• Aucun résultat trouvé

Du processus de qualification à la rente, une rencontre entre le terroir et le territoire

2.4. Territorialisation de la rente de qualité

2.4.1. Distinction entre le terroir et le territoire

Le concept de terroir est souvent rapproché de celui de territoire, malgré l’existence de distinctions (Pecqueur, 2011). Si le terroir résulte d’une histoire longue et exprime la relation complexe entre un milieu, des facteurs naturels et les pratiques de production de la communauté humaine locale (cf. 1.2.2., 1.2.3. et la définition du terroir proposée au 1.2.5.), le territoire est à comprendre comme un construit socio-économique qui traduit un projet de développement en s’appuyant sur les liens entre un espace administratif et une logique patrimoniale (Peyrache-Gadeau, 2002). Quand le terroir a trait à la communauté, aux traditions et usages, à l’écosystème, le territoire se fonde sur une organisation des acteurs et un ensemble de coordinations et d’institutions qui agissent ensemble au sein d’un système productif pour le développement et l’aménagement.

L’intentionnalité des acteurs

Le territoire se distingue donc du terroir par sa structuration autour de l’action concertée dans le cadre de « projets de territoire ». L’intentionnalité des acteurs est au cœur de la fabrique des territoires, alors que le terroir émerge d’une manière relativement plus diffuse. « L’intentionnalité est une caractéristique de la territorialisation » (Lajarge, 2000), le territoire émerge donc avec l’énonciation d’un projet et d’objectifs communs. Ce projet est construit –doit être construit- par les acteurs locaux, qui ne doivent pas être les « oubliés du territoire » (Gumuchian et al., 2003).

Les définitions du concept de territoire

Comme le souligne Requier-Desjardins (2009), « le territoire n’est pas au départ un concept économique, l’économie spatiale néo-classique étant largement a-territoriale ». C’est dans la géographie que le concept de territoire prend sa source et cette discipline n’a cessé de développer ses définitions.

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

84

Dans leur Dictionnaire de la géographie, de l’espace et de la société, Lévy et Lussault (2003)36 proposent neuf définitions du territoire, lui donnant un caractère polysémique. Ces définitions s’attachent à repérer les frontières entre le territoire et un autre concept géographique, l’espace. La septième définition établit que le territoire est « un espace approprié […] disposant d’une manière ou d’une autre, d’un attribut de possession ou d’identification ». La notion d’appropriation est souvent reliée à celle de territoire, comme chez Di Méo (1998) pour qui le territoire est une « appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité ». Di Méo insiste sur la diversité des modes d’appartenance au territoire pour les acteurs. Le territoire se décline alors en espace de vie dans lequel les acteurs habitent et produisent, en espace vécu et représenté (lié à la conscientisation des pratiques) et en espace social fait de lieux partagés, de lieux de rencontres et de rapports sociaux. Dans une approche comparable, Louargant (2003) définit le territoire comme une construction qui combine le spatial, le vécu et le social (car le territoire est le lieu de projection de rapports socio-économiques).

La notion de territoire évolue donc progressivement en s’éloignant de l’idée d’un espace neutre et statique. Selon Abdelmalki et al. (1996), c’est la « densité institutionnelle » d’un espace qui en fait un territoire. Cette densité institutionnelle provient : (i) des dispositifs administratifs qui définissent les frontières (communes, départements…), (ii) des comportements collectifs des acteurs territoriaux, (iii) des règles et normes de comportement et d’interaction établies entre eux et (iv) des institutions formelles qui prolongent et organisent ces relations. Hirczak (2007) considère le territoire comme « un construit socioculturel (un système de valeur qui assure la régulation et l’intégration des comportements individuels) qui se maintient et se renouvelle au fil de l’histoire. Il n’est donc pas un simple réceptacle neutre et homogène de stratégies, il est un espace construit et différencié avec une limite, un « dehors » et un « dedans », une identité » (p.153).

Le territoire n’est donc pas le « milieu d’accueil » des activités hétérogènes d’acteurs localisés, ni le simple réceptacle de trajectoires de développement, il est une construction collective, dans plusieurs dimensions, d’un projet commun. L’appropriation de ce projet commun par les différents acteurs du territoire influence le rythme de développement du projet et du territoire. On peut donc parler d’une dynamique des territoires, cycle temporel dans lequel les territoires naissent, se développent et meurent, ou se transforment.

