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Chapitre 2 – À la découverte de la Sicile

2.2 Les itinéraires dans les récits imprimés en Sicile

Dans le cadre de notre approche sur la matérialité des textes, la question des itinéraires est particulièrement complexe. L’historiographie a toujours véhiculé l’image d’itinéraires clairement balisés, tels que les voyageurs les représentent dans leurs récits imprimés. Nous nous sommes alors questionnés sur les possibilités de refonte de l’itinéraire entre ce que le voyageur donne à voir dans ses notes manuscrites (journal et lettres comprises) et la version remaniée et imprimée par l’éditeur. Nous pensons qu’il existe plusieurs subterfuges, à l’image des différentes stratégies discursives employées par l’auteur au fil du texte, pour représenter l’itinéraire comme un parcours « en ligne droite » d’un point A à un point B. Le défis qui se présente à nous est le manque de sources manuscrites pour plusieurs de nos voyageurs. Nous proposons donc de présenter les itinéraires de ces derniers tels qu’ils apparaissent dans leurs récits imprimés. Puis, nous finirons par l’exemple de Jean-Pierre- Laurent Houël dont nous détenons plusieurs manuscrits qui donnent un éclairage extrêmement intéressant sur le processus de refonte des différents supports d’écriture. Nous

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avons, entre autres, le journal de notes quotidiennes durant le voyage, le manuscrit partiel refondu et corrigé par les correcteurs de l’imprimerie de Monsieur, puis la version publiée. Nous pensons que tous les récits publiés doivent suivre, à peu de différences près, le même processus avant d’être envoyés pour l’impression.

Pour que notre propos paraisse avec plus de clarté, nous avons segmenté notre présentation en trois périodes chronologiques. La première période, entre 1767 et 1770, regroupe les itinéraires de Johann Hermann Riedesel, Patrick Brydone et William Hamilton que nous pourrions appeler les « premiers voyageurs modernes » en Sicile. La seconde période, entre 1775 et 1788, regroupe la plus grande partie des itinéraires dans un intervalle très court. Cela concerne 14 de nos voyageurs : Carlantonio Pilati di Tassullo, Jean-Marie Roland de la Platière, Michel Jean de Borch, Richard Payne Knight, Henry Swinburne, Dominique Vivant-Denon, Jean-Pierre-Laurent Hoüel, Déodat de Dolomieu, Friedrich Munter, Johann-Heinrich Bartels, Pierre-Marie (ou François-Xavier) de Pagès, Johann Wolfgang von Goethe, Lazzaro Spallanzani, Carl Ulysse Salis von Marschlins. Enfin, la troisième période, entre 1791 et 1798, s’achève avec les itinéraires de Brian Hill, Frédéric- Léopold de Stolberg, Georg-Arnold Jacobi, Joseph Hager, Thomas Bingham Richards. Plusieurs de nos récits sont agrémentés de cartes détaillées dont certaines contiennent le tracé de l’itinéraire. Au nombre de neuf, ces cartes sont incluses en annexes de cette thèse, à l’exception de celles de Jean-Pierre-Laurent Houël sur lesquelles nous reviendrons plus en détails. Cette division entre trois périodes repose surtout sur les contextes historiques qui ont été propices à l’augmentation des voyages en Sicile, ou, au contraire, qui ont influé sur un ralentissement important des déplacements. La forte augmentation des voyages entre 1775 et 1778 est due au contexte de réformes entamées par Caracciolo, dont nous avons parlé dans le premier chapitre, et à l’intense mouvement de valorisation du patrimoine historique et archéologique de la Sicile. La protection des œuvres d'art sur l'île est confiée à deux princes illustres: la protection du Val di Noto et la Valdemone au prince catanais de Biscari, Ignazio Vincenzo Paternò Castello405 ; la protection du Val di Mazzara au prince de Palerme Gabriele Lancillotto Castelli de Torremuzza. Confier une telle tâche à deux princes n’est pas une

405 Sur Ignazio Vincenzo Paternò Castello, prince de Biscari (1719-1786) et Gabriele Lancillotto Castelli, prince de Torremuzza (1727-1792), voir Francesco Muscolino, « Il principe di Biscari e il principe di Torremuzza, « i due Dioscuri della passione antiquaria settecentesca », LANX, n°21, (2015), pp. 1-40.

