonome pourra prendre plus de contrôle. Les deux influenceront et seront influencés par la structure qui se met en place. Le design du réseau permet ainsi d’inscrire dans la médiation sociotechnique une théorie de l’intersubjectivité. Le design numérique du RSN renvoie à trois niveaux d'intersubjectivation technique :

• la manière dont un usager va interagir avec le dispositif technique ;

• l'interaction de l’individu avec d'autres participants par l'intermédiaire de cette interface technique ;

• une collectivité d'usagers, tous ces « autres » qui agissent en ligne.

Le sujet s'oriente grâce à ce que font les autres, c'est par l'image de soi que les autres lui renvoient que l'individu accède à une conscience de lui-même et de son activité (Voirol, 2011).

La médiation du dispositif médiatisé propose une cartographie de rôles accessibles aux apprenants et différents en termes de contrôle et d’interdépendance. Cette médiatisation ouvre le dispositif en ménageant des arrangements potentiellement modulables en termes spatiaux et attentionnels. Ce sont ces deux dimensions des dispositifs -l’espace et l’attention- que nous examinons dans les deux sections suivantes.

3. L’hybridation du dispositif pédagogique : de