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Activation et transformation des routines des firmes

Equivalents chez Nelson et

Section 3 : Les routines comme gènes de l'organisation

C. Activation et transformation des routines des firmes

A la différence des approches orthodoxes qui postulent que les firmes optimisent, l'approche évolutionniste part de l'idée que"le comportement des firmes peut être expliqué par les routines qu'elles emploient. La connaissance des routines est la clef de la compréhension du comportement. Modéliser la firme signifie modéliser leurs routines et modéliser comment celles-ci changent au cours du temps"

(Nelson et Winter, 1982, p. 128).

Le comportement de la firme est en effet commandée par l'ensemble des routines utilisées, le terme routine incluant"toutes les procédures bien spécifiées permettant de produire les choses, comme les procédures pour embaucher ou renvoyer la main d'œuvre, pour ordonner un nouvel inventaire, ou augmenter la cadence de fabrication des produits les plus demandés, ou définir la politique d'investissement ou de R & D, ou les acions publicitaires, ainsi que la stratégie de la firme en matière de diversification des productions et d'implantation à l'étranger"(Nelson et Winter, 1982, p. 14). Le comportement est ainsi à l'avance programmé dans les différentes routines existantes, des routines qui mémorisent toute une expérience et tout un savoir sur la production, la gestion, etc.

Dans l'hypothèse du circuit, il n'y a pas de conflits dans l'organisation. C'est la trêve (voir sur ce point le chapitre IV). Tout fonctionne alors selon cette routine. Des messages venus de l'extérieur de la firme ou issus des calendriers et des horloges parviennent aux différents membres de l'organisation; ceux-ci les interprètent à travers leurs routines et, puisant dans leurs propres répertoires, mettent en œuvre d'autres routines. Si tous connaissent parfaitement leur tâche, le problème de la coordination des routines des différents membres de l'organisation est à tout moment résolu, compte tenu du fait que les différents répertoires intègrent en eux-mêmes des

177 Ce qui récuse aussi une image théorique des firmes comme conceptuellement décomposables en un ensemble d'opportunités technologiques bien établies, à quelques probabilités près (la fonction de production ) et un principe de choix (la maximisation), car la dimension cognitive ici n'est ni totalement plastique, ni découpable en éléments d'information distincts, séparés les uns des autres, comparables et traitables, etc.

178 La connaissance tacite fonde donc la variété des "skills" et des "routines", et donc aussi, du même coup, des individus compétents et des unités organisationnelles. On a là - en 1982 - l'amorce d'une théorie générale des industries et des firmes en termes de "compétence foncière" et de "frontières" (voir chapitre suivant). Il faut souligner ici l'absence totale dans la discussion sur les "skill names"de toute dimension sociale (ou institutionnelle); il en est de même dans la définition des unités organisationnelles; cette absence est évidemment liée à l'hypothèse de la "trêve".

routines de coordination, contrôle et adaptation (en cas de perturbations mineures) des différentes actions.

"A un moment donné du temps, les membres de l'organisation répondent à des messages provenant d'autres membres de l'organisation aussi bien que de l'environnement...[Décrire]le processus comme issu d'une information provenant de sources extérieures ou des horloges est une simple commodité d'exposition. Il y a un "flux circulaire" interne et équilibré d'information dans une organisation en opération routinière, mais c'est un flot qui est continuellement amorcé par l'arrivée de messages extérieurs, par les pendules et les calendriers"(Nelson et Winter, 1982, p. 103).

Tout repose sur une connaissance accumulée au préalable et stockée sous de multiples formes à travers l'entreprise. Le "flux circulaire" équilibré relie entre eux les différents répertoires des membres de l'organisation, et à chaque instant, il donne ainsi naissance à des actions, qui ne sont en fait que l'émanation d'un stockage préalable. Mais ces différentes routines ainsi activées, dans leur expression singulière (et éventuellement unique) ne représentent qu'une partie - une toute petite partie - des routines existant potentiellement dans la firme. Les autres connaissances stockées, sous une forme articulée ou tacite, restent au même moment en sommeil, étant alors inutilisées, car inactivées dans l'instant - tout en étant disponibles pour une activation ultérieure.