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coïncidence, mais une tentative de rassurer l’aristocratie de l’île et de la volonté du gouvernement napolitain de reconnaître leur groupe, qui a toujours été au pouvoir, et leur assurer une nouvelle légitimité pour gouverner l’île.

Les deux princes se mettent rapidement au travail. Biscari s'intéresse aux fouilles du théâtre romain de Catane, Torremuzza se consacre d'abord à Maredolce, puis à Ségeste. À Catania, Biscari se consacrera pleinement à la recherche archéologique par des fouilles systématiques sur le théâtre romain, les thermes de l’Indirizzo et l'amphithéâtre. Torremuzza, en revanche, s'est principalement consacré aux travaux de restauration. Leurs interventions de protection sont résumées et commentées dans deux plani respectifs. Les deux princes, devenus amis, entretiennent aussi une longue correspondance.

C'est aussi durant cette période que se sont développées les études numismatiques, favorisées par l’intérêt du prince de Torremuzza pour le sujet. Friedrich Münter, grand numismate, partagera cette passion avec le prince sicilien. Ce dernier a réalisé de nombreux travaux : en 1781, il s'occupe de la restauration du temple dorique de Ségeste ; en 1785, il découvre une ancienne catacombe placée dans un potager près des murs de Palerme ; en 1787, il travaille à la restauration du temple de Junon Lucina à Girgenti (Agrigento) ; en 1788, il s'engage à restaurer le temple de la Concordia. Le ralentissement observé à partir de 1791 est en grande partie la conséquence des événements révolutionnaires en France.

Les cartes sur lesquelles nous représentons plusieurs des itinéraires de nos voyageurs ne contiennent pas toutes les villes qui ont été visitées par ces derniers, principalement par manque d’espace406. Nous voulons surtout montrer un visuel des régions parcourues et celles qui ont été longtemps ignorées. Nous avons retenu les itinéraires de Riedesel et de Brydone, dont les voyage se déroulent uniquement le long des côtes, dans les deux premières cartes. La troisième carte indique l’itinéraire de Denon, un des voyageurs qui parcourt l’intérieur de la Sicile. Ces trois itinéraires sont représentatifs de ceux parcourus par tous les autres voyageurs que nous abordons dans le cadre de cette thèse. De plus, certains villages mentionnés par les voyageurs nous sont inconnus de par leurs noms. Nous supposons deux

406 À partir de cartes muettes de l’Italie, nous avons utilisé le logiciel Gimp pour y inclure les villes et le tracé des itinéraires. Ces cartes ont été téléchargées à partir du site de l’Académie Aix-Marseille (France).

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cas possibles, soit l’orthographe n’est pas juste, ou bien ces villages n’existent plus ou ont été rattachés depuis à des ensembles urbains plus grands.

2.2.1- 1767-1770

Le tableau ci-dessous recense les villes parcourues par Johann Hermann Riedesel, Patrick Brydone et William Hamilton entre 1767 et 1770. À quelques exceptions près, les trois voyageurs s’orientent vers les principales villes de la Sicile situées aux bords de mer. Certains trajets ont été effectués par bateau, le long des côtes. Nous ne savons pas toujours les raisons qui justifient l’emploi de ce moyen de transport407. Il peut s’agir d’un moyen plus confortable et sécuritaire, les routes étant parfois difficiles d’accès, et, selon les rumeurs, infestées de bandits. Pour ces mêmes raisons, la route entre Messine et Palerme est ignorée et les villes de Cefalù et Termini restent dans l’oubli jusqu’en 1776-1777 et le passage de Richard Payne Knight. Le trajet de Brydone diffère quelque peu de celui de Riedesel à partir de Girgenti. Brydone voulait initialement relier Girgenti à Trapani par bateau, mais une tempête l’en empêcha408. Il décide alors de remonter sur Palerme par l’intérieur des terres et à dos de mulet. L’auteur ne nous donne presque aucun commentaire sur les villages observés, exceptée l’extrême pauvreté des habitants dont il a été témoin. Dans les deux cas, les voyageurs ne font pas escale sur les îles éoliennes et ne font que les apercevoir de leur navire. Enfin, pour le retour, Brydone quitte Palerme pour Naples, alors que Riedesel poursuit son voyage en Calabre et remonte vers Naples par les terres. Ce voyage dans la Grande Grèce forme la seconde partie de son récit.