36 Lévy, J. et Lussault, M. (dir.) (2003). Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, pp. 907-917.

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

85

Coordinations locales, gouvernance et ressources

Sans chercher à définir le territoire, Lamara (2009) tente d’en identifier les composantes principales. Son hypothèse est que le territoire est « un construit social résultant de la combinaison d’une coordination d’acteurs, non résolument économique, réunis pour résoudre un problème productif inédit et de ressources territoriales qui sont activées pour une dynamique renouvelée du territoire ».

Les analyses des coordinations entre acteurs s’inscrivent dans le prolongement de l’économie industrielle et géographique, revisitées par les approches territoriales. Les travaux sur les milieux innovateurs initiés par Aydalot (1986), l’industrialisation diffuse (Pecqueur, 1989), les districts industriels inspirés des travaux de Marshall (Becattini, 1992 ; Benko et al., 1996), puis les systèmes productifs localisés (Courlet, 2002) ont posé les bases de l’étude des coordinations entre acteurs économiques localisés. Tous ces travaux ont un point commun : ils soulignent la capacité d’entreprises localisées à interagir et à construire des régulations pour s’adapter aux contraintes externes. Ainsi, les économies réalisées par les petites entreprises au sein des districts industriels sont liées à leur concentration, à leurs échanges répétés et à l’organisation du travail. Le succès des districts italiens observés par Becattini est dû à une « atmosphère industrielle » locale qui permet des coordinations marchandes et non marchandes entre les entreprises, ce qui renforce leur compétitivité et leur capacité d’innovation. De même, les systèmes productifs localisés donnent à voir une organisation territoriale de la production qui permet aux entreprises de s’adapter efficacement aux évolutions du marché grâce à leur proximité et la confiance qui permet d’alterner intelligemment entre concurrence et coopération. Finalement, milieux, districts, systèmes productifs localisés et territoires renvoient à la même notion de coordination. Lamara (2009) en fait le premier pilier de la construction territoriale. C’est grâce à ce système de relations que les acteurs locaux identifient leurs objectifs de développement et agissent ensemble. La fréquence de ces interactions renforce le capital relationnel des acteurs et par conséquent le capital territorial (Camagni, 2008 ; Toth, 2014). Ce capital nait de la proximité, du partage de valeurs communes, de normes et de codes sociaux, il se fonde sur la confiance et garantit une plus grande réciprocité dans les échanges économiques, permettant de réduire les incertitudes et gagner en efficacité.

Le territoire a des limites dessinées par les proximités, c'est-à-dire les réseaux d’acteurs qui discriminent entre les « appartenants » (insiders) et les « extérieurs » (outsiders) (Pecqueur, 2003). Storper et Harrisson parlent de gouvernance territoriale (1992) au sein de ces réseaux, qu’ils analysent comme les effets de la coopération entre les acteurs d’un réseau localisé de production. Selon les formes que prennent ces réseaux et le type d’acteurs impliqués, ces modes de gouvernance peuvent être privés,

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

86

institutionnels ou mixtes (Gilly et Perret, 2003 ; Leloup et al., 2005). Le territoire évolue en permanence avec la transformation de ces réseaux et modes de gouvernance. Ce processus est rythmé par l’identification et la résolution de problèmes productifs, ce qui requiert un compromis institutionnel entre acteurs économiques et acteurs publics locaux ou non (Pecqueur, 2003).

Les différents modes de gouvernance territoriale sont également le reflet des interactions variées entre les différents niveaux de l’action publique. Pour Torre (2000, cité par Pecqueur, 2003), la gouvernance territoriale peut être définie « comme un modèle de coordination qui vise à intégrer les mécanismes productifs et institutionnels dans les dimensions locales (proximité géographique vs proximité organisationnelle) et locales-globales (proximité locale vs proximité globale), la gouvernance territoriale apparaît comme l’expression des tensions et des arbitrages entre différents intérêts au niveau local ». Le concept de gouvernance territoriale permet donc d’analyser les actions collectives et les processus de décisions au sein des territoires, en prenant en compte la diversité des acteurs et leurs relations multiples, l’importance des réseaux, des conflits et des négociations entre points de vue parfois divergents (Bertrand et al., 2001).

