• Aucun résultat trouvé

La réforme gottschédienne et les modèles français

2.1.2. La célèbre « recette » gottschédienne de la bonne comédie et ses applications

2.1.2.3. Questions de définitions

L’ensemble de ces préceptes rigoureux développés par Gottsched, farouchement hostile à toute forme de farce, fixe ainsi un objectif ambitieux au genre à naître, qui sera « la comédie saxonne » ou sächsische Typenkomödie. Mais quelle réalité recouvre au juste cette appellation ?

1 Henri Bergson, Le Rire, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1981, p. 15 et p. 150.

2 « Die Komödie will durch Lachen bessern ; aber nicht eben durch Verlachen. » HD, 29. Stück, LM 9, p. 303.

3 Cf. Emile Dupréel, « Le problème sociologique du rire », in : Revue philosophique, 106 (1928), p. 213-259.

4 « Der Thorheiten sind eben so viel, als der Lebensarten. Sobald ein Mensch etwas thut, das seinem Stande nicht gemäβ ist, sobald kan man ihn einen Thoren nennen. Ein moralischer Spötter kan die menschliche Thorheit nicht überhaupt verspotten ; denn so würde sich seine Verspottungen, da sie auf alle gingen, niemand annehmen. Er muβ, durch Abschilterungen besonderer Thorheiten, gleichsam mit dem Finger auf diejenige Art der Thoren zeigen, welche er zur Erkenntniβ bringen will, wofern nicht die Eigenliebe der Menschen allen Sittenlehren den Eingang in die Ohren derselben verstopfen soll. » Bemühungen zur

2.1.2.3.1. Qu’est-ce que la « comédie saxonne » ?

On entend en général par « comédie saxonne » l’ensemble de la production comique du cercle de Gottsched, considérée comme l’expression directe de sa théorie. Le genre est ainsi assimilé à une région (ou plutôt à une ville, en l’occurrence Leipzig) et à un groupe d’hommes de lettres bien précis. Les liens étroits qui unissent la comédie saxonne aux conceptions de Gottsched sont indéniables, mais la critique a peut-être eu trop tendance à assimiler les pièces à la théorie, sans autre forme de procès, et à n’y voir qu’une application servile et mécanique des règles préconisées par le maître1. C’est qu’il est effectivement difficile de les définir autrement que par le recours aux catégories et aux recommandations de l’Art poétique critique. Au premier abord et dans leur forme générale, elles remplissent parfaitement les impératifs gottschédiens. Ce n’est que dans le détail du texte que se font jour des entorses et des déviances significatives.

Structurellement, les comédies saxonnes se présentent sous la forme d’une succession d’épisodes qui amplifient un thème particulier. La situation est clairement délimitée dès le départ, les personnages sont des types et non des individus : ils représentent chacun un(e) ou plusieurs vice(s) ou vertu(s), et l’on assiste toujours à la victoire finale des vertueux et de la raison. La forme est donc relativement rigide. Le principe de la satire met les représentants du vice au centre, puisqu’ils font l’objet de toutes les attaques. Ils sont donc en général plus nettement caractérisés que les représentants de la vertu, qui restent un peu plus flous et souvent à la périphérie de l’action. Ce rapport entre les personnages est une des caractéristiques de la comédie saxonne : c’est l’introduction de la sensibilité et son importance croissante qui modifient cet équilibre et par conséquent le genre lui-même, de façon progressive et dans un premier temps très discrète. Il faut noter que Gottsched n’est pas hostile aux personnages vertueux, mais à ses yeux ils ne peuvent être placés au centre de l’action, car ils ne sont pas ridicules – or c’est bien le ridicule qui est la pierre de touche de sa conception du comique2. La comédie saxonne dans sa forme pure n’existe véritablement que dans les premières années.

