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Réactions et accueil de la part des familles

CHAPITRE 4 – DÉLIMITATION DE FRONTIÈRES LÉGALES ET SYMBOLIQUES : LA MIXITÉ

4.2. QUAND L’ÉTRANGER ENTRE DANS LA FAMILLE

4.2.1. Réactions et accueil de la part des familles

L’étranger qui arrive dans la famille, symbole de différence et synonyme d’inconnu, provoque de nombreuses réactions qui rendent compte de divers positionnements devant cette différence, qui vont de l’accueil généreux au rejet le plus violent. Pour certaines familles, l’annonce de la relation amoureuse a été suivie par une vive envie de rencontrer cet « autre exotique » que symbolisait pour eux le conjoint étranger choisi par leur enfant. Cette curiosité, quelque peu naïve, était souvent liée à une ignorance et témoigne clairement d’un manque de contacts avec l’étranger et de connaissances à son propos. Une Allemande raconte son arrivée dans le village marocain des parents de son conjoint.

Rosalie : J’étais dans l’épicerie, une des rares épiceries du village, et le monde

s’accumulait pour voir cette étrangère. Il n’y en avait pas qui habitaient sur place. Et ça se remplissait, l’épicier a dû faire beaucoup d’affaires ce jour-là [Ils rient]. À la maison, c’était la même chose. Tous les parents, surtout les femmes ! Pas uniquement les voisines, mais… la grande famille était déjà arrivée. Et la mère… d’émotion elle est tombée dans les pommes. Ouais, elle était par terre.

Question: D’émotion positive ou négative ? Mohamed : Non, c’était positif.

Rosalie : C’était de l’excitation. C’était vraiment un drôle d’atmosphère. Et tous les

d’une journée de la montagne, pour me voir ! [Ils rient] (Rosalie, 64 ans, Allemande, et

Mohamed, 65 ans, Marocain, mariés, 42 ans de vie de couple, 5 enfants).

Du côté de l’entourage russe de Katia, la curiosité envers son mari marocain n’a pas été moins vive :

Katia : Au départ, toute notre petite ville ils se rassemblaient pour voir, vous savez,

comme dans le cirque [elle rit]. Il fallait venir voir comment il était. Après le mariage on est allé chez moi et tout le monde. Le Maroc est en Afrique, donc c’est un Nègre. Ils sont venus voir un Nègre. Ils n’ont pas trouvé un Nègre et ils étaient étonnés (Katia, 60 ans, Russe, veuve d’Ahmed, Marocain, mariés, 30 ans de vie de couple, 2 enfants).

Au moment de l’annonce de la relation avec un conjoint étranger, plusieurs parents ont émis des réticences par méfiance. Ils se retrouvaient devant l’inconnu et voulaient protéger leur enfant. Une lecture de ces réactions montre bien qu’elles étaient aussi souvent liées à des préjugés qui témoignent encore une fois d’une grande méconnaissance de l’autre.

Margret : Ils avaient peur pour moi. C’est tout, ils avaient peur. Marocain, Arabe,

musulman… Ils ne savaient presque pas ce que c’est, mais ils avaient peur… Mon père m’avait demandé d’aller au Maroc et de ne pas me marier tout de suite, de connaître la famille, de connaître le pays, et de lui passer un coup de téléphone avant de me marier. Parce qu’il avait peur que je sois enfermée ou quelque chose… Il s’est dit, peut-être que si j’ai la possibilité de lui téléphoner, ça veut dire que j’ai une petite liberté ! [Elle rit] (Margret, 60 ans, Américaine, et Bachir, 63 ans, Marocain, mariés, 38 ans de vie de couple, 2 enfants).

Il ne fait aucun doute que les préjugés contribuent à nourrir la méfiance et rendent les premières réactions assez crispées.

