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Chapitre 1 – Portraits des « premiers » voyageurs

1.2 Les instructions de voyage : supports de l’écriture et leurs usages

1.2.1 Les règles de l’écriture du voyage

L’écriture du voyage a toujours paru suspecte et Jaucourt, dans son article « voyageur » revient sur cette problématique dès le premier paragraphe :

Celui qui fait des voyages par divers motifs, & qui, quelquefois en donne des relations ; mais c’est en cela que d’ordinaire les voyageurs usent de peu de fidélité. Ils ajoutent presque toujours aux choses qu’ils ont vues, celles qu’ils pouvoient voir ; & pour ne pas laisser le récit de leur voyage imparfait, ils rapportent ce qu’ils ont lu dans les auteurs, parce qu’ils sont premièrement trompés, de même qu’ils trompent leurs lecteurs ensuite. C’est ce qui fait que les protestations que plusieurs de ces observateurs, comme Belon, Pison, Marggravius & quelques autres sont de ne rien dire que ce qu’ils ont vu, & les assurances qu’ils donnent d’avoir vérifié quantité de faussetés qui avoient été écrites avant eux, n’ont guère d’autre effet que de rendre la sincérité de tous les voyageurs fort suspecte, parce que ces censeurs de la bonne foi & de l’exactitude des autres, ne donnent point de cautions suffisantes de la leur.

Jean-Dominique Cassini, dans son Manuel de l’étranger qui voyage en Italie, souligne aussi les disgressions qui marquent l’écriture du voyage :

La plupart des auteurs qui ont fait imprimer leurs voyages en Italie ont écrit moins pour l’instruction de ceux qui doivent après eux parcourir la même contrée, que pour l’amusement des lecteurs qui ne veulent connoîtrent cette belle partie de l’Europe que par récit, et sans sortir de leurs foyers. C’est du moins ce que prouvent les amples descriptions, les longues narrations et les fréquentes disgressions dont ces écrivains ont grossi leurs ouvrages. Ils n’en font, à la vérité,

202 Voir Silvia Collini et Antonella Vannoni, Les instructions scientifiques pour les voyageurs (XVIIe-XIXe siècle), Paris, l’Harmattan, 2005.

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que plus agréables à lire : mais ils deviennent trop diffus, trop volumineux et peu propres à l’usage de celui qui ne veut que des instructions courtes, des avis utiles, des indications sûres, et du reste n’a besoin d’aucun détail sur des objets que ses yeux lui feront connoître encore mieux que toutes les descriptions du monde 203.

Ces deux commentaires mettent en lumière les défis liés à l’écriture du voyage, entre un devoir d’instruction, particulièrement pour les jeunes voyageurs, et le désir de plaire aux lecteurs. Ce dont parle Cassini, c’est le passage de l’écriture du voyage dans un cadre personnel et méthodique, pour sa propre instruction, à un cadre collectif et de partage de son expérience. Ce glissement, qui s’opère par la voie de l’impression et de la diffusion des écrits, suppose une refonte des textes et une adaptation aux attentes d’un lectorat différent. Nous pourrions parler d’une forme de « littérarisation » du voyage. Les manuels d’instruction destinés aux voyageurs s’emploient donc à proposer des méthodes concrètes pour rendre le voyage profitable en termes d’acquisition des connaissances et éviter ainsi toute déviance.

Le souci de la méthode doit provoquer chez le voyageur une volonté de connaître l’objet de ses recherches, de questionner, d’être sélectif, d’éviter les généralisations. Le but est ici de rationaliser le déplacement afin de conforter l’acquisition et le développement des connaissances dans un domaine précis comme l’étude des gouvernements, des sciences naturelles ou des arts204. Si les objets de recherches mis de l’avant varient d’un auteur à l’autre, tous s’accordent pour façonner les comportements des voyageurs dans la manière d’effectuer leurs recherches. Il s’agit de corriger les manières d’investiguer pour en faire de saines habitudes et d’en esquisser un protocole d’acquisition des connaissances205. Tous les sens sont mis à contribution, les voyageurs doivent voir, écouter, prendre des notes et vérifier. Et cela concerne à peu près toutes les disciplines savantes. Prêts à servir une théorie de l’évolution du globe, les savants sont appelés à cueillir l’information de manière sélective, à l’organiser et à la classer avec minutie206. Le souci du détail est prodigué systématiquement. Les études des « gouvernements et des mœurs », ainsi que des arts, sont aussi marquées par

