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Les "règles opérationnelles standards" ne sont pas des routines

Ev = évolution, soit par mutation, soit par transformation de la composition du génotype de l'industrie ou des

C. Une comparaison avec "Cyert et March" (1963)

2) Les "règles opérationnelles standards" ne sont pas des routines

Cyert et March distinguent deux types de "règles opérationnelles standards" en usage dans les firmes :

(1) Les"procédures générales du choix"199, qui sont nécessaires, car, la plupart du temps, la place de la planification à long terme est réduite dans une économie concurrentielle et les firmes considérées "vont d'une crise à l'autre". Elles doivent donc faire face à l'incertitude et recherchent des procédures qui permettent d'éviter toute prévision sur les évènements futurs; "elles comptent

198 "L'organisation économique est une institution adaptative. En bref, la firme apprend travers son expérience."(Cyert et March, 1963, p. 100). Cyert et March reprennent ici une idée de Simon et opposent leur conception de la firme "as an adaptively rational system" à la conception néo-classique d'un

"omnisciently rational system". Simon opposait lui les systèmes de décision "adaptatifs"aux systèmes de décision "rationnels". Dans les deux cas, les fondements théoriques de ces références à l'évolution et à l'adaptation sont plus à chercher du côté du "learning"et de la psychologie, que de la biologie (darwinienne et mendélienne).

199 Ces "procédures (ou "règles") générales de choix" illustrent trois principes de base : (1) "Avoid uncertainty...; (2)Maintain the rules...; (3)Use simple rules..."(Cyert et March, 1963, p.102).

fortement sur les méthodes traditionnelles, les usages généraux de l'industrie, et les procédures opérationnelles standards pour prendre leurs décisions"(Cyert et March, 1963, p. 102).

(2) Les"procédures opérationnelles spécifiques standards", qui changent lentement et donnent de la stabilité à l'organisation et à son activité. Elles influencent elles aussi et dictent même souvent les prises de décision. On trouve ici toutes sortes de "règles" ou de méthodes à utiliser pour produire, vendre, accomplir telle ou telle tâche particulière (Ce sont des"task performance rules"); on trouve les règles d'archivage et de production d'information (selon"le code opérationnel habituel de l'organisation"), et enfin, les"plans","budgets", qui, en tant que projets intentionnels d'allocation des ressources, représentent "une des principale production des niveaux élevés de l'organisation et un produit significatif pour les autres niveaux"(Cyert et March, 1963, p. 104).

Les règles standards de Cyert et March (1963) ont, semble-t-il, bien des points communs avec les routines de Nelson et Winter (1982). Mais, en même temps (et il suffit de relire attentivement les pages 101 à 113 du livre de 1963 pour s'en convaincre), elles sont bien différentes. Tous ces auteurs traitent au fond du même problème : l'existence dans les firmes de méthodes et de procédures stables qui permettent de gérer, coordonner, produire et même éventuellement "marchander"200. Leur objet théorique est donc apparemment le même; mais leurs analyses divergent fortement, se déployant selon des logiques différentes et dans des dimensions distinctes.

Chez Cyert et March, toutes les règles opérationnelles standards sont pensées comme "explicites". Ce sont des mémoires"de l'organisation, tout comme les routines, mais ces mémoires sont établies dans une forme articulée. L'analyse s'inscrit dans la problématique d'une prise de décision (rationnellement limitée) à partir d'un certain nombre d'informations201. Il s'agit bien ici d'un raisonnement qui recourt à la notion d'information, c'est-à-dire à des connaissances articulées. Si la connaissance que les différents membres de la firme (et plus particulièrement les dirigeants) ont du monde et de l'activité de chacun est toujours "une connaissance imparfaite"pour Cyert et March, c'est essentiellement parce que l'information est toujours locale, incomplète et très souvent incertaine. Ce n'est pas une conséquence de l'existence d'une dimension tacite dans la connaissance productive, comme chez Nelson et Winter202.

200 Voir par exemple le chapitre 2 de Cyert et March (1963), pages 10 à 13, où ceux-ci évoquent l'enquête de Hall et Hitch de 1939, les travaux d'Eiteman et les débats sur "the full cost (or mark-up) method of pricing". 201 "We start with a simple conception that an organizational decision is the execution of a choice made in

terms of objectives from among a set of alternatives on the basis of available information"(Cyert et March, 1963, p. 19).

