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La conversion des femmes étrangères : un choix

CHAPITRE 4 – DÉLIMITATION DE FRONTIÈRES LÉGALES ET SYMBOLIQUES : LA MIXITÉ

4.1. P RÉSERVER UN PAYS MUSULMAN

4.1.2. La conversion des femmes étrangères : un choix

Il est frappant de voir que même s’il est permis pour un homme musulman d’épouser une femme d’une autre religion monothéiste, 15 des 25 femmes étrangères de cette étude se sont pourtant converties. Perdre certains droits comme se voir enlever la garde de leurs enfants est la peur dominante à la base de la plupart de ces conversions chez les femmes étrangères. Sur le terrain, on peut observer que cette peur se transmet d’une étrangère à l’autre :

Manon : […] Cette femme aussi qui me disait, oui tu sais, tu n’es pas musulmane, tu

peux te faire prendre tes enfants… Et donc tout ça mis ensemble, ça a commencé à mijoter. J’en avais parlé bien sûr à mon mari qui m’a dit : mais non, ça n’arrivera jamais. Mes parents ne sont pas comme ça. Jamais ils t’enlèveront les enfants, ne pense pas comme ça. Il me rassurait, mais au fond de moi c’était là, derrière ma tête… Et puis il y a cette histoire aussi qui fait que si par malheur il venait qu’à décéder, j’avais encore des enfants mineurs. J’avais peur qu’on me les enlève pour une raison ou pour une autre, non c’est bête parce que… C’est des peurs qu’on se fait parce que finalement, j’avais jamais vu ça avant, j’avais jamais pensé à ça avant mais, les femmes qui disent, attention tu sais, les hommes changent… (Manon, 41 ans, Canado- Française, et Chakib, 45 ans, Marocain, mariés, 25 ans de vie de couple, 2 enfants).

Treize femmes se sont donc converties pour des raisons que l’on pourraient qualifier d’instrumentales, c’est-à-dire pour se protéger, elles et leurs enfants, en cas de divorce, de veuvage, etc. Plusieurs d’entre elles ont signé l’acte de conversion sans l’ébruiter autour d’elles, seules, avec leur mari ou avec une amie.

Aube : Je me suis convertie, en fait, il y a un an. D’abord parce qu’on avait le projet

d’adopter un enfant et qu’il fallait que le père et la mère soient musulmans. Et aussi par souci d’harmonie familiale, c’est-à-dire que s’il se passait quelque chose dans notre famille que je puisse avoir des droits comme la garde des enfants, tout ça. Je le savais

déjà depuis quelques mois ou quelques années, et donc l’histoire d’adopter un enfant, c’était l’occasion de me convertir et je l’ai fait en toute discrétion, comme ça, un jour avec une amie (Aube, 30 ans, Française, et Ilias, 40 ans, Marocain, mariés, 10 ans de vie de couple, 3 enfants).

Manon, qui fait partie de ces femmes qui souhaitaient se protéger légalement, évoque en plus, comme raison de sa conversion, une volonté de faire partie d’une communauté. Sa conversion – qui n’allait pas à l’encontre de sa foi chrétienne – est donc aussi liée à un besoin d’affiliation.

Question : Pourquoi la conversion ?

Manon : Écoute c’était une question… Dès mes premières années de vie au Maroc…

j’avais ce besoin de… de faire partie d’un groupe. Je ne voulais pas être à part… J’avais besoin d’être dans la même osmose qu’un peu tout le monde ici… tu as envie de partager […]. Je suis croyante et pour moi c’est le même Dieu. On le prie de différentes façons, mais le Dieu est le même… Je n’ai jamais été très pratiquante, mais je suis croyante, donc pour moi c’était pas un conflit de changer de… c’était même pas changer de religion, c’était une façon de, d’exprimer ma religion différemment […]. Le fait de me convertir c’était pour dire voilà maintenant on est sur le même pied d’égalité, je fait partie de votre groupe… (Manon, 41 ans, Canado-Française, et Chakib, 45 ans, Marocain, mariés, 25 ans de vie de couple, 2 enfants).

