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Les changements du contexte politique et économique russe de 1917 à 1945 et la périodisation de la politique universitaire

La politique universitaire soviétique : évolution du cadre des relations État – universités durant l'époque soviétique

2. L’État en cours de construction : chantier politique et chantier universitaire

2.1. Les changements du contexte politique et économique russe de 1917 à 1945 et la périodisation de la politique universitaire

En événements politiques, l’année 1917 fut l’année la plus intense en Russie de tout le XXe siècle. L’euphorie de masse après le renversement du régime tsariste a

placé au somment de la vague des changements une force politique qui a pris le cap vers une dictature de type totalitaire. Le parti politique qui n’avait pas été particulièrement remarqué au début devint la force politique principale. Le coup d’État d’octobre 1917 a laissé d’abord l’impression que la transmission du pouvoir n’avait pas encore été faite, et que la question sera résolue une fois que l’Assemblée constituante (Outchereditel'noe sobranie) serait mise en place. Or, les bolcheviks avaient pris les événements d’octobre comme le premier pas vers une future révolution mondiale, et avant de gagner du terrain partout dans le monde, il a fallu installer, selon eux, la dictature du prolétariat en Russie. Non seulement la

convocation de l’Assemblée constituante, mais la création d’un « gouvernement homogène socialiste » ne convenaient pas aux bolcheviks127.

Les efforts de Lénine, de Trotski et d’autres dirigeants soviétiques avaient pour objectif de créer et renforcer l’État prolétariste basé sur le principe des classes. La transformation décisive des structures politiques du vieux régime se passait par la création des bases d’une nouvelle économie socialiste dont les contours commençaient à se dessiner suite à la Révolution. Dès les premiers jours, l’expérience socialiste du pouvoir soviétique a rencontré la résistance de classes sociales diverses, mais les bolcheviks ont réussi à obtenir le soutien des paysans et éviter la perte du pouvoir. Puis, les événements à Kronstadt (Kronschtadtskoe vosstanie) lorsque les équipages de plusieurs navires sous l’initiative du cuirassé Petropavlovsk ont demandé le changement du gouvernement soviétique et du régime des commissaires, signalaient l’échec de l’idée d’un « communisme de guerre ».

La guerre civile 1918-1922 était l’une des plus grandes tragédies dans l’histoire de la Russie. La confrontation des différentes forces politiques, dont aucune n’avait l’objectif de restaurer la monarchie, s’est transformée en effusion du sang avec la mort de millions de gens dans les batailles, ainsi que par des actes de terrorisme, la famine et les épidémies. Environ deux millions des gens ont émigré. Le pays a été démoralisé, dévasté et ruiné. Plusieurs industries, notamment celles des matières premières, ont été endommagées ; la productivité agricole a diminué de 40%. Selon les données d’Erlikhman, le nombre des enfants-orphelin sans foyer en Russie était, en 1921, quatre millions et demi128. Selon une autre source, le nombre des orphelins

était sept millions en 1922129. Les conséquences de la guerre civile ont eu un impact

sur la vie politique pour des années à venir, car les vainqueurs de la guerre, les

127 TROTSKI Léon, Istoria rousskoï revolioutsii / L'histoire de la révolution russe, Moscou : Terra,

1997, Volume 1, p. 455.

YOFFE Genrikh, « Potchemou Fevral' ? Potchemou Oktiabr'? » / « Pourquoi Février ? Pourquoi Octobre? », in VOLOBUEV Pavel (éd) et al., Oktiabr' 1917 : Velitchaychtchee sobytie veka ili sotsialnaia katastrofa ? / Octobre 1917 : Un grand événement ou une catastrophe sociale ?, Moscou : Politizdat, 1991. Disponible sur : http://scepsis.net/library/id_1503.html. Consulté le 30.05.2017.

128 ERLIKHMAN Vadim, Poteri narodonaseleniia v XX veke. Spravotchnik / Les pertes humaines

dans le XXe siècle. Répertoire, Moscou : Édition Rousskaia panorama, 2004, 176 p.

129 ROZHKOV Alexadre, « Bor'ba s besprizornost'iou v pervoe sovetskoe desiatiletie » / « La lutte

contre le problème des enfants-orphelins durant la première décennie soviétique », Voprosy istoriï /

bolcheviks ont continué durant les années post-guerre à appliquer des mesures sévères envers les menaces possibles contre leur régime.