407 Attilio Brilli, Quando viaggiare era un’arte, Milano, Il Mulino, 2008, pp. 109-140. 408 Patrick Brydone, A Tour Through Sicily and Malta, vol. 2, 1773, p. 1.

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Tableau 1 – les itinéraires de 1767-1770

Noms des voyageurs Durée du voyage Villes visitées

Johann Hermann Riedesel Mars 1767-mai 1767 Palerme, Monreale, Alcamo, Ségeste, Trapani, Marsala, Mazara, Castel Vetrano, Campobello, Sciacca, Agrigento (Girgenti), San Nicolo, San Biagio, Licata, Capo Passero, Marzamemi, Avola, Syracuse, Ortygia, Melilli, Catania, Nicolosi, Mascali, Taormina, Messine

Patrick Brydone Mai 1770-août 1770 Messine, Taormina, Giardini, Piedimonte, Aci, Catania, Nicolosi, Léontini, Augusta, Syracuse, Ortygia, Pachinus, Capo Passero, Agrigento (Girgenti), Palerme, Bagheria

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130 2.2.2 - 1775-1788

La seconde période connaît un accroissement important des voyages en Sicile et une plus grande variété des itinéraires empruntés. Nous pouvons déjà remarquer que les voyageurs ne visitent plus uniquement les grandes villes, et les régions avoisinantes attirent leur attention pour leurs paysages, certains villages pittoresques ou pour la particularité de certaines roches ou végétaux. Les différences de trajet et les villes ciblées varient selon les motifs des voyageurs et que nous étudierons dans la sous-partie suivante. C’est aussi durant cette période que l’intérieur de la Sicile retient l’attention. Des voyageurs comme Swinburne, Houël ou Denon n’hésitent plus à pousser leurs pérégrinations à l’intérieur des terres. Des villes comme Caltanissetta, Castrogiovanni (Enna), ou Caltagirone entrent dans les itinéraires du voyage en Sicile. Certains trajets se font encore par bateau comme en témoignent Carlantonio Pilati, Roland de la Platière ou le comte de Borch. Pour la première fois, des voyageurs font escales sur les îles éoliennes, principalement dans le but d’observer l’activité volcanique et d’étudier la composition des roches.

Tableau 2 – Les itinéraires de 1775-1788

Noms des voyageurs Durée du voyage Villes visitées

Carlantonio Pilati di Tassullo Mai 1775- indéterminé Messine, Taormina, Catania, Syracuse, Avola, Ragusa, Modica, Vittoria, Licata, Palma, Agrigento (Girgenti), Sciacca, Trapani, Monreale, Palerme, Noto, Mazara

Jean-Marie Roland de la Platière

Octobre 1776-janvier 1777 Palerme, Trapani, Licata, Syracuse, Catania, Messine

Michel Jean de Borch Décembre 1776-avril 1777 Messine, Catania, Syracuse, Agrigento, Trapani, Palerme

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Richard Payne Knight Avril 1777-juin 1777 Lipari, Milazzo, Tyndaris, Aquadolce, Cefalù, Termini, Bagheria, Palerme, Monreale, Ségeste, Calatafimi,

Sélinonte, Sciacca, Agrigento (Girgenti), Licata, Syracuse, Catania, Nicolosi, Acireale, Taormina, Messine

Henry Swinburne Décembre 1777-janvier 1778 Palerme, Termini, Solonte, Monreale, Carini,

Castellammare (del Golfo), Alcamo, Calatafimi, Castelvetrano, Menfi,

Sciacca, Caltabellota, Ribera, Siculiana, Agrigento

(Girgenti), Syracuse, Licata, Terranova, Caltagirone, Lentini, Catania, Taormina, Messine

Dominique Vivant-Denon Mai 1778-décembre 1778 Messine, Taormina, Castelmola, Catania, Castrogiovanni (Enna), Termini, Palerme, Carini, Ségeste, Trapani, Marsala, Mazara, Sélinonte, Sciacca, Agrigento (Girgenti), Licata, Syracuse, Ispica, Melilli, Augusta, Carlentini, Acireale

