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Les mécanismes du système de l’enseignement supérieur

faiblesses de la gouvernance totalitaire de l’enseignement supérieur 1.1 La nécessité d’une révision des missions de l’enseignement supérieur :

3. Le déclin du système soviétique et le secteur de l’enseignement supérieur

3.2. Les mécanismes du système de l’enseignement supérieur

Le déclin des universités était effectivement en marche. Et pourtant, quelques années auparavant, le système fonctionnait bien. Des décennies d’expérience soviétique dans la gestion des universités ont produit des mécanismes facilement identifiables. La gouvernance de l'enseignement supérieur s'effectuait via un pouvoir vertical clairement structuré. Les établissements d'enseignement supérieur spécialisés ont été chapeautés par les ministères des secteurs respectifs (agriculture, médecine, défense) et cela explique le fait, d’ailleurs, que leur niveau d'équipement matériel et technique était meilleur que celui des universités d’État. De plus, les établissements d'enseignement supérieur avaient des liens avec l'industrie. L’État soviétique assurait l'insertion professionnelle de chaque diplômé à travers le système d'affectation – une pratique d'embauche obligatoire pour tous les sortants des universités pour une durée minimale de trois ans. Les jeunes diplômés avaient un statut juridique spécial, et l’employeur n’avait pas le droit de les licencier sans l’autorisation spéciale du ministère de l’Enseignement supérieur et post-secondaire professionnel (Minvous SSSR)327.

L'affectation obligatoire des étudiants après le diplôme établissait une certaine limite à la liberté de choisir son lieu de travail, mais offrait une garantie d'insertion professionnelle pour tous les diplômés et dans tous les secteurs. La plupart des diplômés trouvaient leurs postes dans l’industrie, les écoles et les lycées professionnels ; les cadres de recherches

326 KHANIN Grigori, op.cit.

327 Prikaz de Minvouz SSSR ob outverjdenii polojenia o personal’nom raspredelenii molodykh

spetsialistov okantchivaiouchikh vyschie i srednie spetsial’nye outchebnye zavedenia SSSR / L’ordre

du ministère de l’Enseignement supérieur et post-sécondaire professionnel du 18 mars 1968 n°220 sur l’affectation personnelle des jeunes diplômés des établissments d’enseignement supérieur et des écoles professionnelles post-sécondaires de l’URSS.

sortaient principalement de l’Université de Moscou, de Leningrad et de la nouvelle Université de Novossibirsk. Ces universités avaient la possibilité de conduire des recherches grâce aux relations avec les instituts de recherche de l’Académie des sciences, les enseignants-chercheurs qualifiés, les systèmes développés de formation du personnel enseignant. Cependant, la plupart des universités n’avaient pas les mêmes qualités que l’Université de Moscou, de Saint Saint-Pétersbourg ou de Novossibirsk : le pourcentage de docteurs était moins important, et une culture scientifique manquait dans les équipes des enseignants.

La Constitution de l'URSS de 1977 a assuré le droit des citoyens à la formation. Elle était gratuite de la maternelle jusqu'au l'enseignement supérieur inclus328.Les bacheliers

avaient le choix de l’établissement d'enseignement supérieur en fonction de leurs capacités intellectuelles pour passer le concours d’entrée, ainsi que de leurs préférences géographiques. Faire des études dans une autre région était courant grâce au réseau des résidences étudiantes. Le système de présélection des élèves doués par le biais des olympiades, organisées chaque année pour les lycéens et donnant des notes valables pour passer le concours dans les EES, permettaient de motiver les jeunes talents à poursuivre des études supérieures. Un certain nombre de privilèges, notamment pour les candidats aux études supérieures ayant l’expérience professionnelle, a diminué la qualité de la population étudiante, mais avait un effet positif en insertion professionnelle après la diplomation.

La formulation des objectifs pour l'enseignement supérieur était une prérogative de l’État, ils étaient donc en conformité avec le cap général du groupe dirigeant du Parti. Le cursus a été élaboré par l'instance fédérale. Les établissements d'enseignement supérieur avaient une certaine autonomie dans la prise de décision dans la réalisation de la politique d’État. Malgré le fait qu’il n’y avait pas de loi fédérale unique, il y avait néanmoins un système de documents réglementaires. Un système d’organes de contrôle avec une gestion à tous les niveaux existait selon un schéma de contrôle par les organes du PCUS en parallèle. Le point positif de ce schéma de gouvernance de l’enseignement supérieur était son caractère stable. Le point négatif réside dans le fait que durant le zastoï, la discipline exécutive au sein des autorités publiques baissait, le volontarisme et l'arbitraire des structures grossissaient. L’on constatait que la bureaucratie devenait progressivement non-

professionnelle, ayant une avide illimitée du pouvoir, partie prenante à des malversations et l'absence d'une volonté de résoudre les problèmes au quotidien329.

Il se passait également le départ de l’élite politique et économique du pays, des gens qui ont fait carrière en venant « du bas » grâce au système permettant de mettre en avant leurs talents ou leurs motivations. Les nouveaux cadres de la fonction publique n'avaient pas, dans la plupart des cas, cette expérience pour monter peu à peu l'échelle hiérarchique; souvent ils obtenaient des postes grâce aux liens familiaux et amicaux ou encore grâce à la corruption progressive du système330. La qualité des élites dirigeantes sur tous les niveaux

baissait. Brejnev et ses successeurs ont mis en évidence la qualité médiocre des élites dirigeantes jusqu'au premier échelon, qui était, comme le note Hélène Carrère d’Encausse, « composé d'hommes moyens, avant tout soucieux de conserver les positions acquises et les privilèges qui en découlaient. Soucieux également d'écarter de la sphère du pouvoir tous ceux qui pourraient menacer cette gérontocratie immobile331 ».

