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Chapitre 1 – Portraits des « premiers » voyageurs

1.4 Les buts du voyage

1.4.5 De nouvelles explorations scientifiques

Dans la même veine, le comte de Borch, qui rencontre Swinburne à Naples, entreprend le voyage en Sicile en 1776 après avoir lu les lettres de Brydone. Le récit des « aventures » de Brydone est l’élément déclencheur de son périple :

en voyant un pays aussi différent des autres pour les mœurs, pour les usages, et pour les productions, un pays où la nature ne s’éloigne pas moins que les hommes de ce que nous sommes accoutumés à voir journellement, sont des titres pour aiguillonner tout être un peu curieux, et je confesse que je le suis. Il ne m’en a pas fallu davantage pour quitter Naples même dans la saison des plaisirs280.

De ce voyage, il tient une correspondance avec un certain « C. de N. » et ce serait ce dernier qui l’aurait convaincu de publier cette correspondance. Cette publication a comme principal objectif, et comme le mentionne le titre, de servir de supplément aux lettres de Brydone, mais surtout de vouloir corriger bon nombre d’affirmations de l’auteur écossais.

278 Henry Swinburne, Travels through Spain, vol. 1, pp. iii-iv. 279 Henry Swinburne, Travels in the Two-Sicilies, vol. 1, p. vi.

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Cependant, le comte de Borch ne va pas en Sicile uniquement pour corriger toutes les observations de Brydone. Avant tout, il est un naturaliste et les publications qui suivent son retour de Sicile ne sont pas ses Lettres, mais sa Lithographie sicilienne en 1777, suivie d’une

Lithologie sicilienne en 1778, puis une Minéralogie sicilienne et des Lettres sur les truffes du Piémont en 1780281. Il devait aussi publier une Théorie des volcans, mais ce projet semble avoir été abandonné. Les Lettres de Sicile et de l’île de Malthe ne sont publiées qu’en 1782. Brydone suscite la curiosité du comte de Borch, mais ce n’est qu’une fois rendu sur place que les vues de ce dernier divergent. Dès lors, la publication prend tout son sens. Il y a matière ici à renouveler le genre et à apporter un point de vue différent. Tout d’abord, le comte de Borch fait remarquer qu’il voyage durant une saison différente de celle de Brydone et que, de fait, « c’est la description de beaucoup de choses, dont Mr Brydone ne pouvait point parler, s’étant trouvé dans ce pays-là dans une saison différente de celle que j’ai consacré à mes observations dans ce Royaume »282. Une autre remarque qui justifie la publication selon le comte de Borch, « est le manque absolu d’un bon ouvrage sur ce royaume »283. Cette approche est identique à celle de Swinburne qui a, lui aussi, comme projet de publier un « meilleur » récit sur la Sicile que ce qui s’est écrit jusqu’à présent. Enfin, la publication des

Lettres vient apporter une suite aux ouvrages précédents du comte de Borch. C’est ce qu’il

souhaite dans la préface de sa Minéralogie sicilienne : « Je crois devoir avertir le lecteur, que dans la crainte de me répéter dans beaucoup d’articles de ma Minéralogie, je le renvoye à mes Lettres sur la Sicile, et à ma Lithologie : ces trois Ouvrages se tiennent comme par la main »284. En somme, on peut observer un projet d’écriture clôturé par les Lettres, même si leur publication n’était pas prévue au départ. Nous verrons plus loin que cette remarque n’est pas tout à fait juste. Pour ce qui est des écrits naturalistes du comte de Borch, l’intention

281 Idem., Lythographie sicilienne ou catalogue raisonné de toutes les pierres de la Sicile. Propres á embellir

le Cabinet d'un Amateur, Naples, 1777 ; Idem., Lithologie Sicilienne, ou Connaissance de la Nature des Pierres de la Sicile; suivie d'un Descours sur la Calcara de Palerme, Rome, Benoît Francesi, 1778 ; Idem., Minéralogie sicilienne docimastique et metallurgique ou connaissance de tous les mineraux que produit l'ile de Sicile, avec les details des mines et des carrieres, et l'histoire des travaux anciens et actuels de ce pays. Suivie de la minerhydrologie sicilienne ou la description de toutes les eaux minerales de la sicile par l'auteur de la Lythologie sicilienne, Turin, les Frères Reycends, 1780 ; Idem., Lettres sur les truffes du Piémont, Milan, les

Frères Reycends, 1780.

282 Michel-Jean de Borch, Lettres sur la Sicile et sur l’île de Malthe, vol. 1, pp. ix-x de la préface. Cet argument saisonnier se retrouve aussi chez Swinburne pour justifier la dimension nouvelle de son récit.

283 Ibid., p. x de la préface.

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devait probablement déjà être présente avant son départ en Sicile. La rapidité avec laquelle la Lithographie a été publiée, dès 1777, date de son retour de l’île, le laisse supposer.

