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IV. Multiples fonctions et effets des indications géographiques

4.2. Effets des indications géographiques

Nous présentons d’une part l’importance économique des IG, sur la base de données d’IG européennes, en présentant des études portant sur l’évaluation de premiums de prix liés aux IG. Nous soulignons les situations économiques très contrastées des IG, ainsi que les difficultés d’évaluer ces premiums avec précision. Des analyses pointent également des effets potentiellement négatifs en considérant les IG comme des barrières au commerce international de certains produits agroalimentaires. Nous présentons finalement des études qui intègrent plus clairement la multifonctionnalité des IG, présentée au 4.1., en combinant diverses approches (économiques, environnementales, sociales, etc.) afin d’analyser les effets des IG sur les processus de développement.

Évaluation de l’importance économique des IG : situations contrastées et premium de prix

En Europe, plus de 2500 IG sont enregistrées en 201517. En 2010, les IG ont généré un chiffre d’affaire de 54 milliards d’euros, dont 56 % pour les vins, 15 % pour les spiritueux, et 29 % pour les autres produits (AND International et Commission Européenne, 2012). Ce chiffre renferme de grandes disparités entre les pays puisque cinq États membres représentent plus de 80 % du chiffre d’affaire total, notamment du fait d’IGP viticoles de très grande taille (Chever, 2013)18. La moyenne européenne de la part des produits IG dans les marchés agroalimentaires européens est de 5,7 % en 201019.

Plusieurs études mettent en évidence des différentiels de prix en faveur des produits IG, notamment pour les produits transformés (Frayssignes, 2009 ; Chever, 2015). Les premiums seraient dans tous les cas plus élevés lorsque les cahiers des charges sont plus stricts comme dans le cas des AOP (Deselnicu et al., 2011).

Cependant, des difficultés sont repérées lorsqu’il s’agit d’évaluer plus précisément l’importance économique des IG et les premiums dont bénéficient certains produits IG. D’une part, des situations économiques très contrastées entre les IG compliquent la lecture globale. Le rapport d’AND International de 2012 (cité précédemment) précise que 27 % du chiffre d’affaire des IG européennes est

17 Source : http://ec.europa.eu/agriculture/quality/door/list.html, DOOR, DG AGRI de la Commission Européenne (page consultée en juillet 2015).

18 Par exemple, nous pouvons citer le cas des IGP espagnoles dont 97% des surfaces correspondent aux deux IGP Castilla et Extremadura (http://www.magrama.gob.es/es/alimentacion/temas/calidad-agroalimentaria/calidad-diferenciada/dop/htm/cifrasydatos.aspx, page consultée en juillet 2015). Pour les AOP en revanche, la répartition est relativement plus équilibrée.

19 Source : FoodDrinkEurope, rapport de 2011 :

http://www.fooddrinkeurope.eu/uploads/publications_documents/Final_DT_2012_04.06.pdf, page consultée en juillet 2015.

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généré par seulement 7 IG, concernant essentiellement des spiritueux. La majorité des IG (770 IG en 2010) représente en fait moins de 30 % du chiffre d’affaire total. En outre, une part non négligeable (14 % des IG européennes enregistrées en 2010) ne déclarent aucune vente et parfois aucun producteurs selon ce même rapport. Dans les PED, ces situations contrastées se retrouvent également, aux niveaux des chiffres d’affaire, des certifications réellement effectuées ou encore des surfaces et des nombres de producteurs engagés. Citons par exemple les IG sur des café (Café de Colombia, ou café de Gayo en Indonésie par exemple), dont les surfaces représentent plusieurs milliers d’hectare en comparaison d’IG de très petites tailles, comme le projet d’IG sur l’ikat de Sikka (un tissu indonésien) qui concernerait moins de 70 producteurs.