Les parents ont souvent des attentes par rapport au choix du conjoint de leurs enfants et les parents des couples concernés par cette étude (autant les parents des Marocains que des étrangers) n’y font pas exception. Certains d’entre eux ont vécu un grand choc et une véritable désillusion au moment de l’annonce du choix du conjoint de leur enfant. Inès raconte que son père a d’abord été sous le choc et a montré clairement son étonnement et sa

déception devant son choix. Elle était tellement demandée en mariage par des Marocains de bonne famille, musulmans, riches. François était étranger, plus jeune qu’elle, pas particulièrement riche et chrétien. La déception par rapport à leurs attentes amène parfois les parents à formuler ce qu’on pourrait appeler une acceptation conditionnelle. Après avoir passé une nuit blanche, le père d’Inès a accepté cette idée de mariage, mais en posant une condition :

Inès : Mon père m’a dit, fais un contrat chinois, un contrat japonais, ce que tu veux,

mais tu épouses un musulman. Si tu veux, ça a été le dernier bastion auquel il s’est accroché. J’entends que tu m’amènes un inconnu, j’entends que tu m’amènes un étranger, j’entends tout ce que tu veux me raconter, mais une chose : qu’il soit musulman (François, 27 ans, Franco-Américain, et Inès, 46 ans, Marocaine, mariés, 5 ans de vie de couple, Inès a un enfant d’un premier mariage).

Certaines familles, qui n’étaient pas d’accord avec le choix du conjoint de leur enfant, ont même fait des tentatives très concrètes pour convaincre leur enfant de changer d’idée : les sœurs d’Abdessalam, par exemple, lui avaient fait parvenir une lettre mentionnant subtilement le nom des jeunes filles marocaines intéressées à s’unir à leur famille; la mère de Katia (une Russe) s’était quant à elle carrément interposée pour que le mariage de sa fille n’ait pas lieu :

Katia : Ma mère était contre. Pas question de faire quoi que ce soit. Et finalement on

s’est marié en cinquième année. […] Ma mère n’était toujours pas d’accord. Elle a voulu taper dans toutes les portes pour interdire, mais il n’y a pas de loi pour interdire le mariage. Elle s’est déplacée, elle est allée chez le recteur de l’université. Il a dit moi je n’ai pas le droit d’interdire quoi que ce soit ! (Katia, 60 ans, Russe, veuve d’Ahmed, Marocain, mariés, 30 ans de vie de couple, 2 enfants).

Certains parents marocains ont aussi développé une technique particulière pour tenter de mettre un terme à cette relation dérangeante : ils ont coupé les vivres de leur enfant qui étudiait à l’étranger en espérant que cette pression financière suffise à ramener leur fils ou leur fille à la raison.

Des parents (marocains et étrangers) ont même montré une opposition très ferme. Leur refus de l’étranger a été catégorique et l’accueil de cette nouvelle a soulevé de leur part une réaction très violente.

Francine : Je ne soupçonnais pas l’ampleur de cette différence. Je ne soupçonnais pas

que ça pouvait… créer ce que ça a créé… Parce que la suite c’est qu’une fois qu’il a appris ça, ça a été une réaction très, très violente de la part de mon papa, très violente avec des mots très violents. Tu ne le revoies plus, je lui tire un coup de fusil… (Francine, 36 ans, Française, et Salim, 38 ans, Marocain, mariés, 18 ans de vie de couple, 3 enfants).

Le père de Francine est décédé quelques mois après cette annonce sans jamais avoir connu son futur gendre. La tension a diminué, certes, mais s’en est suivi un veto de toute la famille élargie pour garder le couple à l’écart.

En effet, certaines familles tiennent le couple à l’écart et, de ce fait, perdent tout contact avec leur fille ou leur fils. Ce rejet est parfois assez violent.

Laure : Ma mère, ça a été un scandale effrayant [elle rit]. Question : Pourquoi ?

Laura : Parce que je n’épousais pas dans ma région. Je n’épousais pas chez moi. Question : Et donc, quelle a été sa réaction ?

Laure : Ah violente, très violente. C’était… quelque chose… même ma famille, ma

famille proche. On vient de commencer… Je viens d’avoir, par personne interposée, des contacts avec des cousins, on ne s’était plus parlé depuis 35 ans.

Question : Avec votre famille ?

Laure : Pas avec ma famille perso, mais avec mes tantes, mes cousins, à partir du

moment où je me suis mariée avec un étranger…

Question : Et ça a duré combien de temps la période de froid avec votre mère ?

Laure : La période de froid ? Au moins deux, trois ans (Laure, 59 ans, Française, et

Abdessalam, 60 ans, Marocain, mariés, 41 ans de vie de couple, 3 enfants).