Le second pilier de la construction territoriale est fondé sur la valorisation de ressources territoriales. Ici, Lamara (2009) rejoint Requier-Desjardins (2009) et Peyrache-Gadeau (2007) en considérant que la notion de ressource a permis un renouvellement de l’économie des territoires, notamment avec l’étude de l’ancrage territorial des productions et des processus de qualification. Au-delà des seules ressources naturelles, les ressources territoriales peuvent être immatérielles (un savoir-faire, un mode d’organisation de la production, un paysage) et non marchandes (histoires et identités communes). Elles apparaissent progressivement avec la prise de conscience collective de la valeur potentielle d’un ou plusieurs élément(s) du territoire (ressources latentes) qui peuvent devenir un actif grâce à un processus de spécification (Colletis et Pecqueur, 2005). « Tous les objets du territoire acquièrent de nouvelles valeurs, les perceptions changent et tout devient une ressource potentielle, et un élément de différenciation. La conception de la ressource passe ainsi d’un stock de matières disponibles sur le territoire à celle d’une construction par les acteurs qui qualifient et requalifient l’ensemble des objets du territoire » (Lamara, 2009, p. 11). Les ressources ne préexistent pas aux territoires et aux acteurs, elles sont révélées puis activées grâce aux coordinations locales (Gumuchian et Pecqueur, 2007). La construction territoriale est donc un processus par lequel les acteurs désignent et spécifient les ressources qu’ils projettent ensemble de mobiliser et valoriser afin de répondre à des enjeux de développement partagés.

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

87

L’activation nécessaire des ressources permet de penser une dynamique des ressources (Kebir, 2006) qui peuvent entrer dans des phases de croissance, d’érosion/épuisement, de mise en valeur et de pénurie. Les stratégies des acteurs vis-à-vis des ressources territoriales varient en fonction de leurs projets et des phases dans lesquelles se trouvent les ressources. Ainsi, une temporalité (révélation, valorisation, renouvellement) des ressources peut être observée en fonction des diverses stratégies d’acteurs, qui combinent des processus cognitifs, relationnels et organisationnels (Peyrache-Gadeau et al., 2010). Pecqueur et Lajarge (2012) développent la caractérisation de la ressource territoriale en proposant une grille composée de cinq processus et de quatre attributs. Les cinq processus (coordination collective, appropriation commune, apprentissage cumulatif, spécification progressive, territorialisation instituée) permettent de révéler/activer les ressources. Les quatre attributs (situable territorialement, objectivable, échangeable, dotée d’une qualité territoriale) caractérisent les ressources territoriales et, par conséquent, sont généralement le résultat des cinq processus combinés. Les ressources territoriales acquièrent ces attributs progressivement, au fur et à mesure de leur activation. La figure 2 illustre le processus d’activation des ressources territoriale en mettant en avant leur temporalité.

Figure 2 : Temporalité de la ressource territoriale Révélation Élargissement Développement Renouvellement Exploitation Érosion Épuisement Pénurie Pr oc ess us re la tionn el s Pr oc ess us cog nitif s Processus organisationnels Synergies possibles entre processus Faible valeur marchande Valeur marchande croissante

Librement inspiré de Pecqueur et Lajarge (2012), Peyrache-Gadeau et al. (2010) et Kebir (2006). 1) Coordination collective 2) Appropriation commune 3) Apprentissage cumulatif 4) Spécification progressive 5) Territorialisation instituée 1) Situable territorialement 2) Objectivable 3) Échangeable 4) Doté d’une qualité territoriale

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

88

Le terroir et le territoire ont donc en commun de mobiliser des éléments spécifiques au lieu, mais leurs processus de construction sont différents. Le terroir émerge de manière relativement diffuse et non instituée, sans que les acteurs n’aient identifié un objectif commun en vue d’orienter leurs pratiques. Le territoire quant à lui, existe par l’intentionnalité des acteurs qui mettent en œuvre des coordinations reflétant des modes de gouvernance variés. Les organisations et les institutions locales résultant de ces coordinations constituent une réponse concertée à un problème de développement identifié. Cette stratégie des acteurs permet la révélation et le développement de ressources territoriales. Les trajectoires de développement de ces ressources restent en permanence soumises aux stratégies des acteurs et à leurs capacités à gérer collectivement ces ressources (risque d’épuisement des ressources)37. Selon Pecqueur (2011), le terroir apparaît finalement comme un objet économique qui « se présente comme un « amont » du territoire [mais] qui n’est pas aussi construit que le territoire », il constitue une ressource sur laquelle les projets de territoire pourront être raisonnés (figure 3).

