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De l’usage de l’indication géographique

II. L’indication géographique institue un droit de propriété validant la qualité liée à l’origine

2.2. Réduire l’asymétrie d’information en garantissant la validité de l’information transmise et la fiabilité des contrôles

2.2.1. Réduire l’aléa moral sur les qualités typiques

À l’instar des normes, standards, labels et autres signes de qualité officiels, l’indication géographique communique des informations sur les caractéristiques d’un produit. Contrairement au régime des marques, le système sui generis de protection des IG exige la preuve d’un lien entre les qualités du produit et sa région d’origine. Si le détail des qualités typiques et des cahiers des charges varient d’une IG à une autre, l’exigence d’une qualité liée à l’origine est le dénominateur commun à toutes les IG.

Comme nous l’avons vu, les marques de certification ne sont en aucun cas tenues de fournir une information quant à l’origine des produits. Du point de vue du droit, « une garantie d’origine géographique n’est donc pas l’essence de toute marque de nature collective […]. Il ne s’agit que d’une fonction éventuelle, et non pas essentielle, des marques de nature collective » (Le Goffic, 2010, p. 195). En règle générale, lorsque la marque de certification consiste en un nom géographique, la provenance est un des critères de conformité du règlement d’usage (pour éviter que la marque ne soit déceptive). Mais cette exigence sur la provenance n’est pas systématiquement conjuguée à une exigence sur les qualités des produits. Or, la qualité liée à l’origine, recherchée par les consommateurs de produits de terroir, est précisément basée sur ce lien entre origine et qualités. En conséquence, dans le cas des marques de certification, aucun contrôle de la qualité liée à l’origine n’est requis. La certification porte sur certaines caractéristiques des produits, qu’elles soient ou non imputables à la région d’origine. Hughes (2003) analyse la protection des noms géographiques par les marques de certification américaines et souligne cette absence de lien entre origine et qualité, « there is no requirement essential land/qualities nexus in U.S.

law because of the fundamentals of trademarks law, […] IDAHO potatoes are protected without even any claim that they taste differently that Russet potatoes grown in other region. » (p. 80).

Pour Giovannucci et al. (2009), les dénominations géographiques protégées par des marques de certification fonctionnent comme des « IG privées » et compliquent la tâche des consommateurs dans la recherche de signaux de marché précis et objectifs. Quand le type même des critères de conformité varie d’une marque à une autre, il devient difficile de savoir sur quoi porte la certification. L’information véhiculée par le signe s’en retrouve brouillée et devient peu lisible pour les consommateurs, ainsi « il est parfois difficile de savoir si un terme géographique fait passer un message autre qu’une simple identification de la provenance » (p. 63). Il est alors nécessaire pour le consommateur de rechercher des informations complémentaires.

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La même observation peut être faite pour le cas des marques collectives dites régionales79. Ces marques sont utilisées pour une grande diversité de produit. Par exemple, la marque Sud de France propose son utilisation à plusieurs vins, mais aussi à des plats cuisinés et conserves, des boissons non alcoolisées, des légumes frais, des produits de la mer… Le règlement d’usage se veut minimal en ne définissant initialement que trois critères principaux, mais il renvoie ensuite à plusieurs cahiers des charges établis pour chaque catégorie de produits80. Le règlement d’usage général pose la provenance Languedoc-Roussillon comme critère obligatoire, en ajoutant « sous réserve que l’ingrédient entrant dans le process existe en région et qu’il puisse répondre aux besoins quantitatifs de l’entreprise », ce qui ménage une marge de manœuvre relativement grande pour tous les produis transformés marqués Sud de France. Il devient alors difficile d’obtenir une information claire sur l’origine véritable des produits. Il est par ailleurs indiqué que si le produit est déjà enregistré sous un signe officiel de qualité (AOP, IGP, Label Rouge…), cela suffit à l’obtention de la marque collective.

Pour illustrer le problème d’homogénéité de l’information transmise par une marque de certification, nous prenons l’exemple de quatre marques de certification enregistrées aux États-Unis81 et observons sur quels critères, extraits des règlements d’usage, porte la garantie de conformité certifiée par la marque (tableau 5).

79 Depuis 2010, plusieurs régions françaises ont déposé des marques appelées « marques ombrelles » ou « marques partagées », en enregistrant le nom de leur région. On trouve notamment la marque « Bretagne », « Sud Ouest France », « Sud de France » et plus récemment « Alsace ». Ces marques sont déposées en tant que marques collectives et peuvent, conformément à l’Article L715-1 du code de la propriété intellectuelle, « être exploitée[s] par toute personne respectant un règlement d’usage établit par le titulaire de l’enregistrement ».

80 Le règlement d’usage est disponible en ligne à l’adresse : http://www.sud-de-france.com/wp-content/uploads/2014/09/Reglement-usage-2014.pdf. Les liens vers les cahiers des charges sont disponibles à l’adresse : http://www.sud-de-france.com/cahiers-charges-sud-france/. (pages consultées le 15/05/2015). 81 Certaines de ces marques ont été enregistrées plusieurs fois, par le même titulaire, mais avec des logos variables. Plusieurs numéros d’enregistrement peuvent donc être reliés à la même dénomination. Nous présentons seulement l’enregistrement le plus récent pour chaque marque de certification.