202 Ainsi, quand ils parlent des "task performance rules" (p. 104), Cyert et March n'établissent aucune différence entre l'activité pratique et effective de l'individu (le "travail" tel que l'individu l'exécute) et l'instruction explicite et codifiée, telle qu'on peut la trouver dans un manuel propre à la firme par exemple, ou telle que la produit le Bureau des Méthodes au moyen de tables MTM (Cf. Cyert et March, 1963, p. 105). Cela ne peut se comprendre dans leur théorie que parce qu'ils supposent : (1) que la connaissance est totalement articulable et (2) que ces règles explicites intègrent déjà en elles-mêmes la"quasi-résolution du conflit".Elles reposent donc sur une sorte de "trève". Chez Nelson et Winter, on trouve bien la même idée et le même procédé, mais ce procédé permet d'écarter la dimension du "conflit" dans sa totalité et de faire abstraction de toute dimension politique quand on parle du cognitif; car chez eux, l'instruction

Les structures "adaptivement rationnelles"de la firme permettent, selon Cyert et March, une prise de décision à tous les niveaux de l'entreprise, et ces décisions sont en même temps des actionsE, des actes productifs ou des actes de gestion, des ventes effectives, etc. Autrement dit, il n'y a pas dans cette théorie de problème particulier posé par le savoir-faire, ni de problème quand il s'agit de produire réellement, de gérer efficacement, de vendre avec une certaine compétence, etc. Il n'y a pas de problème autre que ceux posés par le processus psycho-informationnel de la prise de décision elle-même. Il n'y a donc pas d'écart entre les décisions et les actions E, ni d'interrogation sur les difficultés propres à l'exécution E d'un plan, au respect d'un budget, à la mise en oeuvre d'une instruction venant du Bureau des Méthodes par exemple, et ainsi de suite. Le seul écart entre et E envisageable dans ce cadre d'analyse est celui qu'introduit une réactivation soudaine du conflit - la mauvaise volonté d'un membre de l'organisation ou un marchandage subit au moment de l'exécution. Mais en principe, la logique même de la prise de décision et des marchandages associés a déjà résolu ("quasi-résolu" plutôt) ce problème. On voit bien alors ce qui sépare Cyert et March (1963) de Nelson et Winter (1982).

Cyert et March concentre leur recherche, leur analyse (et leur critique de l'orthodoxie) sur la prise de décision, qui pour eux : (1) doit être pensée comme un processus de prise de décision organisationnelle; ils refusent donc la conception d'une firme identifiée à un entrepreneur individuel, ce qui pose le problème de l'agrégation; (2) qui, de plus, opère très loin de la maximisation.

Le premier point pose le problème du lien organisationnel, c'est-à-dire celui de la cohérence du comportement de la firme; problème règlé chez eux à partir du moment où la décision est prise, c'est-à-dire - dans leur vocabulaire - à partir du moment où les "objectifs" (de prix, de production, d'allocation des ressources, etc.) sont fixés à tous les niveaux. Leur critique de l'orthodoxie porte alors - classiquement - sur la conception du choix (point 2), mais ne va pas jusqu'à remettre en cause les hypothèses cognitives tout-à-fait particulières sur lesquelles reposent la théorie néo-classique de la technologie et la conception de la firme comme "fonction de production". Leur originalité réside plutôt dans une vision fondamentalement politique de la firme, où celle-ci est conçue comme une sorte d'arêne où s'affrontent, à l'occasion de la fixation des objectifs, les différents membres de l'organisation. Le lien social qui sous-tend le lien organisationnel est alors pensé en termes de conflit, d'établissement d'une coalition dominante, de marchandage autour du "slack organisationnel", etc. Et tout ceci débouche sur une certaine référence institutionnelle, les compromis d'une période pouvant s'inscrire dans la durée; cette référence reste cependant bien vague203.

explicite ne saurait être confondue avec l'activité effective, à cause des limites propres de tout processus d'articulation.

203 Il n'y a pas chez Cyert et March, à la différence de Nelson et Winter, d'interrogation systématique sur la stabilité et le maintien au cours du temps des comportements, et donc sur les mécanismes qui assurent ce maintien; pas d'interrogation donc sur le "gène" (ou les "gènes") de la firme, pour user du vocabulaire de Nelson et Winter.

La "quasi-résolution du conflit", envisagée comme processus, apparaît alors comme un concept central de la théorie (behaviouriste) de la firme, car central dans la prise de décision organisationnelle. Dans le livre de Nelson et Winter de 1982, l'hypothèse d'une "trêve générale du conflit" représente non seulement un changement significatif dans le vocabulaire, mais aussi un changement de point de vue et de problématique. L'hypothèse d'une trêve fige en effet la dimension politique et écarte toute prise en compte des processus de transformation du conflit. Tout cet aspect de la réalité est éliminé de la théorie évolutionniste de la firme. On dénie ainsi, d'une certaine manière, toute l'importance que Cyert et March ont accordé à la dimension politique. La "trêve générale du conflit" n'est donc pas un équivalent de la "quasi-résolution du conflit".

Section 2 : La place de la trêve dans le dispositif théorique de