203 Jean-Dominique Cassini, Manuel de l’étranger qui voyage en Italie, Paris, Chez la Veuve Duschesne, 1778, tiré de l’Avant-propos

204 Ibid, p.6.

205 Normand Doiron, op. cit., p. 188.

206 Gilles Bertrand, op. cit., p. 49 et Philippe Despoix, Le monde mesuré. Dispositifs de l’exploration à l’âge

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ces méthodes. Dans le voyage d’artiste, ce dernier doit désormais s’astreindre à une méthodologie fort semblable à certaines disciplines scientifiques. L’artiste doit nécessairement voyager à pied ou à cheval pour mieux saisir les détails du paysage. Il doit connaître parfaitement la topographie de chaque ville visitée et bien sûr prendre des notes « sur les coutumes et habitudes des peuples »207.

La prise de notes et les différents supports sur lesquels elles sont appliquées sont les éléments centraux de ces méthodologies. Berchtold énumère ainsi les règles de lecture et d’écriture qui doivent guider le voyageur dans la préparation de son voyage, puis durant le déplacement. La première règle d’importance a trait à une écriture lisible et rapide car « un voyageur pourra entendre, voir, lire, ou prendre connaissance de plusieurs choses importantes, dont il ne voudra pas abandonner au hasard le souvenir, une écriture rapide, non seulement servira de soulagement à sa mémoire, mais elle lui assurera encore la possession entière d’un trésor dont il n’aurait peut-être pu retenir qu’une faible partie »208. Au-delà même de soulager sa mémoire, c’est aussi pouvoir garder un certain contrôle sur l’information dont le voyageur a accès et Berchtold prévient d’ailleurs sur une possible imprudence de confier la prise de notes à un copiste ou une autre personne. L’usage d’abréviations permet, enfin, de protéger « les matières importantes, qu’il est prudent de soustraire à la curiosité ou aux recherches des malintentionnés »209. L’auteur préconise même l’usage d’une « écriture secrète » que seule le voyage peut déchiffrer210. On voit dans les prescriptions de Berchtold que l’écriture est un sujet très sensible et peut mener à maintes récupérations, disgressions, autant qu’elle garantit la justesse et le souvenir des informations recueillies.

À propos des supports de l’écriture et de leurs usages, là aussi, plusieurs règles doivent être respectées. Ces règles ont toutes une même finalité, celle de collecter et d’ordonner l’information. Pour Berchtold, le voyageur doit acquérir un fonds de connaissances solides et indispensables et avant tout de son propre pays. Ce faisant, « il sera

207 Pierre-Henri de Valenciennes, Éléments de perspective pratique à l’usage des artistes. Suivi de Réflexions

et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre de paysage, Paris, l’Auteur-Dessene-

Duprat, an VIII (1800) cité dans Gilles Bertrand, op. cit., p. 50. 208 Léopold Berchtold, Essai, p. 11.

