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La réforme du nouveau Code marocain de la famille

CHAPITRE 2 – PAYSAGES DE LA MIXITÉ CONJUGALE AU MAROC : DE LA LITTÉRATURE À

2.4. CONTEXTE LÉGISLATIF DE LA MIXITÉ AU MAROC

2.4.1. La réforme du nouveau Code marocain de la famille

Au Maroc, la législation qui concerne la famille et tout ce qu’elle englobe (succession, mariage, droits des enfants, etc.) est regroupée sous un code de loi que l’on appelle le Code de la famille et dont la première version écrite (anciennement appelée la Moudawana) remonte à 1957. Ce Code marocain de la famille est, comme le mentionne Mounir (2005), le code le plus important de tout l’arsenal législatif, par le nombre de personnes qu’il concerne (tous les Marocains musulmans18 du Maroc et tous les mariages mixtes à conjoint marocain, au Maroc ou à l’étranger). Le Code marocain de la famille (alors nommé

Moudawana) a été réformé en 2003, soit au cours de cette recherche doctorale. Rappelons

ici quelques faits historiques.

En 1993, le roi Hassan II a mis en place une première commission royale formée d’ulémas (théologiens musulmans) pour réformer la Moudawana. Puisque seuls quelques amendements ont été rajoutés, la plupart des militant(e)s marocain(e)s qui luttent pour le droit des femmes n’ont jamais vraiment considéré ces abrogations comme une véritable réforme. Le 19 mars 1999, Saïd Saâdi, secrétaire d’État chargé de la protection sociale, de la famille et de l’enfance, a rendu public son Plan d’intégration de la femme au développement. Ce plan, qu’il a rédigé avec l’aide de la population civile (représentée par le mouvement associatif marocain) a fait couler beaucoup d’encre. En mars 2000, deux marches militantes eurent lieu autour de ce fameux Plan d’intégration. L’une à Rabat (organisée dans le cadre de la marche mondiale des femmes instaurée par les Québécoises), qui défendait le Plan du ministre. Et l’autre à Casablanca, où les islamistes d’Al Adl Wa

Ihsane et le Parti de la justice et du développement (PJD) sont descendus dans les rues pour protester contre ce Plan. À la suite de ce débat houleux, le Plan a été mis de côté et avec lui l’espoir d’une réforme en profondeur du statut de la femme et de la famille. Le ministre Saâdi défendra le Plan jusqu’au bout. Cela lui coûtera son poste en septembre 2000 lors du remaniement ministériel.

En avril 2001, le nouveau roi Mohamed VI forme une nouvelle commission (Printemps de l’égalité) composée de seize personnes (dont trois femmes) avec à la tête l’ancien ministre

Boucetta19. En octobre 2003, coup de théâtre. C’est en son titre d’Amir Al Mouminie (Commandeur des croyants) que le roi Mohamed VI rend public le nouveau Code de la famille. Mohamed Tozy, dans un entretien qu’il a donné au périodique Le Journal

Hebdomadaire publié au lendemain de l’annonce de ce nouveau Code (Jamaï 2003),

précise que le roi a pris des risques puisque c’est la première fois dans l’histoire du Maroc qu’un roi utilise ce statut de Commandeur des croyants (qui permet d’imposer) dans un souci de modernisation. Contrairement au Plan du ministre Saâdi, le projet ne portait plus sur le caractère laïc qui le différenciait et le fragilisait. Pour Tozy, politicologue et spécialiste de l’Islam au Maroc, les attentats qui ont eu lieu à Casablanca le 16 mai 2003 ont affaibli les islamistes. Devant l’attitude quasi consensuelle de la population marocaine qui militait pour un changement et devant les pressions internationales qui se faisaient de plus en plus vives, ce Code était une manière pour le roi de lutter contre les dérives antidémocratiques d’instrumentalisation de la religion et d’incitation à la haine, au racisme et à la violence.

Le nouveau Code de la famille promet de lever l’iniquité dont la femme est victime, de protéger les droits des enfants tout en préservant la dignité de l’homme. Le Code comporte onze points qui ont été présentés par le souverain devant le Parlement, ce qui a permis d’établir un cadre juridique (avec la mise en place de tribunaux de la famille un peu partout dans le royaume). C’est une première au Maroc. On peut parler de véritable réforme, d’un tournant historique même, pour ce qui touche la législation entourant la famille. Le nouveau Code parle désormais d’égalité au sein de la famille, de responsabilité mutuelle. La famille est placée sous la tutelle conjointe des deux époux. Ce Code marque la fin de la tutelle (wilaya) : la femme majeure peut désormais se marier avec ou sans tuteur. L’âge du mariage est désormais le même pour les garçons et pour les filles (18 ans). Des restrictions sévères au sujet de la polygamie la rendent légalement presque impossible. Les procédures de mariage pour les expatriés sont simplifiées. Le divorce consensuel a été institué, etc., on s’est également penché sur le droit des enfants.

Hormis la simplification des procédures de contrat de mariage pour les expatriés (et donc pour les couples Marocain-étranger qui signent un acte de mariage à l’extérieur du pays), le

19 Cet homme est un ancien résistant marocain contre le colonialisme français. Il fut aussi le chef du premier

nouveau Code de la famille n’a cependant rien changé de significatif à la législation qui touche la situation des couples mixtes. Pourtant, certaines lois du Code de la famille peuvent être de véritables obstacles pour ces couples. Seules les récentes modifications du Code de la nationalité marocaine (en octobre 2007) ont eu un impact majeur sur les couples mixtes en instaurant l’égalité entre le père et la mère dans la transmission de la nationalité marocaine. Désormais, une Marocaine dont le mariage est régulier en regard du Code de la famille peut transmettre sa nationalité, ce qui n’était pas le cas au cours de ce terrain de recherche. Si certains obstacles légaux et administratifs découragent (momentanément ou définitivement) certains couples, plusieurs autres, comme il est évoqué plus haut, développent des stratégies d’adaptation à ces lois. Voici donc quelques exemples des écarts existant entre les textes de loi et la réalité empirique.