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L’introduction à l’enseignement supérieur russe

Le système actuel de l’enseignement supérieur russe a été construit par l’État dans les années 1930 suite à une reforme à grande échelle. Le fondement de l’enseignement supérieur russe a été créé avec l’arrêté du Comité exécutif central49 et du Conseil des commissaires du peuple (Sovnarkom)50 de l’URSS du 23 juillet 193051, qui a déterminé le processus de réorganisation des universités et des

organismes de recherche : la réforme a étroitement lié ces établissements aux branches de l’industrie en les plaçant sous la tutelle des différents Commissariats des peuples (narkomaty) – les ministères soviétiques. Nous montrons dans notre analyse les objectifs et les finalités de ces réformes, et l’évolution de la politique en fonction du changement des objectifs. Nous mettons en lumière pourquoi et comment suite à cette politique de transformation du secteur, le nombre total des EES a augmenté par dix : de 65 établissements publics en 1917 (avant la Révolution)52 à 805 EES en 1970

49 Le Comité exécutif central (Vsiesoyuzny Tsentralny Ispolnitelny Komitet, VTsIK) était la plus haute

autorité législative et administrative de l’URSS, entre 1922 et 1938. Il exerçait le pouvoir entre les sessions du Congrès panrusse des soviets, dont il était l'organe exécutif.

50 Le Conseil des commissaires du peuple (Soviet Narodnykh Kommissarov ou Sovnarkom) est la plus

haute autorité gouvernementale sous le régime soviétique. Il remplace le gouvernement provisoire à la suite de la prise de pouvoir par les bolcheviks le 7 novembre (25 octobre) 1917, lors de la

révolution d'Octobre. Le Conseil des commissaires du peuple est remplacé en 1946 par le Conseil des ministres de l'URSS.

51 Postanovlenie Sovnarkoma o reorganizatsiï vouzov, tekhnikoumov i rabfakov / L'arrêté du TsIK et

de Sovnarkom du 23 juillet 1930 sur la réorganisation des EES, des écoles professionnelles et des rabfacs disponible sur le site officiel de la bibliothèque électronique des actes législatifs de l'URSS : www.libussr.ru/doc_ussr/ussr_3657.htm. Consulté le 08.06. 2017.

52 IVANOV Anatoli, Vyschaia chkola Rossii kontsa XIX – natchala XX veka / L'enseignement

supérieur de la Russie de la fin du XIXe siècle – début du XXe siècle, Moscou, 1991, 392 p., p. 254

disponible sur le site officielle de l'Institut de l'histoire russe de l'Académie des sciences de la Russie, le centre de recherche sur les questions de l'histoire du pays :

en URSS53. Nous précisions par notre analyse le cadre structurel et fonctionnel pour

la politique universitaire postsoviétique, parce que jusqu’en 2010, le pays vit dans l’héritage de la réforme structurelle des années 1930.

Après plusieurs changements de vecteurs politiques, l’enseignement supérieur russe a évolué vers un système diversifié avec un modèle spécifique de l’université et de la gouvernance centralisée. Selon les données du Comité de l’État de la statistique, en 1990/91 il y avait 514 EES publics et aucun EES privé enregistré. Le nombre total des étudiants était de 2 millions 824 mille 500 personnes, ce qui se traduit par 190 étudiants pour 10 000 personnes de la population totale54. Dans les années 1990, suite aux réformes économiques de l’État, le nombre d’EES et des filiales (campus délocalisés) ont connu une croissance significative. C’était le temps du développement du secteur privé de l’enseignement supérieur et de l’apparition d’un grand nombre d’EES privés dans les conditions de l’absence d’un encadrement cohérent de ces EES privés. Ainsi, le réseau des EES russes est devenu quatre fois plus grand que le réseau de l’URSS juste avant sa dissolution. Or, le chiffre de la population n’augmentait pas.

Nous analysons dans ce travail la période de l’apparition de l’enseignement privé et l’évolution du cadre de la gouvernance du secteur pour répondre aux questions suivantes : pourquoi l’État diminue progressivement le soutien financier de l’enseignement supérieur public ? Est-ce qu’il s’agissait de favoriser l’enseignement supérieur privé? Comment évolue la politique après l’ouverture du « rideau de fer » ? Quels sont les changements significatifs après la sortie du communisme ? Les réponses nous conduisent à l’arrivée d’une nouvelle politique pour une nouvelle époque.