D’autre part, les premiums de prix sont difficiles à évaluer avec précision. Une analyse des prix montre que les produits IG sont vendus en moyenne 2,23 fois plus chers que les produits non IG20 (AND International et Commission Européenne, 2012). Mais cette moyenne cache une très forte disparité et ce premium ne reflète pas la « profitabilité » des IG car : (1) il n’intègre pas les coûts supportés par les producteurs de produits IG, (2) le prix moyen d’un produit standard est difficile à évaluer et (3) les produits IG sont également fréquemment commercialisés au travers de marques privées, ce qui complique l’analyse de la formation des prix (Chever, 2013). Un rapport de 201321 évalue les premiums pour 12 IG européennes en intégrant les coûts de production. Au stade du produit final, les marges brutes des produits IG sont supérieures aux produits sans IG (9 cas sur 12). En revanche, au stade « sortie de ferme », la marge brute est supérieure pour les produits sans IG (5 cas), équivalente entre IG et sans IG (5 cas) ou supérieure pour les produits IG dans seulement deux cas. Plusieurs travaux alertent sur le fait que les premium liés aux IG ne sont pas systématiques, du fait notamment des coûts de production ou commercialisation plus élevés (Bramley et Kirsten, 2007 ; Reviron, 2009).

Ces mêmes difficultés apparaissent pour le calcul de premium dans les pays en développement. En outre, l’accès ou la fiabilité des séries de prix, ainsi qu’un recours récent à la certification des produits IG compliquent les calculs. Il reste possible d’évaluer le premium pour le nom géographique, qui lui est généralement utilisé depuis plusieurs années, mais là encore, les variations entre les prix pour une même filière, entre filières d’un même produit, ou entre années réduisent la fiabilité des calculs. Les

20 Le taux de premium (appelé value premium rate dans le rapport) est calculé par : taux de premium = ∑ (volume IG * prix IG) / ∑ (volume IG * prix non IG). Plus précisément, le « taux de premium » calculé dans cette étude est de 2,75 pour les vins et 1,55 pour les autres produits.

21 Source : Study on assessing the added value of PDO/PGI products, Arrêté pour la DG AGRI de la Commission européenne, 2013 - http://ec.europa.eu/agriculture/external-studies/added-value-pdo-pgi_en.htm (page consultée en juillet 2015).

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grandes disparités et la difficulté d’évaluer les premiums avec des méthodes de calcul classiques incitent à des analyses au cas par cas plutôt qu’à des approches globales pouvant masquer la diversité des situations.

Effets négatifs des IG

En dehors des multiples fonctions des IG présentées au 4.1. et de leur importance économique (observée en Europe), certains travaux analysent les potentiels effets négatifs des IG.

Ces travaux considèrent notamment que les IG pourraient nuire au commerce international en privant des entreprises non européennes de l’usage de noms jugés génériques (Viju et al., 2012). Au travers d’IG « protectionnistes », certains producteurs tenteraient de maintenir l’usage d’une réputation de qualité construite sur un « mythe historique » pour des produits finalement peu qualifiés (Agrawal et Barone, 2005). En outre, les IG, comme d’autres certifications, constitueraient des barrières non tarifaires en combinant une restriction des quantités et une forme de subvention pour coûts de certification ce qui induit des distorsions dans la concurrence internationale (Chambolle et Giraud-Héraud, 2005).

Les IG, si elles sont utilisées collectivement par les producteurs, permettent de renforcer la compétitivité des produits et de réaliser des économies d’échelles (coûts de promotion partagés par exemple). Toutefois, pour certains auteurs, les principaux bénéficiaires de ces systèmes seraient clairement les consommateurs (réduction de l’aléa moral) et secondairement par les producteurs (Moschini et al., 2008).

L’IG n’est pas une garantie systématique de la qualité des produits ; de plus, les IG peuvent encourager ou décourager les producteurs à améliorer la qualité des produits : si le cahier des charges ne requiert pas une qualité élevée, une tendance à la réduction de la qualité est observée (Desquilbet et Monier-Dilhan, 2012).

Si l’importance économique globale des IG a été quantifiée pour les IG européennes, l’analyse plus fine de leur efficacité économique demeure difficile, du fait de contextes économiques et de trajectoires d’IG très contrastés. Leurs effets économiques sur les plans micro et macroéconomique demeurent donc discutés. Une analyse des liens entre IG et processus de développement est donc nécessaire afin d’une part de mieux comprendre les effets positifs des IG et d’expliquer l’intérêt que leur porte un nombre grandissant d’acteurs au Nord comme au Sud, et d’autre part d’alerter sur certains enjeux et effets potentiellement négatifs.

