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La référence américaine et le processus d’intégration pour l’Europe de l’Ouest

faiblesses de la gouvernance totalitaire de l’enseignement supérieur 1.1 La nécessité d’une révision des missions de l’enseignement supérieur :

L’ ENSEIGNEMENT SUPERIEUR SOVIETIQUE DANS LE CONTEXTE INTERNATIONAL

2. Le modèle soviétique de l'enseignement supérieur dans un monde bipolaire

2.3. La référence américaine et le processus d’intégration pour l’Europe de l’Ouest

Si le pôle central du bloc des pays socialistes, le « grand frère », était l’Union soviétique, celui des pays capitalistes était les États-Unis. Ayant attiré l’attention sur son système original d’enseignement supérieur au début du siècle basé sur l’initiative privée et les liens étroits des établissements avec la vie locale, l’outre-Atlantique devient progressivement « le modèle » de référence pour les réformateurs européens. Les auteurs de L'Histoire de l'Université en Europe proposent que les trois plus grands changements de l’enseignement supérieur européen fussent : les réformes d’une grande envergure, la destruction de la « tour d'ivoire » des universités et la provincialisation des universités européennes sous la domination de l'Université américaine. En quoi consiste cette provincialisation ? Et quel étaient les conséquences pour les politiques d’enseignement supérieur y compris en URSS ?

L’idée de la provincialisation des universités européennes signifie pour les auteurs la perte par l’Europe de sa position de « leader » mondial dans l’enseignement supérieur face aux universités américaines. L'Europe, qui était le berceau de la « civilisation d’études supérieures » du monde entier et la source des modèles universitaires, céda sa position dominante aux États-Unis, et devint la « province » de l'enseignement supérieur mondial. Ce processus était en marche dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Suite aux réussites de la politique universitaire et

scientifique américaine, dans les années 1980 l’Europe a reconnu non seulement les lacunes structurelles et fonctionnelles de ses systèmes, mais aussi la baisse de la qualité de l’enseignement par rapport aux universités américaines pour des raisons, entre autres, financières. Puis, la loi Bayh-Dole votée au Congrès américain en 1980 autorisant les universités américaines à breveter leurs découvertes et à obtenir ainsi des revenus a instauré une différence majeure de l'enseignement supérieur américaine par rapport à d'autres systèmes en Occident. Cette loi a contribué à l'essor de ce qui les analystes appellent le « modèle américain » et a entraîné dans les années suivantes la provincialisation des universités européennes409.

Les échanges fréquents entre les universitaires européens et américains a débuté dès le XXe siècle, et déjà à cette époque-là, a montré aux universitaires européens le

contraste, selon les universitaires européens, « avec notre étatise étouffant, notre centralisation et la passivité atone de notre province410 ». La guerre a affaibli

considérablement les états européens notamment en termes de ressources financières. La fascination par l'enseignement supérieur américaine a grandi après la Seconde Guerre mondiale en Europe. En France, par exemple, lors du colloque de Caen, tenu du 1er au 3 novembre 1956, Pierre Mendès France (qui venait de démissionner de son poste de ministre d’État, mais restait actif dans la vie politique française) plaida pour la démocratisation de l'enseignement, la clé, selon lui, pour la mobilité sociale, et évoqua plusieurs fois l'exemple des États-Unis. La démocratisation de l'enseignement supérieur et ces opportunités de mobilité sociale, la masse des effectifs, et encore plus, la masse des moyens financiers et la souplesse des structures ont, selon Christophe Charle, ont encouragé certains des réformateurs français à promouvoir le « modèle américain ». Un nombre d’universitaires et de politiques français maintenaient leurs positions et restaient adeptes de la tradition culturelle française de l'enseignement supérieur et de son organisation411.