Lénine a déclaré les réformes de l’économie pour augmenter le niveau de vie via la NEP (« nouvelle politique économique »). Celle-ci avait pour objectif de relever le pays, de rallier la paysannerie au régime et de restaurer la confiance, avec la fin des réquisitions, la levée d’un impôt en nature puis en argent, et la liberté de vendre les surplus. Il y avait donc au début du régime une place faite au secteur privé sous le contrôle de l’État des mécanismes essentiels. En 1924/25 la hausse de la production et de la productivité a démontré un net redressement économique dont l’ensemble de la population a pu bénéficier. La politique économique a changé avec l’engagement du pays sur la voie de l’industrialisation accélérée, de la planification et de la collectivisation dans les années 1930.

L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques fut proclamée le 30 décembre 1922 et comprenait les Républiques de Russie avec toute l’Asie centrale, l’Ukraine, la Biélorussie et la Transcaucasie. Le combat politique en URSS a pris la forme d’une lutte pour le pouvoir à l’intérieur du parti. Les confrontations des fractions au sein du Parti s’imposaient avec acharnement et l’évincement des rebelles du rang des bolcheviks. Joseph Staline, qui a pris un poste au début peu significatif – celui du Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), a réussi à rassembler autour de lui un groupe de jeunes fonctionnaires qui ont aidé Staline à installer le régime de pouvoir individuel. Après la mort de Lénine en 1924, Staline a éliminé Trotski et l’opposition de « gauche » en 1929, puis l’opposition de « droite » (Boukharine).

L’objectif du régime totalitaire était de créer une économie puissante et renforcer le rôle de l’État par le placement définitif de toute la société sous le contrôle du pouvoir public. En éradiquant la menace potentielle venant de la veille garde des bolcheviks (« génération d’octobre ») et en éliminant la plus grande partie du Comité central (élu à la XVIIe session des Soviets), Staline a atteint son objectif.

De 1934 à 1939, le NKVD, nouvelle police politique, instaurait la terreur via des emprisonnements, exécutions et déportations dans les camps de travail. Les conséquences des purges des pouvoirs publics étaient l’extermination des hétérodoxes

et des non-conformistes, ainsi que la diffusion de la peur dans la société en général. Les purges ont atteint toutes les couches sociales et toutes les régions du pays130.

Les plans quinquennaux, à partir de 1929, exigea de chaque citoyen un travail acharné et de grands sacrifices matériels. L’infrastructure et l’industrie lourde firent des progrès importants, mais les industries légères furent négligées, et le niveau de vie resta bas. Dans les campagnes, la collectivisation forcée se heurta à l’opposition des paysans aisés : les koulaks. La répression fut impitoyable, et le secteur agricole se trouva complètement désorganisé pour de longues années. A la fin de 1929, le rythme de la collectivisation s’accéléra, la généralisation des kolkhozes fut à l’ordre du jour en même temps que « la liquidation des koulaks en tant que classe131 ». La

collectivisation fut menée par la contrainte et le plus souvent par la terreur. Dans les années 1930, l’ensemble de la société soviétique fut touché par la peur d’être désigné comme des saboteurs de l’économie ou des responsables d’autres échecs. Paysans ou écrivains - tous furent pris dans le tourbillon d’arrestations et de procès expéditifs qui menèrent à la mort ou peuplèrent les camps de travail. Alors que cette pratique de terreur quotidienne renforça le pouvoir stalinien, la Constitution de 1936 attribua à l’État soviétique – « État socialiste » de type nouveau – une façade démocratique. Le rôle dirigeant du Parti et le choix d’une économie planifiée furent affirmés.

Le pouvoir soviétique, conscient déjà au milieu des années 1920 de l’impossibilité d’une révolution mondiale, commença à accorder plus d’attention aux affaires internationales. En déclarant son attachement à la paix et aux principes de bon voisinage entre les pays, l’URSS soutenait les activités de l’Internationale communiste (Kominterm) et comptait sur les bénéfices du partage de l’Europe. En 1939, le pacte germano-soviétique prévoyant l’annexion de vastes territoires occidentaux et retardant la guerre avec l’Allemagne, a mis en évidence le primat des intérêts géostratégiques des orientations idéologiques de l’URSS. L’envahissement de la Russie par les nazis en 1941 a renversé la stratégie de la politique extérieure de Staline et Molotov, et a exigé des efforts urgents et considérables pour résister contre les envahisseurs et pour créer une coalition des alliées.