La stagnation politique du pouvoir autoritaire en l’URSS, la stagnation dans l’économie et l’insatisfaction de la société par rapport au niveau de vie, l'absence de libertés démocratiques et la fermeture du pays aboutissaient à l'accumulation d’opinions négatives. La population montrait sa méfiance vis-à-vis de l'idéologie officielle et des dirigeants du pays. La différence dans le mode de vie entre les dirigeants du Parti communiste, la nomenklatura, et la population se creusait. Les discours officiels s’efforçaient de préserver les attributs de la fierté nationale en déclarant l’URSS la grande puissance ayant des relations de parité avec les États-Unis, en rappelant au peuple soviétique leur histoire héroïque des décennies précédentes. Le pouvoir public continuait à soutenir certains domaines de la science, les études spatiales, ainsi que de promouvoir les événements artistiques et culturels pour honorer le ballet russe et la littérature classique russe. La prérogative de l’État sur de la capacité défensive dominait l'économie du pays, et cela assurait le développement plus au moins satisfaisant de certains secteurs de l'industrie. Pendant les jours fériés et les défiles, les pouvoirs publics sortaient les engins militaires et

329 IVANOVA Svetlana, « O specifike priniatiia resheiy v otechestvennoi systeme obrazovania s

uchetom vneshnyx usloviy v 1980-1990 godakh XX veka – 2000 godakh XXI veka » / « La spécificité

de la prise de décisions pour le système de l’éducation avec la prise en compte du contexte des années 1980, 1990, 2000 », in IVANOVA Svetlana (éd.), Priniatie resheniy v systeme obrazovania / La prise

de decisions pour le systèlme de l’éducation, Moscou : Edition IET, 2014, 548 p., p. 176.

330 IVANOVA Svetlana, op.cit., p. 176.

331 CARRERE D’ENCAUSSE Hélène, Six années qui ont changé le monde. 1985-1991, la chute de

les hélicoptères pour montrer à la population l'équipement avancé de cette industrie dominante, et la force militaire russe représentait une forme de fierté nationale.

En effet, le domaine militaire exigeait des financements considérables vu la priorité donnée par l’État à la défense à l’issu de la Grand Guerre patriotique et l'engagement de l'URSS à la course aux armements, l’ensemble aboutissant à l’épuisement économique du pays. En fait, les supra-missions de l’État soviétique dans les années 1950 n'ont pas été revues dans les années 1960-1970. L'objectif premier des dirigeants politiques tels que Brejnev, Tchernenko, Oustinov, était la préservation de l'appareil du Parti au pouvoir, tandis que les intérêts nationaux n'ont pas été revisités. Enfin, la crise économique s'est aggravée par la baisse du prix du pétrole en 1985. De même, l'enseignement supérieur dans la dernière période soviétique se dégradait progressivement. Contrairement aux années 1930 et 1950, lorsque les besoins des universités obtenaient les réponses dynamiques d’État, tout au long des années 1970-1980 les pouvoirs publics ne se montraient pas active pour résoudre les problèmes de l’enseignement supérieur.

La recherche soviétique se trouvait essentiellement dans les instituts de l'Académie des sciences et considérablement moins dans les EES. La participation des universités au développement de la recherche nationale était minimale, et de nouvelles demandes de la société ne recevaient pas des réponses adéquates du système universitaire. Dans les années 1980, les EES ne recevaient pas de subventions pour la recherche, ces dernières étaient réservées aux instituts de l’Académie des sciences. Ainsi, au moment de la révolution scientifique et technique et de l’arrivée de l’ère de l’information, l’enseignement supérieur s’est trouvé sans pouvoir répondre aux nouveaux défis technologiques. Les jeunes diplômés d’études supérieurs étaient surpris que leurs spécialités ne fussent plus demandées par l’industrie. Par exemple, les diplômés en psychologie ou sociologie ne trouvaient pas de travail. Dans le même temps, les projets de construction des bâtiments universitaires ont été gelés, et l’État a arrêté l'ouverture des nouvelles universités. Au Plenum du Comité central du PCUS du mois de juin 1983, on a abordé la question de l’insatisfaction de l’état de l’enseignement supérieur332.

Pendant la période difficile des années 1980, les universités comme le pays vivaient une double vie. Avec la crise alimentaire et industrielle, l'économie « grise », dite économie

332 Materialy Plenouma TsK KPSS / Les actes du Plénum du Comité central du PCUS du 14-15 juin

« de l'ombre », se développa en parallèle. Dans le même temps, la pensée libre et critique se développa en cachette dans les universités. Les étudiants se posaient des questions et cherchaient des réponses dans les bibliothèques ou dans la littérature interdite et clandestine (samizdat). Les dissidents, qui ont exprimés ouvertement leur mécontentement des pouvoirs publics, ont subi des épreuves telles que l’emprisonnement et le placement forcé en hôpital psychiatrique333. En émigrant, ils perdaient progressivement le lien avec le

peuple russe et la conscience des réalités du pays natal. Ceux qui avaient des ambitions politiques sur place, devaient s'adapter au système et à l'idéologie officielle préservée par l'appareil du Parti afin d'assurer sa primauté au pouvoir. L'un de ces apparatchiks parfaits, Mikhaïl Gorbatchev, diplômé avec honneurs de l'Université de Moscou, est devenu le leader politique capable d'apporter des changements.

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