Figure 3 : Le terroir vu comme une ressource pour le territoire 2.4.2. La rente de qualité territoriale

Mollard (2001) propose une grille d’analyse des dynamiques de développement territorial à partir du concept de rente. L’idée centrale est d’observer comment des dynamiques de qualification et de différenciation de produits et services locaux, au départ distinctes les unes des autres, peuvent tisser des liens entre elles et se renforcer pour entraîner un véritable développement du territoire dont la portée est plus large que le développement parallèle de plusieurs filières et secteurs. Il s’agit donc de mettre en lumière les relations entre qualité et territoire pour comprendre les synergies sous-jacentes au processus de développement territorial.

L’auteur pose le problème en présentant des observations réalisées dans deux régions, les Baronnies et le Bas-Chablais. Dans la première, les prix de plusieurs produits et services de qualité

37 Pecqueur et Larjarge (2012) soulignent qu’il ne faut pas entendre cet épuisement des ressources territoriales comme la raréfaction de certaines ressources naturelles. Pour ces auteurs, les ressources territoriales ne disparaissent véritablement jamais, mais les coordinations permettant leur mise en valeur peuvent s’estomper et perdre en efficacité. Alors la ressource se « désactive » et les acteurs locaux en perdent progressivement les usages et les bénéfices.

Terroir

Facteurs naturels et humains Histoire longue, Produit

f

Intentionnalité

Stratégie et projet de développement

Territoire

Proximité, Coordinations locales, Gouvernance, Ressources

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

89

ancrés territorialement sont supérieurs aux prix de produits similaires mais d’origine géographique différente. L’offre des Baronnies se présente alors comme un « panier de biens et services » (Pecqueur, 2001), dont le produit phare est l’huile d’olive de Nyons assortie de vins de pays, plantes aromatiques, huiles essentielles et hébergement en gîtes ruraux. Ces produits sont fréquemment consommés conjointement par les habitants ou les touristes, ce qui génère des rentes reliées entre elles, conduisant l’auteur à identifier une rente de qualité territoriale. En revanche, dans le Bas-Chablais, si plusieurs produits de terroir sont présents (fromage Abondance, vin de Marin…), le même type de lien entre ces produits et les services touristiques proposés n’est pas observable. Des rentes de qualité existent pour ces produits pris séparément mais aucune synergie entre ces divers éléments de l’offre n’est observée.

Mollard exclut la rente absolue, liée à un revenu excédentaire perçu par un propriétaire foncier et se concentre sur l’approche de Ricardo, qui considère que toute rente est différentielle, du fait de niveaux de fertilité inégaux entre les terrains (ou de qualité, si l’on transpose aux produits de terroir). La rente différentielle est donc un excédent de prix par rapport au coût moyen qui s’explique par l’hétérogénéité des produits sur le marché. En se positionnant du côté de la demande et de la valorisation économique de ces différences entre les produits, Mollard mobilise les travaux de Marshall et sa conception du surplus du consommateur en lien avec des qualités spécifiques appréciées et une demande relativement rigide pour ces qualités. En observant des zones rurales considérées comme marginalisées dans les années 1960 à 1990, des formes nouvelles de valorisation émergent pour des produits typiques (agroalimentaires ou d’artisanat) associés à une qualité environnementale ou des services agro-touristiques recherchés par certains consommateurs. La demande grandissante pour ce type d’offre permet aux producteurs de pratiquer des prix élevés qui rémunèrent le travail, dégagent un profit et fournissent un surplus qui provient de « l’internalisation d’effets externes dus aux ressources nouvelles et qui rémunère un concours à la production qui n’est pas spontanément imputable à un acteur ou à un facteur précis » (Mollard, 2001, p. 4). La rente observée pour divers éléments de l’offre, dont un dénominateur commun est la région de production et ses actifs spécifiques, exprime la préférence des consommateurs pour ce territoire (modes de production, aménités…). Mollard (2001) synthétise en présentant les deux filiations théoriques sur lesquelles il fonde le concept de rente de qualité territoriale :

1. Une approche par la qualité : qui analyse la rigidité d’une demande différenciée et les préférences des consommateurs. L’outil central est ici la rente de qualité dans la conception marshallienne du surplus du consommateur.