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Indications géographiques et développement

L’évaluation des effets des IG, dans leur diversité et en intégrant les multiples moyens de protection, a été l’un des objectifs spécifiques de plusieurs projets de recherche conduits dès la fin des années 1990. Ces projets, rassemblant des dizaines de chercheurs et experts internationaux des IG, ont produit une littérature empirique et théorique importante sur les IG européennes et dans les PED. À la suite de plusieurs projets22, le projet SINER-GI23 a permis de capitaliser et de développer ces travaux, en se basant sur des « rapports pays » analysant les systèmes IG nationaux de divers pays, ainsi que de nombreux cas d’études locaux. Les rapports de synthèses s’accordent pour mettre en avant la diversité des situations, que ce soit du point de vue juridique et institutionnel (Thévenod-Mottet, 2006), ou pour les structures des filières et des marchés concernés par les IG (Sylvander et Allaire, 2007).

En tentant de synthétiser cette diversité, il a été constaté que l’importance socio-économique des IG, l’existence de premium de prix, des effets positifs sur les dynamiques de qualification, d’organisation, d’action collective et sur le marketing des produits sont généralement observés (Belletti et Marescotti, 2006). Les auteurs précisent cependant que ces effets positifs ne sont jamais garantis et que les coûts liés aux IG doivent être mieux appréhendés. Sur la base d’observations empiriques, il apparaît que les IG entrainent une activation de l’économie locale nettement supérieure à celle suscitée par les produits « standards », en particulier dans les régions marginalisées. Fernandez Barcala et al. (2013) soutiennent également que les IG génèrent plus de développement que les marques, du fait de leurs effets stimulants sur les coordinations verticales et horizontales dans les systèmes de production. Des effets de renforcement du capital social en milieu rural, d’amélioration de la transmission des savoir-faire et de la reproduction des ressources sont également observés. En outre, des synergies entre produits et activités rurales ainsi que des liens avec des activités urbaines étendent le champ d’impact des IG (Pecqueur, 2001 ; Belletti et Marescotti, 2006 ; Hirczak et al., 2008a).

Les principaux effets négatifs ont trait à l’exclusion de certains acteurs des démarches d’IG et à la répartition des bénéfices retirés de l’IG au sein des territoires. Pour certains auteurs, les IG sont fondées sur des stratégies de « valorisation de l’origine par l’exclusion » (Filippi et Triboulet, 2006). Au sein même des acteurs engagés dans les dynamiques d’IG, des conflits et des rapports de forces incitent à analyser la répartition des bénéfices entre acteurs (Marescotti, 2003). Il convient d’analyser en

22 Le projet PDO-PGI products, markets, suply chains and institutions (1996-1999), le projet DOLPHINS (2001-2003), le projet SUS-CHAIN (2002-2004), le projet TRUC (2002-2004).

23 SINER-GI - Strengthening International research on Geographical Indications: from research Foundation to consistent Policy, 2005-2008, www.origin-food.org.

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profondeur les processus de négociation au cœur des dynamiques d’IG, qui se révèlent parfois « uneffective and unfair » du point de vue de l’inclusion des acteurs (Galtier et al., 2008). La répartition des bénéfices potentiellement engendrés par une IG est d’autant plus difficile à évaluer que les producteurs peuvent choisir de certifier ou non leur produit et modifier ce choix d’une année sur l’autre. En nous basant sur l’exemple de la région Aquitaine (Chambre d'Agriculture d'Aquitaine, 2012), nous avons calculé les taux de labellisation des IG et observé des variations importantes : certaines IGP déclarent 90 % des volumes certifiés (bœuf de Bazas, agneau de Pauillac), dans d’autres cas seuls 11 % des volumes sont certifiés (volaille fermière de Gascogne, fraise du Périgord). La moyenne régionale est de 52 % des volumes produits certifiés. Notons que ce taux de certification correspond au rapport entre le volume total produit certifiable et le volume effectivement certifié pour une année, et non au pourcentage de producteurs ayant certifié des produits. Il semble difficile de conclure de manière globale sur les effets des IG sur le développement rural dans la région quand de telles variations entre IG sont constatées.