Des parents ont été jusqu’à renier leur enfant à la suite de l’annonce de leur relation avec une personne étrangère.

Manon : Ah non, écoute, ça a été très clair. Mon beau-père a dit à mon mari, si tu te

maries, je te renie, tu m’oublies… (Manon, 41 ans, Canado-Française, et Chakib, 45 ans, Marocain, mariés, 25 ans de vie de couple, 2 enfants).

Comme certains autres couples qui ont vécu un violent rejet de la part d’un membre ou de l’ensemble de leur famille, Chakib a trouvé un appui du côté de sa belle-famille.

Manon : Chakib a dit à mes parents, vous savez, si je marie votre fille, je suis renié par

mes parents et je vais avoir besoin de vous. Et mes parents, ils ne comprenaient pas. Ils disaient : mais qu’est-ce que c’est que cette affaire ? Mon père lui a répondu : je te fais confiance… Je vous appuie… Pour eux, c’était inconcevable qu’un père puisse renier son fils… Et donc, on a préparé les bancs, on s’est marié au Palais de justice à Montréal (Manon, 41 ans, Canado-Française, et Chakib, 45 ans, Marocain, mariés, 25 ans de vie de couple, 2 enfants).

Puisque les réactions ne sont pas généralisables à tous les membres d’une famille, certains individus, comme Francine, ont vécu un rejet de la part d’un membre de leur famille et trouvé une complicité avec un autre.

Francine : [En parlant à Salim] Ma maman ! Oui, si. Elle avait des petites marques de

soutien. Tu te rappelles ? Parce qu’en été on se voyait, on continuait à se voir, elle me soutenait. C’était aussi en opposition avec son mari. Si tu veux, ce n’était pas innocent comme truc. Même si c’était inconscient, même si ce n’était pas forcément réfléchi, ni calculé, ni combiné (Francine, 36 ans, Française, et Salim, 38 ans, Marocain, mariés, 18 ans de vie de couple, 3 enfants).

À travers toutes ces réactions de déception, de méfiance, de rejet, de violence, etc., j’ai puisé un peu d’air frais lorsque les récits me conduisaient dans des scénarios d’accueil plus ouverts. Il y a aussi des parents qui ont respecté le choix de leur enfant en n’interférant pas dans sa décision :

Ilias : Du côté de ma mère, de mon père, tu étais acceptée. Tout de suite. Pas de

problème. Ils ont confiance en moi mes parents. Mes décisions je les ai toujours prises librement sans aucune pression de la part de mon père. C’est une chose, parce que je

crois que dans la famille marocaine parfois, il y a de la pression surtout quand il s’agit de mariage. La mère qui te propose de te marier avec la cousine ou la nièce… (Aube, 30 ans, Française, et Ilias, 40 ans, Marocain, mariés, 10 ans de vie de couple, 3 enfants).

En effet, certains parents ont d’office fait confiance aux choix de leur enfant.

Ali : Ça s’est très bien passé avec ses parents. Il n’y a jamais eu aucun problème.

Aucune réflexion. Jamais. Rien du tout.

Rose : Jamais. Ni sur le fait qu’on vive ensemble. Ni sur le fait qu’il soit marocain. Ali : Ta mère elle pèse ses mots. Elle fait attention à ce qu’elle dit et elle ne se mêle pas

de la vie des autres. Elle la considère comme une adulte. Quand tu as des problèmes

avec tes parents, c’est qu’il ne te considère pas comme un adulte. Ils continuent à te considérer comme un gamin et ils essaient de gérer ta vie (Rose, 30 ans, Française, et

Ali, 30 ans, Franco-Marocain, en concubinage, 8 ans de vie de couple, sans enfant).

Certaines familles (autant du côté marocain qu’étranger) ont même accueilli très chaleureusement le nouveau ou la nouvelle venu(e) dans la famille.

Catherine : D’emblée, ma sœur aînée et ma mère l’ont apprécié. C’était même, je

dirais, le chouchou de ma mère (Catherine, 47 ans, Française, et Youssef, 53 ans, Marocain, mariés, 27 ans de vie de couple, 3 enfants).