En Allemagne de l'Ouest, occupée d'abord par des problèmes urgents (locaux, bourses, etc.), l’idée de réformer selon l'exemple américain ne fut pas retenue. En

409 RUEGG Walter, op.cit., p. 15-16.

410 Cité de CHARLE Christophe, « Les références étrangères des universitaires. Essai de comparaison

entre la France et l'Allemagne, 1870-1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, 2003, n°3 (148), p. 8-19.

revanche, plus tard dans les années 1960, lorsque de nouvelles universités ont été créées, elles furent divisées en départements, comme les universités américaines, et l'on fonda des instituts communs à plusieurs départements qui, en principe, cassaient les frontières entre les facultés et permettaient une direction collégiale et non plus autocratique ou facultaire. La rotation de la direction au niveau des instituts, et le renforcement de l’exécutif universitaire pour recréer des fonctions communes, rappelaient également les modes d'organisation américaine412.

La communication étroite entre les universités des tous les pays de l’Occident a commencé après la Seconde Guerre mondiale avec les premiers échanges d'étudiants et d'enseignants, grâce aux programmes comme le Fulbright ou des appels aux projets internationaux des fondations comme la fondation d'Alexandre Humboldt. La création d'organisations internationales comme l'OECD en 1960 (de l'OEEC fondée en 1948) et l'UNESCO avec ces trois instituts – l'Institut international de planification de l'éducation à Paris (1963), le Centre européen pour l'enseignement supérieur à Bucarest (1973) et l'Association internationale des universités européennes, a renforcé la coopération internationale interuniversitaire. Malgré le fait que le Traité de Rome (1957) a évoqué de façon marginale les universités, le processus de l’intégration européenne des universités a pris la même vitesse que l’intégration économique413.

Dans le contexte du « déclin » de la position des universités européennes face aux universités américaines, ces premières participaient activement et rigoureusement dans le processus d’intégration européenne à partir des années 1970. D'une part, les universités européennes ont vu l'opportunité de renforcer leur position sur le plan international. D’autre part, pour les gouvernements européens, l'Université était une plate-forme idéale pour initier le dialogue politique et culturel parce que c’était déjà un lieu d’échange entre les chercheurs occidentaux avec son atmosphère d’esprit ouvert et de la recherche d’objectivité. Les universités européennes ont ainsi saisi l’opportunité de créer une atmosphère agréable faite de compréhension mutuelle, de respect réciproque et de collaboration afin d’accélérer l’échange fructueux entre les pays européens.

412 Ibidem.

Rapidement, la Conférence des recteurs (présidents), des chanceliers, des vice- présidents fut créée en réunissant jusqu’à 500 EES européens414. La conférence

menait des actions avec pour objectif de rapprocher les universités, de mutualiser les programmes et les cursus, d’améliorer les compétences en langues, de créer les projets de recherche et d’échange étudiants415. En 1974, à l’issue de la Conférence,

l’ouvrage L’Université de demain416 fut rédigé par un groupe d’auteurs français,

belges et allemands. Selon eux, l’autorité de l’université s’affirmera dans les décennies suivantes, et les universités seront à l'avant-garde de l'imposition des normes morales et civiles pour la société civile.

La coopération internationale entre les universités européennes jouissait d'une croissance considérable, l’échange d’étudiants et d’enseignants s'installa, et les projets scientifiques communs renforçaient de plus en plus les liens. Dans la plupart des pays développés, les universités occupaient dans les années 1980-1990 une position dominante dans le système d’enseignement supérieur, et effectivement elles assuraient désormais de nouvelles missions. Les sciences techniques et humaines se sont rapprochées, se sont interpénétrées, ce qui a valorisé les universités où toutes les sciences étaient présentes. Les années 1980-début 1990 ont été marquées par le renforcement du processus d’intégration dans le système d’enseignement supérieur européen. Finalement, le programme Erasmus (programme d’échange d’étudiants lancé en 1987 par l’Union européenne) représente le plus grand succès politique de l’Europe, selon Nicolas Gachon417.

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