209 Ibid., p. 12. 210 Ibid., p. 49.

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à propos de suivre, en écrivant ses observations, le même plan qu’on se propose dans ses perquisitions chez l’étranger ; ainsi, en recueillant les informations les plus étendues et les plus utiles que peut fournir son pays, on s’accoutumera dans la suite à mettre de l’ordre dans ses recherches, et à former une comparaison exacte de sa nation avec les autres »211. Ainsi, la grille d’observation de son propre pays devient celle du pays visité. Cette remarque nous montre, premièrement, la logique de comparaison que doit adopter le voyageur et le filtre interprétatif qu’il soumet à son observation du pays visité. Ensuite, dès la préparation du voyage, une sélection s’opère dans le choix des informations « les plus utiles » pour l’instruction du voyageur, mais qui, inévitablement, oriente déjà son regard, puis son itinéraire à venir, vers des objets prédéfinis. Concrètement, cet ordonnancement de l’information se fait par l’usage de différents supports sur lesquels le voyageur annote les renseignements récupérés de diverses sources. Parmi les sources les plus importantes, nous retrouvons les livres entreposés dans les bibliothèques212 et chez les libraires213. Les libraires « distingués » peuvent ainsi orienter les voyageurs vers les ouvrages utiles, mais aussi faciliter les contacts avec les auteurs célèbres. Selon Berchtold, pour avoir les connaissances préliminaires des pays visités, le voyageur doit « lire les meilleurs historiens anciens et modernes […], il lui est important d’en faire des extraits, afin de les comparer avec ses propres observations »214. Et sur « l’histoire de l’état présent d’une nation, il faut comprendre les descriptions géographiques, les voyages et les relations des modernes qui indiqueront ce qui n’a pas encore été observé »215. Les renseignements tirés de ces différentes sources sont compilés sur divers supports qui ont chacun un rôle précis. Premièrement, plusieurs listes doivent être établies afin de recenser les manufactures d’un pays, les agriculteurs les plus célèbres, les personnes de réputation, les artistes distingués, les ouvrages de référence ou encore les sites antiques de renom. Ces différentes listes, le plus souvent écrites sur des

211 Ibid., pp. 17-18.

212 De nombreux auteurs orientent les voyageurs vers les bibliothèques les plus réputées. Uniquement pour la fin du XVIIIe siècle, voir Abbé Jérôme Richard, Description historique et critique de l’Italie, ou Nouveaux

mémoires sur l’état actuel de son gouvernement, des sciences, des arts, du commerce, de la population et de l’histoire naturelle, 6 vol., Dijon, 1766 ; Jérôme de Lalande, Voyage d’un Français en Italie, fait dans les années 1765 et 1766, 8 vol., Venise, 1769 ; Thomas Nugent, The Grand Tour, or a journey through the Nederlands, Germany, Italy and France, 4 vol., Londres, 1778 ; Johann Jacob Volkmann, Historisch-kritische Nachrichten von italien, welche eine Beschreibung dieses Landes… enthalten, 3 vol., Leipzig, 1770-1771.

213 Leopold Berchtold, Essai, p. 39 214 Ibid., p. 17.

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feuillets non reliés, servent déjà de base au futur itinéraire du voyageur et aux différentes parties qui composeront le journal de voyage, puis le récit imprimé, si publication il y a.

Ensuite, durant le voyage, les supports d’écriture se diversifient. Tout d’abord, si le voyageur noue « des liens d’intimité avec des hommes de mérite, il tâchera, avant son départ, d’établir avec eux une correspondance littéraire et amicale, afin de les informer des découvertes importantes qu’il fera dans ses voyages »216.

La tenue d’un journal est la pratique la plus importante et « un voyageur soigneux aura toujours dans sa poche du papier, des plumes et de l’encre »217. Berchtold consacre une pleine section sur les observations qui doivent être rédigées par écrit. Ainsi, « les voyageurs doivent confier au papier tout ce qu’ils trouveront de remarquable, tout ce qu’ils entendront ou liront, et même les sensations que les différents objets produiront sur eux »218. Toutes ces observations doivent être compilées, tout d’abord, dans un cahier de poche, puis retranscrites sur un journal à chaque fin de journée. Ce journal « doit être disposés de manière à pouvoir y annexer de nouvelles notes ; la vérité y sera religieusement observée : on ne balancera pas à lui sacrifier, s’il est nécessaire, l’élégance du style »219. Enfin, Berchtold recommande la tenue d’un autre livre, « dans lequel un certain nombre de feuillets seraient consacrés à chaque sujet »220. Ce livre doit contenir les faits authentiques, vérifiés et hors de tout doute, extraits du journal quotidien. Face aux renseignements précieux qu’il contient, il est même recommandé, soit de le garder en permanence avec soi, soit d’en faire une copie conservée dans un lieu sûr.