Dans l’ensemble, les comédies saxonnes servent une démonstration – que Günter Wicke élève même au rang de « principe structurant »3 –, et sont donc fortement

1 L’exemple le plus frappant est celui de K. Holl, Geschichte des deutschen Lustspiels, p. 92.

2 Cf. R. Krebs, L’Idée de « Théâtre national », p. 45.

3 « Dieses Element der Demonstration ist so charakteristisch für die Lustspiele der Gottsched-Schule, daβ man es geradezu als Formprinzip im Sinne Paul Böckmanns bezeichnen könnte. » G. Wicke, Die Struktur

didactiques et analytiques. Si l’on veut définir le genre par une formule, ce pourrait être : une satire morale d’un trait négatif. Il n’en reste pas moins que l’adjectif « moral » doit être explicité, car les termes allemands sont variés et recouvrent parfois des champs différents1.

2.1.2.3.2. Le Piétisme en robe à paniers ou le paradoxe de la première comédie saxonne

Lorsqu’il s’agit de dater les débuts du genre de la comédie saxonne, on retrouve systématiquement l’année 1736 et la parution du Piétisme en robe à paniers comme référence. Ce découpage chronologique est si bien ancré dans la tradition de l’histoire littéraire que, malgré les multiples controverses suscitées par l’œuvre, il n’est jamais vraiment remis en question. Depuis plus d’un siècle, la critique a ainsi consacré la pièce de jeunesse de la Gottschedin « première comédie saxonne »2. C’est là le premier paradoxe, et non le moindre, de la comédie allemande des Lumières. Car si l’on considère la question objectivement, cette datation revient en fin de compte à déclarer la traduction d’une comédie française premier exemple d’un genre original allemand3. Produit de la critique, ce malentendu pourrait paraître anecdotique s’il n’était pas révélateur : il mérite que l’on

1 Cf. infra, p. 60.

2 Hans Friederici déclare en introduction que Le Piétisme marque l’avènement de la première période de la comédie régulière en Allemagne : « Mit dem Erscheinen der Pietisterey der Gottschedin im Jahre 1736 setzte sich Gottscheds Lustspielreform so nachdrücklich durch, daß sämtliche Komödien der folgenden fünfzehn Jahre [...] von seinen ästhetischen Forderungen bestimmt werden. » (Das deutsche bürgerliche Lustspiel, p. 9) ; Horst Steinmetz affirme que la première pièce de la Gottschedin est aussi la première de l’histoire de la « deutsche Typenkomödie » ; il la décrit comme exemple type de la technique de l’époque, qui mêle traduction littérale et contribution personnelle. La transformation en satire contre les piétistes est si bien réussie, « daß es schwer fällt, hier nicht von einer Originalkomödie zu sprechen » (Die Komödie der

Aufklärung, p. 34) ; Günter Wicke déclare pour sa part : « Die Pietisterey im Fischbeinrocke ist das erste

Lustspiel der Aufklärung ; es begründet die Gattung, und zeigt die polemischen Möglichkeiten, die sie bietet. » (Die Struktur des deutschen Lustspiels, p. 125). De quel genre parle-t-il au juste, lui qui s’est efforcé de distinguer différents types de comédie des Lumières ? Manifestement de la comédie satirique, mais il faut avouer que le flottement dans la terminologie est frappant. Wolfgang Martens conclut de même sa postface à la réédition du Piétisme : « Die Komödie der Aufklärung in Deutschland nimmt hier ihren Anfang. » (Die

Pietisterey im Fischbeinrocke, Stuttgart, Reclam, UB 8579, 1968, p. 167) ; Il présente les comédies de la

Gottschedin en général comme les pièces fondatrices de la comédie saxonne, dont Krüger, Mylius, Uhlich, Quistorp, Borkenstein, Fuchs et Schlegel sont les continuateurs, oubliant ainsi que La Mésalliance, la première pièce originale de la Gottschedin, est publiée en 1743, soit deux ans après la création des Mœurs du

temps passé et la publication de L’Oisif affairé, et à la même période que Les Pasteurs de campagne.

3 Michael Waters, dont l’article a pourtant pour objectif de démontrer que la pièce est bien une traduction, reprend en introduction cette affirmation, dont le paradoxe ne semble pas le gêner : « Die Pietisterey is the first German Enlightenment comedy and as such starts a line of development which leads ultimately to

Minna von Barnhelm. » (M. Waters, « Frau Gottsched’s ‘Die Pietisterey im Fischbein-Rocke’ : Original,

Adaptation or Translation ? », in : Forum for Modern Language Studies, 11 (1975), St. Andrews, p. 252-267, p. 252).

s’y attarde un peu, car il éclaire à merveille notre propos et nous invite à quelques réflexions préliminaires.

