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IV. Multiples fonctions et effets des indications géographiques

4.1. Les fonctions des indications géographiques

En analysant quinze années de politiques publiques dédiées aux IG en Europe, Sylvander et al. (2006) identifient quatre fonctions principales assignées progressivement aux IG et qui permettent de justifier politiquement leur soutien. Une première justification porte sur les règles de l’échange. Les IG, en tant que signe officiel de qualité, garantissent une concurrence juste et loyale entre producteurs et protègent les consommateurs des usurpations. L’amélioration de l’information protège la réputation de qualité d’un produit (Rangnekar, 2004a). Le premium de prix pour la qualité peut alors être maintenu grâce à un processus « d’institutionnalisation de la réputation » (Belletti, 2000). Cette justification par les règles de l’échange pourrait valoir autant pour les marques que pour les IG, toutefois, le caractère collectif des IG permet de mieux saisir la dimension collective des produits de terroir (Bramley et al., 2009). Une seconde justification tient à la maîtrise de l’offre sur les marchés agricoles, la délimitation d’aires de production constituant un moyen de gérer les volumes et stocks, et les cahiers des charges un moyen de garantir la qualité des produits. La troisième justification analysée par Sylvander et al. (2006), fréquemment relevée dans la littérature, porte sur les effets potentiels des IG sur le développement rural. Cette fonction des IG a été renforcée par plusieurs travaux (Pacciani et al., 2001 ; Belletti et al., 2002 ; Barjolle, 2006 ; Tregear et al., 2007 ; Loranzini, 2010). L’argumentation fait référence à de multiples effets des IG sur les activités agricoles et sur la vie en milieu rural : valorisation des productions régionales, préservation des cultures locales et

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des traditions, maintien et dynamisme de l’emploi rural, production/gestion de biens publics territoriaux, etc. La quatrième justification émerge plus récemment au travers de la valorisation ou de la préservation du patrimoine et de la conservation des ressources, également argumentée dans les travaux de Larson Guerra (2004, 2007, 2010) et déjà soulignée par Rangnekar (2004a). Ces recherches font notamment écho à des réflexions sur la biodiversité et les savoir-faire locaux dans les AOC françaises (Bérard et al., 2005b ; de Sainte Marie et Bérard, 2005). Les IG peuvent se combiner avec divers instruments de protection des savoirs traditionnels pour valoriser et préserver les « traditional

lifestyles », la diversité biologique et culturelle et accompagner ainsi les transformations vers une

agriculture plus durable (Panizzon, 2006). Marie-Vivien et Chabrol (2014) analysent la capacité des IG à protéger les produits traditionnels indigènes en lien avec la biodiversité dans l’optique d’un bénéfice pour les communautés rurales pauvres.

Au cours des années 2000, une cinquième fonction des IG est analysée dans la littérature. Plusieurs travaux soulignent et interrogent le potentiel des IG à différencier les produits sur les marchés (Sylvander, 2004 ; Montagnon, 2006 ; Teuber, 2010). Dans le contexte économique d’un « open global trade regime […] quality-informed product differentiation appears to offer an escape route from the

trap of low commodities prices » (Neilson, 2007, p. 188). Les premières analyses sont fondées sur les

marchés internationaux du café, sur lesquels les « commodities » sont « de-commodified » par une demande et une offre plus orientées vers la qualité (Kaplinski et Fitter, 2004). Il convient néanmoins de préciser que l’origine reste une des options de différenciation parmi diverses segmentations de marché observées : specialty coffees, café single-origin, cafés gourmets, etc. (Lewin et al., 2004). Bramley et Kirsten (2007) relèvent également un potentiel des IG pour l’amélioration de l’accès au marché et la formation de marchés de niche, ce qui renvoie à l’idée de différenciation.

Galtier et al. (2008) relativisent cette fonction en analysant le processus de construction de l’IG Jarabacoa pour un café en République Dominicaine et en questionnant la capacité de cette IG à « decommodifier » effectivement le café. La différenciation du café de Jarabacoa apparaît plus fortement liée à des éléments propres au « monde du café » et non nécessairement reliée à l’IG. Les IG ne peuvent constituer à elles seules des solutions aux problèmes de valorisation/différenciation des produits et une gouvernance locale entre acteurs doit être instaurée afin de mieux répartir les bénéfices de la valorisation. La différenciation au travers des IG reste malgré tout une des attentes des acteurs impliqués dans le développement des IG au Sud, pour des cafés mais aussi pour d’autres produits (Fournier et al., 2009).

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Enfin, pour des filières essentiellement européennes et a priori moins soumises à la globalisation (comme l’AOP Roquefort ou l’AOP viande de taureau de Camargue), Fort et Rastoin (2009) observent que 9 cas d’IG sur 15 étudiées dans le cadre du projet DOLPHINS ont été construites dans le « but offensif de segmentation du marché, de différenciation par la qualité et de recherche de valeur ajoutée », alors que 5 IG sur les 15 affichent clairement le « but défensif de protection contre la concurrence déloyale et les usurpations de réputation ».

En parallèle de ces travaux qui tendent à argumenter, en apportant des nuances et des réserves, en faveur des IG en tant qu’outils de développement, d’autres travaux analysent les effets potentiellement négatifs des IG. Pour certains auteurs, les IG sont, par définition, des DPI, et leur rôle devrait de ce fait se limiter à signaler un produit sur le marché. Les investissements publics nécessaires à l’établissement de systèmes de protection sui generis, assortis de politiques coûteuses de mise en œuvre, sont critiqués. Une protection par les marques, estimée moins coûteuse, peut être jugée suffisante et l’extension de la protection additionnelle dans l’ADPIC est estimée inutile et injustifiée (Hughes, 2006). En orientant l’argumentation sur les bénéfices potentiels que les producteurs du Sud pourraient retirer des IG, Hughes (2009) estime que les débats sur les régimes juridiques importent peu pour la valorisation des produits dans les PED, car cette dernière serait essentiellement déterminée par des configurations extérieures aux IG (les exemples considérés sont les filières café et cacao). Pourtant, plusieurs auteurs relèvent la pertinence des IG pour les PED, en réaffirmant leurs effets de lutte contre les usurpations, de préservation des savoir-faire indigènes et des ressources, d’amélioration de l’accès au marché, de développement rural et d’augmentation de revenus des producteurs (Bramley et al., 2009 ; Bowen, 2010b, 2010a ; Sautier et al., 2011).

Si la multiplication et parfois la confusion (Frankel, 2011) des fonctions assignées aux IG sont attestées par les travaux des chercheurs, leur justification politique est donc aussi fréquemment discutée. L’existence de « contre exemples » parmi les IG analysées, comme le cas de l’AO Tequila (Bowen et Zapata, 2009), poussent à relativiser les effets positifs des IG et à intégrer dans l’analyse le caractère non systématique du lien entre IG et développement. Malgré l’existence d’effets potentiellement négatifs, l’engagement de l’État dans le développement des IG apparaît justifié pour palier aux situations de « market failure ». Sans IG, les marchés de produits dont la qualité est liée à l’origine sont menacés par l’asymétrie d’information. En outre, ces marchés génèrent un ensemble d’externalités et font intervenir des biens publics, ce qui justifie pleinement une intervention publique (Belletti et al., 2015).

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