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Les origines européennes de l'université russe

faiblesses de la gouvernance totalitaire de l’enseignement supérieur 1.1 La nécessité d’une révision des missions de l’enseignement supérieur :

L’ ENSEIGNEMENT SUPERIEUR SOVIETIQUE DANS LE CONTEXTE INTERNATIONAL

1. L’enseignement supérieur russe dans l’espace européen avant et après la Révolution

1.1. Les origines européennes de l'université russe

L’histoire des universités européennes remonte à 800 ans. Les premières universités sont apparues au XIIe-début XIIIe siècle en France et en Italie, et depuis le

milieu du XIVe jusqu’au début du XVIe, elles s’étendaient sur les terres de l’est de la

République fédérale aristocratique formée du Royaume de Pologne et du Grand- duché de Lituanie. Les processus de la Réforme protestante et de la Contre-Réforme, ainsi que l’apparition de la Compagnie de Jésus (Societas Jesu) d’Ignace de Loyola avec un nouveau système d’enseignement, ont accéléré l’expansion des universités à l'ouest et à l'est. Puis, en réponse à la poussée du catholicisme, les premières écoles d’enseignement supérieur orthodoxes sont apparues. Ainsi au tournant du XVIIe

siècle, les lettres des tsars Ivan V (1658) et plus tard Pierre Le Grand (1701) ont confirmé l’établissement de l'Académie de Kiev (Kievo-Mogilianskaia academia357)

et de l’Académie Slavo-Graeco-Latin358 à Moscou – les premiers établissements

orthodoxes de l'enseignement supérieur359.

357 Kievo-Mogilianskaia academia (1701-1817) fut fondée à la base de Kievo-Mogiliaia kollegia

(1631 – 1701).

358 L’Académie Slavo-Graeco-Latin de Moscou (en latin. Academia Slavo-Graeco-Latina) fut fondé

en 1687.

359 ANDREEV Andreï, Rossiïskie ouniversitety XVII – pervoï poloviny XIX veka v kontekste

ouniversitetskoï istorii Evropy / Les universités russes au XVII – première moitié du XIX siècle dans le contexte de l'histoire européenne des universités, Moscou : Znak, 648 p., p. 5-20.

Soutenues par l’Église orthodoxe, l’Académie moscovite et l’Académie de Kiev ont reçu simultanément l’autorisation de l’État et ont été appelées à former non seulement les gens appartenant à la communauté religieuse, mais toutes les catégories de la population. La Russie a donc participé à l’ère « pré-classique» de l’histoire universitaire mondiale avec d’autres pays de sa région. L'historien Artour Idiatoullin considère que l'orientation de l'enseignement supérieur russe vers les modèles occidentaux est l'une de ces caractéristiques et l'un de ces déterminants socio- culturels. Les autres déterminants socio-culturels, selon ce chercheur, sont la domination des intérêts de l’État et l'immaturité de la société civile, autrement dit, l'absence de la position citoyenne des individus et la dominance de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel360.

Dans son analyse comparative des universités russes et européennes au XVIIIe

siècle et dans la première moitié du XIXe siècle, Andreï Andreev a démontré le rôle

positif des liens avec les universités européennes, notamment allemandes. Selon ce chercheur, l’enseignement supérieur en Russie a traversé les mêmes étapes et rencontré les mêmes problèmes au cours de son évolution361. L'envoi des diplômés

russes à l'Université de Dorpat (maintenant Tartu, Estonie) et des universités allemandes pour les stages de recherche a joué un rôle très important pour l'enseignement supérieur russe tout au long de sa période impériale, note Milioukov362.

En Europe en 1809, Wilhelm Von Humboldt a fondé l’Université de Berlin. Celle- ci devient au fur et à mesure le modèle de l'enseignement supérieur, et la référence internationale pour des années à venir- le modèle humboldtien. Voici comment Jean- Luc Meulemeester décrit le modèle de l'université de Humboldt : « le modèle humboldtien, qui est apparu au début du XIXe siècle, est considéré comme la synthèse

des mutations principales de l'institution académique observées jusque-là. Ce modèle se base sur le principe de l'unité de l'enseignement et de la recherche ». Il s'agit du

360 IDIATOULLIN Artour, « Traditsionnye sotsiokoultournye determinanty v istorii razvitia vyschego

obrazovania Rossii » / « Les déterminants socio-culturels dans l'histoire de l'enseignement supérieur

de la Russie », Vestnik KAZGOUKI, 2012, n° 2. Disponible sur officiel de la bibliothèque numérique des revues scientifique Cyberleninka : http://cyberleninka.ru/article/n/traditsionnye-sotsiokulturnye- determinanty-v-istorii-razvitiya-vysshego-obrazovaniya-rossii, consulté le 14.03.2017.