Des travaux sur les cahiers des charges et l’innovation soulignent que l’exigence du respect de certaines méthodes de production réduit la capacité des producteurs à répondre efficacement aux changements de préférences des consommateurs et à innover dans un contexte technologique concurrentiel (Shepherd, 2006). Une trop grande codification des pratiques agricoles dans les cahiers des charges pourrait alors donner naissance à des « museums of production » (Bowen et De Master, 2011). Hughes (2009) estime que les IG ne permettent que très faiblement de préserver les savoir-faire et les ressources, car les logiques agroindustrielles sont plus agissantes que les dynamiques de qualification liées aux IG. Thomas (2012) questionne également la capacité des IG à protéger les savoir-faire et la biodiversité en analysant le cas d’une IG sur un riz aromatique au Vietnam. L’IG, par le contenu de son cahier des charges concernant les variétés autorisées dans l’IG, aurait finalement contribué à réduire la diversité génétique des riz dans le delta du Fleuve Rouge.

Les IG peuvent contribuer de plusieurs façons à un développement rural multifonctionnel et intégré, qui doit être pensé sur le temps long ; cependant le faible taux de participation des acteurs ou une mauvaise répartition des bénéfices peut grandement limiter ce potentiel de développement (Giovannucci et al., 2009). L’objectif d’évaluer globalement les effets des IG d’un point de vue économique, social, environnemental, culturel et éthique se révèle très complexe du fait de la diversité des situations observées et ne permet pas de tirer de conclusions valables dans tous les contextes. Si le caractère endogène du développement induit par les IG est argumenté, une méthodologie plus fine d’analyse d’impact est nécessaire pour mieux évaluer leurs effets sur le développement (Sylvander et Allaire, 2007).

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4.3. Comment évaluer les effets des IG ?

Les travaux du projet de recherche SINER-GI ont envisagé plusieurs approches méthodologiques pour évaluer les effets des IG, chacune présentant des avantages et des inconvénients. Les approches diachroniques permettent une vision historique des processus mais peuvent être limitées par le fait que les changements sont graduels et que le contexte change en même temps, ce qui complique l’identification des effets effectivement imputables à l’IG. Les approches synchroniques sont difficiles à développer avec précision car l’identification d’un cas de référence, à comparer au cas IG, s’avère délicate. Citons tout de même l’étude de Jena et Grote (2010) qui démontre sur la base de 300 entretiens avec des ménages ruraux, que malgré des coûts plus élevés, le riz Basmati est plus rentable économiquement que les variétés de riz non IG.

Une autre approche méthodologique consiste à raisonner en termes de succès/échec des dynamiques d’IG (Barjolle et Sylvander, 2002). Cette approche est cependant considérée trop « statique » dans le sens où elle ne permet pas d’appréhender convenablement les trajectoires d’évolution des systèmes d’IG (Sylvander et Allaire, 2007). Une approche également répandue, prenant la forme d’enquêtes subjectives (Paus et Reviron, 2010b) consiste à évaluer les effets des IG en fonction des effets perçus par les acteurs, et/ou au regard des objectifs qu’ils s’étaient eux même fixés. Barjolle et al. (2009) mesurent ainsi les expected impacts de 14 IG dans divers pays. Frayssignes (2009) propose une méthode d’évaluation de l’impact économique et territorial des IG en distinguant les effets selon trois échelles : acteur individuel, filières/bassin de production et territoire. Pour chaque échelle une série d’indicateur est proposée. L’intérêt de cette méthode est d’intégrer dès le départ de l’analyse le fait que les IG ne renvoient pas uniquement à une dimension économique.

Dans le cas de systèmes IG en émergence, comme c’est le cas en Indonésie et au Vietnam, et dans la majorité des pays en développement, la méthode d’évaluation des effets des IG construite par Belletti et al. (2011) présente l’avantage d’une méthode participative, qui considère les effets de manière graduelle dans le temps et en distinguant ceux liés à l’établissement d’un système national IG de ceux observés sur des cas particuliers d’IG. Afin de saisir les effets des IG sous diverses perspectives (acteurs, territoire, secteur et type d’activité, capital territorial…), Belletti et al. (2011) distinguent les effets de premier ordre (qui sont les Output) c'est-à-dire les effets immédiats qui reflètent le taux de participation ou d’adoption de l’IG, les effets de second ordre (ou Outcomes), qui dérivent directement des effets de premier ordre et concernent les bénéfices retirés par les individus (ou les groupes) de l’adoption de l’IG, et les effets de troisième ordre (ou Impacts) qui sont les conséquences à plus long terme des IG sur les plans économiques, sociaux et environnementaux.

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