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Tableau 5 : Contenu des règlements d'usage de quatre marques de certification

Idaho Comté Washington Parmigiano Reggiano

Produit Pommes de terre Fromage Pomme Fromage

Élément figuratif

2914308 1654605 730583 3472347

Titulaire État de l’Idaho - Idaho Potato Commission

Comité Interprofessionnel du

gruyère de Comté

Washington State Apple Advertising Commission Consorzio Del Formaggio Parmigiano-Reggiano Contenu de la certification « La marque certifie que les produits sont originaires de l’Idaho et sont conformes

aux standards de qualité, grade, taille,

poids, couleur, forme, propreté, variété, défauts internes et externes et degré de maturité, promulgués par le certificateur » « La marque certifie que les produits sont

originaires de la division administrative française Comté; que les produits sont faits exclusivement à partir de lait de vache

de race Montbéliarde, nourries d’herbe fraîche ou de foin

sec ; et que les fromages

respectent les standards d’hygiène, les méthodes de production et l’apparence définis par le certificateur » « La marque certifie que les produits sont originaires de l’État

de Washington »

« La marque certifie que les produits sont originaires de la région Parma-Reggio en Italie, en particulier de la zone comprenant les provinces de Parme, Reggio Emilia, Modène et Mantoue sur la rive droite du Pô, et de Bologne sur la rive gauche du Reno » Origine : provenance et qualité Origine : provenance et

qualité Provenance Provenance

Source : Base de données en ligne de l’USPTO (United States Patent and Trademark Office), notre traduction. La lecture du tableau 5 permet de montrer que dans deux cas (Idaho et Comté), c’est l’origine, c’est à dire la combinaison de la provenance et des qualités qui est certifiée. Notons toutefois que l’exigence sur la typicité semble plus élevée pour le Comté où référence est faite aux méthodes de production. Dans les deux autres cas (Washington et Parmigiano Reggiano82), seule la provenance est vérifiée.

82 Pourtant la dénomination Parmigiano Reggiano a été enregistrée en AOP en Europe en 1996. Un cahier des charge précise, outre la provenance du produit, les conditions de production à respecter, comme par exemple, l’alimentation des vaches en fourrage de luzerne ou polyphytes, la forme précise du fromage, la durée d’affinage

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Le fait que les règlements d’usage soient totalement libres génère une ambigüité sur les garanties de qualité fournies par la marque de certification. Le contenu du signe est incertain, le consommateur, face à un produit marqué, ne peut donc pas savoir facilement si la vérification a porté uniquement sur la provenance ou si d’autres critères (caractéristiques du produit, méthode de production…) ont également été vérifiés. Les contenus non uniformes des règlements d’usage poussent donc les consommateurs à rechercher des informations supplémentaires. Ainsi, les marques de certification ne remplissent que très imparfaitement leur fonction d’informer les consommateurs sur les qualités typiques des produits de terroir.

Dans le cas de l’indication géographique, comme nous l’avons vu dans les sous-parties 2.1.1. et 2.1.2., la qualité liée à l’origine est exigée. L’enregistrement de la dénomination géographique en tant qu’IG est conditionné par la validation de ce lien, après examen réalisé par une instance publique compétente. Cette exigence est le dénominateur commun à toutes les IG, ce qui assure aux consommateurs que le produit porteur d’une IG possède des qualités uniques, dues à son terroir de production, qui ne sont pas reproductibles dans une autre région.

Le type d’information véhiculé par l’IG est donc plus clairement régulé que dans le cas des marques de certification. Les cahiers des charges sont adaptés à chaque produit, mais ils suivent une trame commune. L’établissement systématique de règles de production garantit aux consommateurs un certain degré homogénéité des produits. Certes, la conception des IG et les procédures associées (présentation des cahiers de charges, modalités de contrôle…) peuvent varier partiellement entre différents pays, mais dans un pays donné, la règlementation nationale sur les IG garantit aux consommateurs que les produits porteurs d’une IG répondent à des critères communs. Ainsi, les consommateurs s’informant sur le système de protection des IG dans leur pays obtiennent une information qu’ils pourront réutiliser pour l’ensemble des produits IG qu’ils souhaitent acheter. En comparaison, le système des marques présente un coût d’obtention de l’information plus élevé puisque la recherche d’information doit être répétée pour chaque produit.

L’IG a donc la capacité d’informer les consommateurs d’une manière lisible sur la typicité des produits. Lorsqu’un produit est porteur d’une IG, le consommateur connaisseur du système IG sait que les acteurs locaux ont identifié ses qualités typiques et traduit ses qualités en règles de production afin d’assurer leur maintien. Grâce à l’information véhiculée par l’IG, la connaissance sur les qualités

naturel d’au moins douze mois, etc.

(http://ec.europa.eu/agriculture/quality/door/registeredName.html?denominationId=518, (page consultée le 26/11/15).

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typiques des produits est améliorée et l’asymétrie d’information entre le vendeur et l’acheteur est réduite, ce qui permet d’affaiblir le risque d’aléa moral sur les qualités typiques des produits.