En 2000/2001, un tiers des EES russes étaient privés (358 EES sur 965 EES55),

et un dixième des étudiants y étudiés (470, 6 mille personnes pour un nombre total de 4 millions 741 mille et 400 étudiants), et pour 10 000 habitants il y avait déjà 324

53 ZINOVIEV Sergueï, PANOV V.G., GORCHENEV A.N., « Vyschie outchebnye zavedenia » / « Les

établissements d'enseignement supérieur » in PROKHOROV (éd.) Grande encyclopédie soviétique, 3e édition, Lettre V, p. 2156-2171.

54 Recueil des données statistiques Statistika Rossiïskogo obrazovaniia / La statistique de l’Éducation

russe, publié sur le site de l’agence fédérale l’Institut public de recherche Informika :

http://stat.edu.ru/scr/db.cgi?act=listDB&t=2_6_1a&ttype=2&Field=All. Consulté le 12.09.2017.

étudiants56. Au début de la décennie suivante, en 2010, le nombre total d’EES était de

1115 (y compris 462 EES privés) avec 7 millions 49 mille 800 étudiants57. Selon

l’estimation du ministère de l’Éducation et de la Science, la qualité de formation d’un grand nombre des EES ne correspond pas aux besoins de l’État et de l’économie58.

Cela concerne surtout les EES privés et un nombre significatif d’EES publics. De plus, depuis les années 1990 les EES privés continuent à former les économistes, les juristes et les gestionnaires malgré l’abondance des diplômés de ces filières sur le marché du travail (au niveau fédéral et au niveau régional).

Est-ce que l’État prendra des mesures pour gérer la surproduction des profils non-demandés par le marché de travail ? Saura-t-il résoudre le problème de la baisse de qualité de l’enseignement supérieur russe et le prestige international du modèle soviétique ? Sera-t-il (l’État) un coordinateur de l’enseignement supérieur ou un collaborateur ?

Le nombre des EES et le nombre d’étudiants diminuaient progressivement depuis l’année 2008 et jusqu’en 2017, avec une chute marquante en 2013/201459. Le

nombre d’EES en Russie en 2017 (année universitaire 2016/17) est 81760. Le nombre d’étudiants est de 4 379 mille de personnes. Est-ce que l’État souhaite réduire le secteur de l’enseignement supérieur ? Pour quelle raison ? Est-ce que c’est un processus centralisé ? S’agit-il d’une nouvelle stratégie pour le secteur ? Sachant que la part des EES publics dans le nombre total des EES a diminué de 61,8 % en 2007/2008 à 59,6% en 2014/201561, pouvons-nous dire que l’enseignement supérieur

56 Ibid.

57 L'éducation en Russie – 2011. Le bulletin statistique, Moscou : L’Université d’État de Moscou de

l’Ingénierie et de l’Informatique (MGUPI), 2011, 580 p., p. 505.

58 Voir, par exemple :

Les actes de la présentation du ministre de l’Education et de la Science Dmitri Livanov à la réunion du gouvernement de la Fédération de Russie du 21 août 2013 au sujet du soutien des établissements d’enseignement supérieur qui jouent un rôle-clé dans le développement socio-économique des régions. Disponible sur le site officiel du ministère: http://минобрнауки.рф/пресс-центр/3568. Consulté le 29.09.2017.

59 Le dossier Vyschee obrazovanie v Rossii : logika izmeneniï / L'enseignement supérieur en Russie :

la logique des changements publié par l’agence d’information Interfax, disponible sur le site

officielde l’agence : http://edu.interfax.ru/articles/807/, consulté le 29.09.2017.

60 Recueil des données statistiques Obrazovanie v 2016 godu / L'éducation en 2016, Moscou : Le

service fédéral de la statistique de l’État, 2017, disponible sur :

http://www.gks.ru/wps/wcm/connect/rosstat_main/rosstat/ru/statistics/population/education/, consulté le 29.09.2017.

61 Recueil des données statistique Indikatory obrazovania : 2016 / Les indicateurs de l'éducation :

2016, Moscou : École supérieur des sciences économiques, 2016. Disponible sur :

privé devient un acteur égal à l’enseignement supérieur public dans la stratégie de l’État, étant donné la parité quantitative de deux parties du secteur ? Est-ce la volonté de l’État ou un processus imposé par des forces non-étatiques ? Nous proposons les réponses à ces questions suite à l’analyse des normes et des solutions adoptées dans les années 2010.