Pour récapituler, Berchtold propose pas moins de cinq types de supports d’écriture utilisés avant et durant le voyage : les listes sur des feuillets, les correspondances, les cahiers de poche, le journal quotidien et un livre des faits vérifiés. L’Essai de Berchtold, dont la première édition paraît en 1789, n’est pas le premier, ni l’unique en ce genre221, et reprend

216 Ibid., p. 40. 217 Ibid., p. 47. 218 Ibid. 219 Ibid., p. 48. 220 Ibid.

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des pratiques déjà bien établies222, mais il s’inscrit pleinement dans un contexte où apparaissent des modes nouveaux de découverte de l’Italie. Dans le courant des années 1770- 1780, l’Italie est toujours perçue comme un espace de conservation des traces du passé et le haut lieu de la Chrétienté, mais aussi comme un laboratoire d’observation des phénomènes naturels et économiques. L’attrait pour les « nouvelles » sciences et les caractéristiques économiques des pays visités s’ajoute à celui, plus classique, de la déambulation culturelle telle que pratiquée par le Grand Tour. Comme Gilles Bertrand le mentionne, nous devons rester prudents face à l’interprétation d’une modernisation soudaine des voyageurs de la fin du XVIIIe siècle. Des évolutions sont perceptibles, et nous les étudierons plus en détails dans les chapitres suivants, mais nous ne pouvons parler uniquement de rupture. Différents profils se côtoient et envisagent leur voyage de manière différente et pour des motifs variés. Cette variété n’est pas toujours perceptible au travers des récits imprimés ayant subi maintes refontes et devant répondre à des règles narratologiques et esthétiques propres, laissant l’image d’une certaine homogénéité des motifs de voyage.

C’est aussi vers les années 1770-1780 que l’on note un regard plus personnel, parfois « sentimental », dans les récits de voyage imprimés223. Il apparaît un contre-courant face à toutes ces tentatives de normer les pratiques du voyage. Laurence Sterne et son Voyage

Sentimental, paru en 1768, en est devenu le porte-voix et propose un contre-modèle au récit

de voyage traditionnel et s’émancipe des règles imposées alors224. Après un voyage en France et en Italie, Sterne publie le récit de ses aventures dans une optique « sentimentale », par une approche subjective des goûts, des sentiments personnels, des mœurs et des coutumes, et à contre-pied des savoirs classiques. Dans la préface, intitulée « In the Desobligeant », l’auteur, par le biais de son personnage Yorick, nous fait part de son processus d’écriture : « Knowledge and improvements are to be got by failling and posting for that purpose ; but

222 Nous verrons plus loin, avec l’exemple de Houel, que certains de nos voyageurs usent d’une palette de supports variée durant leur voyage.

223 La bibliographie est particulièrement imposante sur cette question. Nous citons ici les principales contributions. Jacques Chupeau, « Les récits de voyage aux lisières du roman », Revue d’Histoire Littéraire de

la France, vol. 77, n°3-4, (1977), pp. 536-553 ; Friedrich Wolfzettel, Le discours du voyageur. Pour une histoire littéraire du récit de voyage en France, du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France,

1996 ; Percy G. Adams, Travel Literature and the Evolution of the Novel, Lexington, The University Press of Kentucky, 1983 ; Geoffroy Atkinson, The Sentimental Revolution : French Writer of 1690-1740, Seattle, University of Washington Press, 1966.

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whether useful knowledge and real improvements, is all a lottery… »225. Et il finit par ceci : « I am of opinion, That a man would act as wikely, if he could prevail upon himself, to live contented, without foreign knowledge or foreign improvements, especially, if he lives in a country that has no absolute want of either – and indeed, much grief of heart has it ost and many a time cost me, when I have observed how many a foul step the inquisitive Traveller has measured to fee fights and look into discoveries »226. L’expression des émotions, mais aussi de l’humour fait de cette fiction un succès littéraire retentissant. Elle met surtout en évidence les enjeux entourant l’écriture du voyage, entre un souci de vérité et de documentation, et la dimension littéraire et subjective des récits, porteuse d’un plaisir de la lecture. Ces enjeux s’inscrivent dans un contexte littéraire qui voit l’avènement du roman moderne, entre les XVIIe et XVIIIe siècles, et ses influences mutuelles avec l’écriture du voyage227. Cependant, la littérature viatique qui se doit d’instruire et désormais de divertir jouit d’une plus grande reconnaissance de la part du public228. Dans l’édition de 1727 du