130 LELTCHOUK Vitali, Apogeï i krakh stalinizma. Stranitsy rossiyskoï istorii / L'apogée et le

désastre du stalinisme. Les pages de l’histoire russe, Volume 1, Moscou : IRI RAN, 1998, 248 p.

131 STALIN Joseph, K voprosou o politike likvidatsii koulatchstva kak klassa / Sur la politique de la

La première étape de la guerre révéla la panique et l’incertitude non seulement au sein de l’armée soviétique, mais également dans le cercle des décideurs politiques du pays. L’armée russe subit des échecs et les pertes de la population furent colossales, mais la perception, que les nazis perdirent la guerre, arriva graduellement. Le moment de basculement fut la bataille de Stalingrad avec la contre-offensive de l’armée soviétique, qui assura un tournant stratégique majeur de la Seconde Guerre mondiale et décida d’avance sa suite. La sortie des troupes soviétiques des frontières de l'URSS et l'accord de principe des alliés sur l'ouverture du Front de l'Ouest en juin 1944 donna encore plus de confiance dans un dénouement de la guerre. Pendant deux ans après ce tournant stratégique l’armée russe anémiée et épuisée conduisit des opérations douloureuses pour libérer les villes de Leningrad, Novgorod, Sébastopol, Vyborg, Minsk, Vilnius, Lviv, Lublin, Varsovie, Belgrade, Riga. En conséquence, l’Allemagne fut démilitarisée, et l’Europe se divisa en deux camps antagonistes dont la confrontation déterminerait la politique mondiale pendant cinquante ans. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles modifications intervinrent pour les frontières de l’URSS, et furent désormais définitives.

Tous ces changements dans la vie politique du pays ont eu un impact sur l’évolution des relations entre l’État et le monde de l’enseignement supérieur. Dans les périodisations proposées par les différents chercheurs analysant la politique universitaire soviétique, nous voyons les moments dans le temps qui nous indiquent les virages de la politique générale de l’État et les changements dans le pouvoir public. Nous évoquons ici des périodisations qui mettent en évidence les axes les plus importants de la politique de l’enseignement supérieur, ainsi que les changements les plus significatifs.

La première périodisation émane de la direction politique et fait la distinction entre la période léniniste et la période stalinienne. La direction politique en URSS implique le contrôle du Politburo du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (TsK KPSS). C’était un organe suprême du Comité central du Parti, qui déterminait les politiques suivies par l’URSS ; ces décisions étaient obligatoires pour tous les autres organes du Parti. L'autorité du Politburo se superposait à celle du gouvernement officiel de l'URSS (successivement appelé le Conseil des commissaires du peuple, puis le Conseil des ministres). Jusqu’à 1924 le membre du Politburo le

plus influent était Lénine qui siégeait aux sessions du Politburo, sauf durant sa maladie entre 1922-1924. Entre 1922 et 1929 Staline, le Secrétaire Général du Comité Central du Parti, prenait progressivement le pouvoir au Politburo132.

En termes de changement de cadre institutionnel et normatif, il est possible de distinguer les périodes suivantes : de 1917 à 1921 – la conduite de la politique universitaire dans le cadre du système institutionnel prérévolutionnaire avec quelques structures supprimées et d’autres requalifiées ; de 1921 à 1929 – la centralisation par l’État de la gouvernance universitaire ; et de 1930 à 1945 – l’installation du contrôle total des universités par l’adoption de dispositifs réglant la vie universitaire, l’enseignement et la recherche en URSS133.

Une autre périodisation souligne le début et le développement de la politique d’ingénierie sociale d’État dont l’enseignement supérieur est devenu l’instrument principal. Selon l’historienne américaine, Sheila Fitzpatrick, la première période de 1917 à 1930 a été marquée par la discrimination positive imposée aux EES par l’État pour permettre aux différentes classes sociales d'avoir accès à l’enseignement supérieur. La deuxième période, à partir de l’année 1931, est marquée par le refus de cette approche, et par l’installation de la politique de la méritocratie vis-à-vis des étudiants entrants à l'université. Les chercheurs Dontchenko et Samolova considèrent qu’en vertu des décrets émis dans la période de 1917 à 1938, il est possible de distinguer la période de la politique de renouvellement révolutionnaire de l’enseignement supérieur (1917–1927) et la politique de la professionnalisation de l’enseignement supérieur (1928–1938)134.

2.2. La politique de l’enseignement supérieur de l’État en cours de

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