Le concept de routine recouvre alors - tout comme "l'habit" véblénien - des éléments, ou moments théoriques différents, qui, pour une analyse précise, doivent être soigneusement distingués179. La routine organisationnelle présente en effet deux aspects ou deux faces (Voir notre "Analytique 1") :

(1) C'est tout d'abord (niveau externe) la forme apparente, immédiatement visible de la performance. C'est donc le déroulement sans à-coups et bien coordonné du processus productif, ou la mise en œuvre d'une compétence individuelle. C'est la routine en acte, que nous désignerons par la suite par le sigleRa.

(2) Mais, plus fondamentalement, c'est au niveau interne, au niveau du génotype, l'ensemble des principes qui permettent de génèrer dans un certain contexte une performance particulière. C'est un ensemble de compétences et de connaissances accumulées, et conservées dans les différents répertoires"constituant la firme. Nous désignerons ces répertoires (ou "mémoires") par le sigleRm.

Dans un environnement supposé constant, la transformation du comportement des firmes ne peut être fondamentalement expliquée que par une transformation de leur constitution génétique, c'est-à-dire de leurs répertoires Rm (par ajout, suppression ou recombinaison de différentes routines). On a alors affaire à une mutation, ou à une innovation. L'organisation tend

179 Il faut reconnaître que Nelson et Winter ne distinguent jamais très clairement en 1982 ces deux moments de la routine (individuelle ou organisationnelle) : la routine comme mémoire inerte (répertoire) et la routine en acte, comme action particulière produite par l'activation du répertoire dans un certain contexte. La mise en perspective historique de l'approche évolutionniste, avec l'exemple de Veblen et de Hayek (bien plus clairs tous deux sur ce point que Nelson et Winter), et les formulations ultérieures des analyses évolutionnistes en termes de "représentation/expression" (Cf. Cohen et alii., 1995) conduisent à formuler les choses ainsi.

en général à résister aux mutations non désirées - comme les pertes de compétence dues au

turnover, etc. Il n'en est pas de même pour les innovations issues de la R & D ou toute autre transformation des routines voulue et dirigée. Cependant, entre la simple perpétuation des routines existantes et la création de toutes pièces de nouvelles routines, il y a bien d'autres situations qui affectent le génotype de la firme et/ou de l'industrie. On peut ainsi distinguer plusieurs cas (voir le tableau ci-joint) : (1) La copie ("replication"), (2) la contraction des routines, (3) l'imitation, à distinguer de la copie, (4) l'innovation enfin.

Les deux premiers cas sont les réponses habituelles et opposées à la pression de la sélection (marchande)."Sous cette pression, on peut prévoir que la firme se lancera dans quelques recherches pour trouver de nouvelles routines mieux adaptées à l'environnement"(Nelson et Winter, 1982, p. 116). Si les routines existantes conduisent au succès, leur copie (augmentation des capacités de production, création de nouvelles usines, etc.) peut assurer un profit plus important. En sens inverse, si les routines conduisent à l'échec, la réduction de l'importance de celles-ci, leur disparition éventuelle est une éventualité à envisager. Il y a alors modification du génotype de la firme, et peut être de l'industrie, sans que de nouvelles routines soient apparues. Copie et contraction ne sont cependant pas des processus sumétriques, car si"le premier est typiquement une réponse facultative au succès, le second est lui une réponse obligatoire à l'échec"(Nelson et Winter, 1982, p. 122).

L'imitation (troisième cas) consiste pour une firme à copier les routines d'une autre. L'imitation se distingue de la simple copie interne car la firme ne peut pas bénéficier ici de l'expérience de ses propres routines, et la coopération de la firme imitée manque en général, ce qui ne facilite pas les choses. L'imitation débouche donc rarement sur une véritable copie. La firme imitatrice cherche plutôt un équivalent donnant des performances économiques identiques (ou meilleures) que celles que lui assuraient les anciennes routines. Les situations peuvent s'avérer très différentes et le transfert technologique est plus ou moins facile.

"A un extrême, la production en question sera une nouvelle combinaison d'éléments hautement standardisés. Alors, un examen attentif du produit lui-même (reverse engineering) peut permettre l'identification des éléments et de la nature de la combinaison, et ceci suffit pour assurer le succès économique de l'imitation (...) A l'autre extrême, la routine cible de la recherche mêle tant de connaissances spécifiques et en même temps tacites qu'un succès lors d'une copie interne est déjà hautement problématique, à plus forte raison pour une imitation à distance"(Nelson et Winter, 1982, p. 123-124)

L'innovation (le quatrième cas) est bien d'une certaine manière située à l'opposé du comportement routinier, mais on ne peut cependant complètement opposer routine et innovation, dans la mesure où, selon Nelson et Winter, les deux entretiennent des rapports "subtiles" (1982, p. 112).