Dictionnaire de Furetière, celui-ci présente les relations de voyage comme les « romans des

honnêtes gens » et « qu’il n’y a point de livres, aux Légendes près, qui soient si remplis d’aventures poétiques et de fables »229, une définition qui n’apparaît pas dans la première édition de 1690. On ne parle plus ici du caractère « mensonger » du récit de voyage, mais bien de son statut de mixité, d’intertextualité en termes plus justes. La littérature de voyage, dans le courant du XVIIIe siècle, semble avoir trouvé les traits qui lui sont propres et jouant sur les formes aptes à unir les impératifs de véracité et ceux de divertissement littéraire230. Les stratégies discursives reposent alors sur un style dépouillé d’ambition littéraire dont les qualités reposent sur « le naturel, le vrai, la simplicité et la conformité à la raison »231. Cette

225 Ibid., p. 31. 226 Ibid., pp.31-32.

227 Jacques Chupeau, « Les récits de voyage aux lisières du roman », Revue d’Histoire Littéraire de la France, vol. 77, n°3-4, (1977), pp. 536-553 ; Percy G. Adams, Travel Literature and the Evolution of the Novel, Lexington, The University Press of Kentucky, 1983 ; Marie-Thérèse Hipp, Mythes et réalités, enquête sur le

roman et les mémoires, 1660-1700, Paris, Klincksieck, 1976 ; Daniel-Henri Pageaux, « Voyages romanesques

au siècle des Lumières », Études littéraires, vol. 1, n°2, (1968), pp. 205-214.

228 Yasmine Marcil a démontré que le nombre d’articles de périodiques français ayant publiés à leur sujet entre 1750 et 1789 a été multiplié par trois, passant de 261 recensions entre 1750-1759 à 1061 entre 1780-1789. Yasmine Marcil, Réception des récits de voyage dans la presse périodique (1750-1789), Paris, EHESS, 2000. 229 Antoine de Furetière, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mot françois tant vieux que

modernes, et les termes des sciences et des arts, vol. 4, article « voyage ».

230 Friedrich Wolfzettel, Le discours du voyageur, p. 132.

231 Ibid. Voir aussi Andreas Motsch, « La relation de voyage : itinéraire d’une pratique », Analyses, vol. 9, n°1, (2014), pp. 215-268.

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écriture du voyage, directe et simple, témoigne d’un discours du « faire voir, faire vivre, faire vrai »232.

Nous parlons ici des formes du discours, mais peu de la matérialité des textes, bien moins étudiées par l’historiographie. Ce sont les deux aspects principaux de notre analyse et que nous développerons dans les chapitres suivants. Bien sûr, l’évolution de ce processus est progressive et les discours divergent encore sur les qualités des récits de voyage. Jaucourt et Cassini cités auparavant le démontrent. Wolfzettel parle du « discours contradictoire des Lumières »233 et conclut que « la dialectique du ravissement esthétique et de l’utilité sociale, entre le sentiment religieux et le prestige de la science, restera jusqu’à la fin des Lumières l’une des caractéristiques du sentimentalisme éclairé »234. Berchtold recommande d’ailleurs de noter « les sensations que les différents objets produiront sur eux ». Cet équilibre recherché entre différents modes discursifs, entre narration et description, entre la documentation objective et instructive et la description subjective, nécessite des compétences en écriture qui ne sont pas à la portée de tous les voyageurs.

Cela nous incite à questionner nos voyageurs en Sicile dont la publication des récits se situe pleinement dans cette période, et qui ne sont pas considérés comme écrivains. Du moins, ils ne se présentent pas comme tels. Une des stratégies de « l’écriture directe et simple », qui serait gage de véracité des propos du voyageur, repose justement sur une forme de modestie dont les préfaces des récits, sans exception, font mention. L’exemple de Brydone peut être repris pour la presque totalité des autres voyageurs :

Je les présente au Public [les lettres] avec la plus grande défiance : la plupart ont été composées dans des circonstances peu favorables à l’ordre et à la