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CHAPITRE 3 – DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE : LES TRACES DE LA ROUTE PARCOURUE

3.6. ANALYSE DES DONNÉES

Après le terrain, devant 1141 pages de verbatim d’entretiens, mes notes de terrain et mon journal de bord, je me suis demandée sur quoi je devrais porter mon regard pour dire quelque chose de significatif à partir de ces données. Est-ce la perspective théorique qui détermine l’angle d’analyse ou bien est-ce des données que le chercheur doit faire émerger

le sens ? Ces deux procédés sont à mes yeux indissociables et constituent la base du dialogue nécessaire entre la théorie et la réalité empirique des données du terrain.

En suivant le principe de l’analyse itérative, j’ai débuté l’analyse parallèlement à la collecte des données. Lors d’une première phase d’analyse, j’ai procédé au codage d’une quinzaine d’entretiens, ce qui m’a permis de faire un premier classement thématique des données. À la fin du terrain, j’ai poursuivi la phase d’analyse en faisant également un premier codage de la suite des entretiens. La grille de codage, qui s’est créée et s’est précisée au fur et à mesure de l’analyse, a trouvé sa forme finale à la suite du deuxième codage transversal de la totalité des entretiens. Cette grille finale se divise en 15 thèmes principaux, eux-mêmes subdivisés en plus de 80 sous-thèmes (voir annexe K). Un regard détaillé sur plusieurs de ces thèmes m’a d’abord permis de répondre au premier objectif de cette thèse et donc de tracer un portrait ethnographique de la mixité conjugale au Maroc :

- En mettant au jour l’écart existant entre les textes de loi et le vécu juridique (chapitre 2) ;

- En traçant un portait détaillé des participants de cette recherche (chapitre 3 et annexe I) ;

- En faisant une description ethnographique nuancée des aspects potentiellement porteurs de conflits liés au contexte marocain de mixité conjugale (chapitre 4).

Les autres thèmes, ceux qui réfèrent aux trajectoires de mixité et de migration, ont été analysés plus en profondeur puisqu’ils constituent le cœur de ce projet de recherche. Ils forment d’ailleurs la trame de fond des quatre chapitres analytiques de la thèse (chapitres 5, 6, 7 et 8).En lisant et relisant chaque récit, j’ai vérifié la pertinence des concepts du cadre théorique initial en lien avec les données recueillies. J’ai ainsi pu répondre aux interrogations qui découlaient de ce cadre théorique :

- La métaphore du voyage prolongé et les concepts d’altération, de congruence, et d’intelligence nomade de Fernandez (2002) ainsi que les concepts de transfuge (Belorgey 2000), de capital de mobilité (Alemand 2004) et de transformation culturelle (Guilbert 1993) que j’ai greffés à cette métaphore sont-ils appropriés pour

définir les différents mouvements amorcés par les couples mixtes de cette étude face à l’altérité culturelle ?

- Quelles notions, puisées à même les données de terrain, permettront d’enrichir cette métaphore du voyage prolongé ?

- Le concept de « home », inspiré du texte de Hoffman (1999), se retrouve-t-il à travers les récits et si oui quelle signification prend-il ?

- La mixité conjugale est-elle à la base d’une «révolution tranquille» comme le suggère Dugan (1997) ? Les couples mixtes sont-ils des forgerons transculturels qui travaillent à construire des passerelles d’intercompréhension entre des gens dont les références culturelles sont différentes ?

Ainsi qu’à celles qui ont émergé à la suite du terrain :

- Quelles sont les caractéristiques propres aux couples mixtes?

- Quelles sont les différentes configurations culturelles que permet la mixité au quotidien ?

- L’expérience de mixité conjugale est-elle liée à un parcours de vie particulier ? - Qu’est-ce qui motive les expériences migratoires de ces individus ?

Cette deuxième phase d’analyse (plus en profondeur) m’a permis de répondre au deuxième objectif de cette thèse : porter un regard nouveau sur la mixité en élaborant un cadre théorique qui permette de mettre en évidence le mouvement présent au sein de cette expérience et de jeter les bases scientifiques d’un habitus discursif valorisant.

Dans un troisième temps, j’ai analysé le contenu de chaque entretien de manière globale et singulière, ce qui réfère à l’analyse de contenu holistique de Lieblich et al. (1998) afin de relever les éléments centraux de chaque récit d’expérience et ainsi créer une typologie des différents mouvements amorcés face à l’altérité culturelle. Mais, au bout d’un moment, je me suis aperçue que cette façon de classifier allait en contradiction avec ma démarche scientifique : vouloir mettre au jour la mouvance des trajectoires en créant des typologies hermétiques et immuables n’est pas cohérent avec un projet d’anthropologie du mouvement. Il était évident que chaque entretien et donc chaque couple ne représentaient

pas un type de mouvement ou un type de trajectoire. Les récits mettaient bien en évidence le fait que la trajectoire de chaque couple et même de chaque individu est parsemée de différents mouvements amorcés face à l’altérité culturelle. Ces trajectoires ne se comparent pas à des phases que les individus traversent selon un ordre précis ou selon un cycle évolutif. Une analyse approfondie montre bien que chaque expérience dessine une trajectoire (une suite de mouvements) originale et particulière. Je me suis dès lors retrouvée face à une multitude de trajectoires impossibles à fixer dans un schéma puisqu’en perpétuelle mouvance. J’ai d’abord voulu créer un schéma sur support informatique qui aurait permis de voir les différents mouvements (représentés par des concepts) se déplacer ou s’éclairer dans le schéma, traçant ainsi une diversité impressionnante de trajectoires. J’ai saisi, par la suite, qu’un schéma, même en mouvement, cristalliserait inévitablement les choses et ferait perdre beaucoup de nuances. J’ai donc fait confiance à l’écriture (et particulièrement à la forme de l’écriture) pour décrire ces mouvements le plus librement possible.