361 ANDREEV Andreï, op.cit., p.10-11.

362 MILIOUKOV Pavel, Otcherki po istorii rousskoï koul'toury / Les essais sur l'histoire de la culture

principe fondamental du modèle humboldtien. La liberté des enseignants-chercheurs qui choisirent eux-mêmes le contenu des cours, la littérature, les méthodes etc., constitue une autre caractéristique essentielle du modèle humboldtien363.

C'est remarquable qu'en même temps que la création de l'Université de Berlin, un homme politique russe Mikhaïl Speransky364 a fondé en 1810 le Tsarsco-celsky Lycée du type université près de Moscou, avec le même esprit de libéralisme dans l’enseignement et l’apprentissage. Cela démontre l’influence des idées de l'époque des Lumières, ainsi que le besoin de l'élite politique de la Russie à éduquer et former ces futurs dirigeants à l'aune des civilisations « éclairées ». Parmi les diplômés du lycée, nous pouvons retrouver des diplomates brillants, des conseilleurs d’État, des gouverneurs, des militaires de haut niveau, des académiciens, des chercheurs, des écrivains et notamment le génie de la littérature – Alexandre Pouchkine. L'état d'esprit de ces diplômés s'est distingué par son ouverture, sa liberté. C'est important de noter ici que parmi les diplômés du Tsarsco-celsky Lycée, des jeunes hommes issus de la noblesse russe, il y a avaient des futurs dirigeants de l'opposition au régime tsariste. Plusieurs d'entre eux ont participé à l’Insurrection décembriste du 26 décembre 1825 - la tentative de coup d’État militaire qui s’est déroulée à Saint- Pétersbourg ayant pour objectif d’empêcher la prise de pouvoir par le futur Empereur russe Nikolaï I, de rédiger une constitution et supprimer le droit de servage (krepostnoe pravo). L'insurrection fut durement réprimée par le nouvel Empereur, et cet événement a eu un impact significatif sur son comportement politique les années suivantes. L'enseignement supérieur en Russie tsariste du XIXe et XXe siècle, comme

d'autres secteurs de la politique de l’État, a subi des vagues de réformes, soit pour donner plus de liberté soit pour la réduire.

A ce titre, Christophe Charle remarque justement que l'enseignement supérieur russe au XIXe siècle se caractérisa par des tendances contradictoires :

« D'un côté, conformément à la tradition russe du despotisme éclairé, l’État cherche à en faire un élément de la modernisation et de l'occidentalisation du pays. De l'autre, les tendances réactionnaires de l'autocratie qui reparaissent périodiquement en fonction

363 DE MEULEMEESTER Jean Luc, « Quels modèles d’université pour quel type de motivation des

acteurs ? Une vue évolutionniste », Pyramides [En ligne], 2011, n° 21, mis en ligne le 18 janvier 2012, disponible sur : http://pyramides.revues.org/804, consulté le 11 octobre 2017.

364 RAEFF Marc, Michael Speransky: Statesman of Imperial Russia 1772–1839, Springer, 2012, 394

de l'agitation révolutionnaire endémique imposent des mesures autoritaires de reprise en main des universités vues comme le foyer des idées subversives et une menace contre l'ordre social365 ».

Comme tous les pays européens au début du XXe siècle, la Russie expérimentait la

poussée des effectifs issus des classes moyennes et inférieures en vue du prestige montant des études supérieures, ainsi que la féminisation de l'enseignement supérieur. Avant la Première Guerre mondiale, il y avait une centaine d’EES en Russie avec 123 000 étudiants. A titre comparatif, en France, par exemple, il y avait environ 40 000 étudiants366. De nombreux ESS en Russie - militaires, commerciales,

industriels, culturels, ont été créés par les différents ministères. Les études supérieures étaient payantes en Russie tsariste, mais elles étaient moins chères qu’en Angleterre ou aux États-Unis, les étudiants en difficulté financière ont été exonérés des droits de scolarité et ont eu la possibilité de recevoir une bourse367.

Dans les dernières années du régime impérial de Russie, l'inscription des étudiants venant des classes laborieuses et paysanne était en croissance. A titre comparatif, voici la différence : en 1880, les enfants d'ouvriers et d'artisans urbains ne représentaient que 12,4 % des étudiants des universités d'État, et ceux de paysans 3,3 % ; en 1914, leurs parts respectives étaient passées à 24,3 % et à 14,5 %. Issue essentiellement de familles pauvres ou miséreuses, la grande majorité des étudiants russes non seulement n'acquittait aucun droit d'inscription, mais dépendait de bourses accordées soit par l’État, soit par des sociétés ou des donateurs privés368.

1.2. L’enseignement supérieur prérévolutionnaire au regard des

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