L'innovation nait fréquemment tout d'abord de la simple routine. Elle est alors en quelque sorte la fille du circuit, un résultat issu du contrôle routinier des opérations, face aux aléas et aux crises que rencontre l'organisation. Des approvisionnements défectueux, une série de pannes sur un équipement particulier, le départ de certains individus compétents, autant de points de départ pour une adaptation incrémentale et une certaine transformation des répertoires. Par ailleurs, la

recherche systématique de nouvelles routines au moyen de la R & D, est elle-aussi dans une large mesure gouvernée par la routine (et inscrite dans le répertoire d'une organisation particulière). Il est cependant nécessaire d'établir une distinction, disent Nelson et Winter, entre le résultat de la recherche et l'activité de recherche elle-même. L'activité de R & D est marquée par l'incertitude, mais cette incertitude est une incertitude sur les résultats et les conséquences des innovations, et non, en règle générale, sur les procédures de recherche. Ici très souvent, des procédures routinisées, aux formes variables suivant les problèmes, existent et sont régulièrement mises en œuvre180.

La transformation des routines organisationnelles existantes est donc au moins partiellement une activité routinière. Les activités quotidiennes de contrôle et de mise en œuvre des routines existantes y contribuent sur un mode essentiellement adaptatif. A l'opposé de cette situation, il y a la création délibérée de nouvelles routines complexes, de routines n'ayant jamais existé jusqu'ici, comme l'ouverture d'une toute nouvelle usine par exemple. Mais ces deux situations, affirment Nelson et Winter, envisagées comme cible ("target"), ou objet des efforts des gestionnaires de la firme, ne sont pas si différentes. On doit plutôt les considérer, du point de vue de la théorie évolutionniste, comme faisant partie du même continuum.

"Il y a un continuum de situations allant d'une extrémité dominée par la pleine routine - "conserver cette ligne de production en l'état, comme hier, car elle fonctionne bien" - à une autre extrémité, celle de l'innovation majeure - "ouvrir une usine pour fabriquer des micro-ordinateurs semblables à ceux introduits par le concurrent, mais meilleurs et moins chers"."(Nelson et Winter, 1982, p. 112).

Entre ces deux situations, il y a en effet bien des cas intermédiaires, comme l'ouverture d'une ligne de production semblable à celles qui existent déjà (la copie donc de routines existant dans la firme) ou l'imitation des procédures suivies par d'autres firmes.181 Les activités de recherche proprement dite (de R & D), visent de propos délibéré la création de nouvelles routines productives, mais opèrent en règle générale à partir des répertoiresRmexistants dans l'industrie et la firme. Elles s'appuient sur eux, partent de ceux-ci et procèdent par introduction de"nouvelles combinaisons", qui prennent comme point de départ des routines et des sous-routines appartenant auxRm. Routines et sous-routines sont donc comme autant de composants élémentaires, qui sont redéfinis et adaptés pour accueillir des équipements totalement nouveaux par exemple (et les

"skills"qui vont avec), ou qui servent de base à l'établissement de toutes nouvelles combinaisons.

180 Les choix entre différents projets concurrents, le sélection des programmes eux-mêmes, relèvent donc d'activités en partie prévisibles et routinières. Ce choix n'est cependant pas vu comme optimisateur, à la différence d'une approche orthodoxe. L'optimisation est impossible ici, mais en rationalité limitée, des routines particulières, c'est-à-dire des procédures heuristiques guidant les "choix" existent. Cf. Nelson et Winter, "In Search of a Useful Theory of Innovation", 1977.

181 Dans tous ces cas, les transformations ou duplications des répertoires sont rendues difficiles et coûteuses par l'existence de toute une connaissance sous-jacente en grande partie tacite. Une copie (ou imitation) ne saurait donc être "à l'identique", ce qui s'oppose à l'axiome d'additivité de la théorie orthodoxe de la production (Cf. Nelson et Winter, 1982, p. 118).

Tableau 7 : Le domaine des routines et de la "search"

Génotype

et

évolution

Etat de