Déodat de Dolomieu voyage, quant à lui, en Sicile en 1780 en tant que géologue. C’est durant les débuts de sa carrière militaire que Dolomieu s’intéresse pour la première fois aux sciences285. Le duc de la Rochefoucault, alors son colonel, l’initie à la minéralogie. Ici commence une véritable passion qui oriente tous ses voyages à venir, notamment celui en Sicile. Dans la Notice historique sur Déodat Dolomieu d’Alfred Lacroix, on apprend que son intérêt pour la Sicile émerge dès 1776, sous les conseils de Daubenton, futur membre de l’Académie royale des sciences286. Les travaux de William Hamilton sur les volcans ne sont probablement pas étrangers à ce projet, les deux hommes se rencontrent d’ailleurs à Naples et parcourent le Vésuve ensemble287. Nous sommes alors dans une période d’effervescence du voyage en Sicile, une partie de l’Europe lettrée et savante manifeste de l’intérêt pour la Sicile. Après des excursions dans les Alpes, puis à Malte, les facultés de géologue de Dolomieu se révèlent surtout lors d’un premier voyage au Portugal en 1778 pour le compte du prince Camille de Rohan, en tant que secrétaire d’ambassade288. Dolomieu dédie sa vie à la science, à la minéralogie et particulièrement à l’étude des volcans. Ce qui le mène en Sicile, d’après une lettre adressée à Lalande, « avait principalement pour objet ce volcan (l’Etna) »289. Les notes manuscrites inédites mises au jour par Alfred Lacroix montrent la longue préparation du voyage en Sicile de Dolomieu. Plusieurs cahiers se composent des itinéraires à suivre, et énumèrent les minéraux et les productions que l’on peut y trouver pour chaque destination290. Pour cela, il s’appuie sur le journal du comte d’Orsay qui visite la

285 Alfred Lacroix, « Notice historique sur Déodat Dolomieu : membre de la section de minéralogie de la première classe de l’Institut national, lue dans la séance publique annuelle du 2 décembre 1918 », Mémoires de

l’Académie des sciences de l’Institut de France, Paris, Gauthier-Villars et Cie, 1918, pp. 1-88.

286 Alfred Lacroix le relève dans une lettre adressée au duc de la Rochefoucault et conservée à la bibliothèque de la ville de Besançon. Alfred Lacroix, « Un voyage géologique en Sicile en 1781 », Comité des travaux historiques et scientifiques, Bulletin de la section de géographie, t. 33, (1918), p. 31.

287 Notons aussi la rencontre avec Faujas de Saint-Fond, assistant de Daubenton.

288 Les remarques de Dolomieu sur les roches basaltiques à Lisbonne sont consignées dans quatre lettres adressées à Faujas de Saint-Fond qui les intègrera en annexe de ses Volcans éteints du Veley et du Vivarais, 1778. Les notes de voyage manuscrites sont consignées dans un registre factice : AAS, Fonds Déodat de Dolomieu, 4 J 17, fol. 2-37.

289 Cité dans Hélène Tuzet, La sicile au XVIIIe siècle vue par les voyageurs étrangers, p. 120.

290 AAS, Fonds Déodat de Dolomieu, 4 J 19 : sous cette cote, nous retrouvons un ensemble de notes de lectures et de mémoires relatifs au vitriole, aux mines de plomb ou encore un Catalogue raisonné des fossiles de Malte (fol. 62-77v°). Les objets de recherche relatifs à la minéralogie sont très variés.

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Sicile en 1777291. En plus de se mettre à jour, Dolomieu illustre déjà le soin apporté à sa méthodologie et à la préparation d’une expédition purement scientifique.

Ses pérégrinations vont aussi le mener à observer les îles qui entourent la Sicile et qui témoignent, comme il va le démontrer, des liens géologiques unissant toute cette région. Les publications tirées de ses observations sont nombreuses et forment un corpus cohérent qui permet de comprendre les attraits que Dolomieu a perçus dans la Sicile. Une partie de ces publications est incorporée dans le quatrième volume de l’ouvrage pittoresque de Saint-Non concernant les îles Cyclopes, une lettre sur l’Etna et un Mémoire sur les volcans éteints du

Val di Noto. Il publie aussi un Voyage aux îles Lipari fait en 1781, un Mémoire sur les îles de Ponces et catalogue raisonné des produits de l’Etna, suivis de la description de l’éruption de l’Etna du mois de juillet 1787. Enfin, le journal de route de Dolomieu a été publié par

Alfred Lacroix en 1918 sous le titre Un voyage géologique en Sicile en 1781292. Nous avons à faire ici à un savant, scrupuleux dans sa méthode d’analyse et qui se dévoue uniquement à sa passion pour la minéralogie et la géologie. L’intérêt pour les antiquités n’y est pas, principalement, et comme il l’avoue, parce qu’il n’en a pas toujours les connaissances. Nous reviendrons en détails sur les écrits de Dolomieu dans le troisième chapitre.