Jean-Pierre-Laurent Hoüel Mai 1776-juin 1779 Palerme, Alcamo, Ségeste, Trapani, Marsala, Mazara, Sélinonte, Sciacca, Bagheria, Monréale, Solonte, Termini, Cefalù, Tusa, Alesa, Santo Stefano di Camastra, Caronia, Tindari, Milazzo, Lipari, îles

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Lipari, Messine, Taormina, Acireale, Nicolosi, Randazzo, Aragona, Catania, Paternò, Adrano, Centuripe, San Filippo di Agira, Leonforte, Nicosia, Sperlinga, Polizzi Generosa, Sclafani Bagni, Contessa Entellina, Santa- Maria del Bosco, Sambuca, Giuliana, Palazzo Adriano, Prizzi, Bivona, Castronovo, Cammarata, Piazza Armerina, Caltagirone, Mineo, Militello, Vizzini, Licodia Eubea, Agosta, Syracuse, Palazzolo, Noto, Avola, Pachino, Ispica, Modica, Raguse, Scicli, Terranova, Licata, Agrigento (Girgenti)

Déodat de Dolomieu Mai 1781-octobre 1781 Syracuse, Sortino, Lentini, Militello, Mineo, Cammarata, Castrogiovanni, Assoro, San Filippo di Agira, Adriano, Paternò, Catania, îles

Cyclopes, Acireale, Messine, îles Éoliennes, Taormina, Randazzo, Bronte, Nicosia, Cefalù, Termini, Palerme, Alcamo, Trapani, Marsala, Castelvetrano, Sciacca, Bivona, Caltagirone, Vizzini, Raguse, Modica, Noto, Syracuse

Friedrich Münter Octobre 1785-février 1786 Palerme, Trapani, Mazzara, Sciacca, Agrigento

(Girgenti), Syracuse, Catania, Messine

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Johann-Heinrich Bartels Octobre 1786-novembre 1786 Messine, Taormina, Catania, Noto, Syracuse, Agrigento (Girgenti), Palerme

Pierre-Marie de Pagès 1787 Messine, Taormina, Aci,

Catania, Syracuse, Licata, Agrigento (Girgenti), Palerme

Johann Wolfgang von Goethe Avril 1787-mai 1787 Palerme, Messine, Alcamo, Ségeste, Castelvetrano, Sciacca, Agrigento, Catania, Caltanissetta, Castrogiovanni, Taormina

Lazzaro Spallanzani Août 1788-octobre 1788 Messine, Catania, Nicolosi, îles Lipari, Milazzo

Carl Ulysse Salis von Marschlins

Mai 1788-juillet 1788 Messine, Catane, Augusta, Syracuse, Agrigento

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Les voyageurs de cette troisième période suivent les itinéraires de leurs prédécesseurs. Nous voyons cependant apparaître une nouvelle figure, celle de l’orientaliste avec Joseph Hager. Il effectue d’ailleurs deux voyages en Sicile. Le premier a lieu au mois de mai 1794, ayant comme destination principale la ville de Palerme et sa région. Il reviendra dans un second voyage, entre 1795 et 1796, chargé par Ferdinand IV de Bourbon de vérifier l’authenticité des manuscrits arabes « découverts » par l’abbé Vella dont nous avons parlé précédemment.

Tableau 3 – Les itinéraires de 1791-1798

Noms des voyageurs Durée du voyage Villes visitées

Brian Hill Février 1791-mars 1791 Palerme, Castellammare, Ségeste, Termini, Bagharia, Cefalu, San Stefano, Brolo, Messine, Giardini, Catania, Augusta, Syracuse

Friedrich-Léopold de Stolberg

Mai 1792-juillet 1792 Messine, Palerme, Trapani, Agrigento (Girgenti), Terra Nova, Syracuse, Catania, Taormina

Georg-Arnold Jacobi Mai 1792-juillet 1792 Même itinéraire de Stolberg (voyagent ensemble)

Joseph Hager Mai 1794 / 1795-1796 Palerme, Bagharia, Monréale Thomas Bingham Richards Octobre 1798-décembre 1798 Messine, Catania, Taormina,

Giardini, Syracuse, Palerme, Termini, Monréale, Bagharia,

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