Au vu des programmes de l’État relatifs au développement de l’enseignement supérieur sur le plan national et international, il nous a paru aussi justifié de nous interroger sur l’évolution de la perception de l’enseignement supérieur chez les décideurs publics. Par exemple, un programme « Le développement du potentiel d’exportation du système russe de l’enseignement supérieur » adopté en 201662 nous

amène à nous poser quelques questions : que devient l’enseignement supérieur pour l’État ? Une source de revenus sur le plan international? Un secteur gouverné par le mélange des instances public-privé sur le plan national?

La nouvelle approche de la politique universitaire incitant activement la recherche par les universités de leur propre stratégie et de leur propre modèle économique nous oblige à poser des questions sur l’arrivée des nouveaux acteurs dans la gouvernance universitaire. Les relations plus étroites des universités avec le monde socio-économique, jusqu’à la participation des entreprises à la gouvernance universitaire, nous forcent à réfléchir sur la place de l’État dans ces rapports public- privé.

La place et le rôle de l'enseignement supérieur dans le monde actuel sont cruciaux : les pouvoirs publics, partout dans le monde, sont préoccupés par le développement du capital humain pour propulser le progrès économique. « La réussite économique résultera de la réussite académique, sans que l'inverse soit nécessairement vrai 63», résument Rinne Risto et Koivula Jenny. Si la réussite

économique n’est pas la seule déterminante pour la réussite académique russe, quels sont les autres déterminants ? Au début du XXIe siècle, les systèmes universitaires se

62 Le passeport du projet prioritaire « Rasvitie eksportnogo potentsiala rossiïskoï sistemy

obrazovania » / « Le développement du potentiel du système éducatif russe pour l'exportation »

adopté le 30 mai 2017 est disponible sur le site officiel du gouvernement russe http://government.ru/news/28013/. Consulté le 06.11.2017.

63 RINNE Risto, KOIVULA Jenni, « La place nouvelle de l'université et le choc des valeurs.

L'Université entrepreneuriale dans la société européenne du savoir : aperçu sur les publications »,

trouvent au carrefour des processus globaux et au cœur des débats concernant leurs avenirs, et donc de l'avenir des pays. Or, l’idée que l'enseignement supérieur détermine l'avenir du pays n’est pas nouvelle. Nous montrons cela dans notre analyse de la politique universitaire soviétique et postsoviétique en mettant en évidence les facteurs de son développement au sein de la Russie.

Le philosophe russe Vassili Rozanov, qui a proposé de créer en Russie au début du

XXe siècle un champ d’analyse de philosophie de l’éducation64, a évoqué dans ces

ouvrages les liens entre la sphère de l'éducation, de la recherche et des pouvoirs publics65. Il est convaincu que ces mondes sont inséparablement liés. Dans les différents pays, il y a des approches diverses dans l’interprétation de ces liens et à la réalisation de la politique universitaire, ainsi que des diverses méthodes de gouvernance des EES (gestion financière, élection des recteurs). Nous étudions le cas de la Russie à travers des changements historiques sur un siècle. Durant cette période nous observons à la fois l’intervention de l’État dans le secteur de l’enseignement supérieur, mais également l’implication de l’enseignement supérieur dans la vie politique du pays. Il semble en effet que la présence du politique dans l’enseignement supérieur crée les enjeux stratégiques dans les rapports État-EES. La Russie présente un cas attirant pour la science politique en ce qui concerne la participation des forces diverses dans ces changements significatifs. Nous accordons une attention particulière à cet aspect pour mieux asseoir notre hypothèse sur les liens entre le politique et l’enseignement supérieur, ainsi que sur la politisation de l’enseignement supérieur en Russie lors des grands changements dans le pays.

2.2. La politique de l’enseignement supérieur

L'objet de notre recherche est la politique universitaire russe de 1917 à 2017. Il est nécessaire, après avoir défini ce qu’est l’enseignement supérieur, de fournir la définition adoptée pour le terme de « la politique de l’enseignement supérieur » et le panorama des acteurs de la politique universitaire russe.

64 ROZANOV Vassili, Soumerki prosvechtchenia / Le crépuscule de l'éducation (1899), Moscou :

Pedagogika, 624 p., p.12.

65 ROZANOV Vassili, « Tri glavnykh printsipa obrazovania » / « Trois principes essentiels de

l'éducation », Soumerki prosvechtchenia / Le crépuscule de l'éducation, (1899), Moscou : Pedagogika, 624 p.

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