Deux femmes se sont converties dans une démarche de foi. L’une d’entre elles s’était convertie avant de se marier. Sa conversion à l’islam n’est en rien liée à son mariage avec son mari musulman. Elle a plutôt cherché à se marier à un musulman parce que la religion musulmane était primordiale dans sa vie (j’y reviendrai dans le chapitre 6). L’autre femme a pris la religion de son mari comme elle a pris son pays.

Dix femmes étrangères n’ont pas fait la démarche de se convertir à l’islam. Certaines évoquent des raisons de respect envers leurs propres croyances ou envers les religions de manière générale.

Emilia : Moi je trouve que c’est un manque de respect envers les deux religions

(Emilia, 57 ans, Espagnole, et Anouar, 64 ans, Marocain, mariés, 38 ans de vie de couple, 2 enfants).

D’autres voient cette possibilité de conversion comme une atteinte au noyau dur de leur identité.

Francine : Je ne pense pas que j’aurais pu vivre cette contradiction. Le faire… pour

des papiers uniquement, je l’aurais vécu comme une trahison. Comme un renoncement de moi-même, et je pense pas que je serais arrivée à le faire (Francine, 36 ans, Française, et Salim, 38 ans, Marocain, mariés, 18 ans de vie de couple, 3 enfants).

Mais, comme il est mentionné dans le chapitre 2, le questionnement au sujet de la conversion semble inévitable même chez celles qui semblent le plus catégorique.

Alexandra : L’islam non à aucun moment. Et ça encore c’est un sujet… Le fait que je

ne sois pas tutrice de ma fille parce que j’étais française et pas musulmane ça m’a mis en rogne aussi. Le fait que pour sortir du territoire j’aie un papier de mon ex-mari disant qu’il m’autorise à sortir du pays avec ma fille ça me rend malade. Parce que je trouve que ce n’est pas normal. […] Jamais je n’ai voulu me convertir. Je sais pas ça a l’air idiot, mais pour moi, ce serait renoncer à ce que je suis. Et je ne suis pas prête à faire ça. Je veux dire, quand on aime quelqu’un, il faut le prendre comme il est. Moi je ne lui ai pas demandé de changer de nationalité, il l’a prise parce que ça l’arrangeait bien d’accord, puis je ne lui ai pas demandé de changer de religion. Donc je ne vois pas pourquoi moi je serais astreinte à ça. Quand il y en a un qui doit renoncer forcément ça t’énerve, à moins que ce soit volontaire, mais là, pour le coup, ça ne l’était pas. Non, je refuse et pour moi c’est…

Question : Même pour protéger ton enfant ?

Alexandra : [silence] … Ça a été un vrai dilemme. Ça a été un vrai dilemme. Je me suis

posée des tas de questions, si tu veux. Je me suis dit qu’au pire je la planquerais et que je partirais en catimini tu vois, mais je ne voulais pas en arriver là. Je trouverais une solution pas légale de la sortir, mais je ne voulais pas leur donner ce plaisir. Non, je ne voulais pas qu’ils me soumettent. Parce que pour moi c’était me soumettre à ça. Je ne veux pas. C’est idiot ?

Alexandra : Jamais ! (Alexandra, 40 ans, Française, divorcée de Maruan, Marocain, 9 ans de

vie de couple, 1 enfant).

Qu’elle soit obligatoire ou choisie, exposée ou secrète, la conversion (même dans les cas où elle est instrumentale) est rarement un fait anodin. Il est important de noter que la plupart des participants de cette recherche étaient respectueux de la religion musulmane (certains partageant leur vie avec une personne pratiquant cette religion). Ce que certains trouvaient difficile à accepter, c’était l’idée de devoir entrer dans un système religieux (même sur papier) pour que certains droits leurs soient accordés.