2. Une approche territoriale : ancrée dans l’économie spatiale, qui met l’accent sur une offre composite et analyse la valorisation de ressources spécifiques dans un espace donné. Cette

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

90

approche de la rente, de filiation ricardienne (rareté, localisation…), s’intéresse à l’offre de produits et services différenciés.

La rente de qualité territoriale émerge dans les situations où une rente de qualité et une rente territoriale coexistent et s’imbriquent grâce à des coordinations locales entre acteurs publics et privés locaux. Sur la base du modèle du panier de bien et service précédemment évoqué, des travaux sur les Baronnies, synthétisés par Hirczak et al. (2008b) et sur la Bresse (Bérard et al., 2005a), illustrent les synergies locales à l’œuvre dans ces processus de développement territoriaux mêlant producteurs de biens privés (produits et services) et producteurs de biens publics.

L’articulation théorique entre des coordinations territoriales et un processus de qualification pouvant générer une rente de qualité peut être analysée dans des situations autres que le modèle canonique du panier de biens et services. Des travaux menés au début des années 1990 sur diverses filières de qualité avaient abouti à l’identification de différents « systèmes régionaux de rente » (Perrier-Cornet, 1990), dont certains relèvent d’un système « artisanat-négoce » propre à capter et répartir une rente dans lesquels les intérêts économiques convergent (Parmigiano, Franche-Comté), et d’autres qui correspondent à des filières régionales organisées autour d’un pôle industriel qui capte la rente (Cantal). Dans le premier cas, les producteurs contrôlent la qualité des produits ainsi que les décisions de modernisation de la production ; dans le second cas, la production est gouvernée par une stratégie de gestion d’un bassin laitier par une industrie en position dominante.

Allaire et Sylvander (1997) montrent les degrés variables d’articulation entre logique sectorielle et logique territoriale pour plusieurs cas distincts de produits de terroir ou de qualité spécifique (label rouge) au regard de trois critères, les normes et leur modalités d’élaboration, le type de concurrence et la capacité des relations verticales à inciter à la différenciation. Ainsi, les procédures de spécification des systèmes locaux de qualité peuvent emprunter à des modes de gouvernance plus ou moins sectorielle ou territoriale. La dimension territoriale dans les AOC apparaît comme un élément variable que l’on peut analyser au regard de l’émergence des systèmes d’acteurs par la convergence d’intérêts et éventuellement d’actions collectives (Perrier-Cornet et Sylvander, 2000).

Plusieurs études ont ainsi intégré la notion de rente de qualité territoriale en l’appliquant à un cas d’AOC ou à une filière de qualité, par exemple sur le fromage Pélardon (Benkahla et al., 2005), sur la filière du veau de Ségala aveyronnais puis sur le raisin Chasselas du Quercy en Tarn-et-Garonne (Olivier et Waller, 2005), sur des IG au Cambodge (François et al., 2009). Ainsi, en ne considérant qu’un seul produit de terroir dans une zone de production, lorsqu’une dynamique collective rassemble

Partie 1 - Chapitre 1 - Du processus de qualification à la rente

91

divers acteurs, non nécessairement producteurs du produit, dans le but formulé de maintenir la qualité et éventuellement la rente, une gouvernance territoriale s’installe et peut être entendue comme une volonté de ces acteurs de territorialiser la rente.

Les actions collectives et les coordinations des acteurs pour la qualification d’un produit, combinées à une volonté locale d’instituer un cadre permettant de gérer collectivement ce processus de qualification (et la rente de qualité éventuellement associée) sont l’illustration d’une appropriation des ressources par les acteurs et d’une gouvernance territoriale du système de production. En introduction