Tout d’abord, de quoi s’agit-il exactement ? Le Piétisme en robe à paniers, publiée anonymement en 1736, est la traduction d’une pièce satirique du Père jésuite Hyacinte Bougeant, La Femme Docteur ou la Théologie tombée en quenouille (1730). Cette comédie française est à l’origine dirigée contre les jansénistes. C’est en 1732 que Gottsched fait parvenir à sa future épouse Luise Adelgunde Viktorie Kulmus un exemplaire de la pièce. Celle-ci trouve alors « une grande ressemblance entre les jansénistes français et les faux dévots allemands »1, en d’autres termes, les piétistes. Quelques mois après son mariage, elle traduit la comédie, sans doute sur les encouragements de son époux, et l’adapte au contexte allemand, transformant l’attaque contre les jansénistes en satire contre les piétistes. Les modifications induites par cette perspective, ainsi que quelques transformations dans l’économie de la pièce, ont rendu problématique le statut de la comédie : ni l’auteur français, ni le traducteur allemand ne sont nommés, si bien que la pièce passe aux yeux des contemporains pour un original (malgré une préface explicite qui affirme qu’il s’agit là d’une traduction). Cette relative incertitude et ce faux départ ont sans doute par la suite favorisé le développement d’un débat sur « l’originalité de la Gottschedin »2. Diethelm Brüggemann a été le premier à souligner la force du préjugé3, et lui-même n’échappe pas, dans l’analyse qu’il fait par la suite de la pièce, à une certaine incohérence4. Michel Grimberg remarque également ce phénomène, qu’il explique par la volonté de la recherche allemande, au XIXe siècle, de trouver des textes fondateurs de la comédie de l’Aufklärung, et par le refus de prendre en compte le phénomène de réception et de transferts culturels5.

1 « Ich finde viel Aehnlichkeit unter den französischen Jansenisten und den deutschen heuchlerischen Frömmlingen. » Lettre de L. A. V. Kulmus à J. C. Gottsched du 30 Mai 1732, in : Inka Kording (Hg.), Luise

Gottsched, « Mit der Feder in der Hand », Briefe aus den Jahren 1730-1762, Darmsatdt, Wissenschaftliche

Buchgesellschaft, 1999, p. 31.

2 Sur la notion d’originalité et la pratique de passer sous silence le nom de l’auteur étranger sur les affiches annonçant les représentations, voir Jacques Lacant, « Gottsched », p. 21.

3 D. Brüggemann, Die Sächsische Komödie, p. 60 : il récapitule les positions de H. Friederici, G. Wicke, H. Steinmetz et W. Martens, et pose en conclusion la bonne question, sans pour autant y répondre : « Es bleibt unverständlich, wieso dieser Übersetzung, an der außer den deutschen Personennamen fast nichts original ist, als paradigmatisch für das Komödienschaffen der Gottschedin gelten soll. »

4 Ibid., p. 59 : il déclare que cette pièce est sans conteste une traduction et non une adaptation ; cependant, après quelques analyses de la langue, il estime qu’ « elle n’est pas une traduction au sens propre du terme », mais plutôt « la transposition d’un milieu social à un autre avec les moyens linguistiques correspondants » (p. 70). Aussi justifié que ce jugement puisse être au vu des analyses précédentes, il témoigne encore du statut extrêmement vague de la pièce.

C’est bien l’enjeu national qui semble être l’élément décisif dans la fixation de ce préjugé de la critique. La critique allemande de la fin du XIXe siècle, et plus particulièrement Gustav Waniek, a érigé Le Piétisme en point de départ de la comédie saxonne1. Si l’édition parallèle de A. Vulliod (1912) se veut une réaction contre les louanges imméritées de la critique allemande, elle répond encore à la théorie de l’influence française et de la supériorité de notre culture sur celle des pays germaniques2. S’appuyant sur des bases critiques faussées, la recherche se focalise sur la question de l’originalité de la Gottschedin, qui devient ainsi un enjeu national : souligner la part de l’acte créateur, c’est se libérer des préjugés tenaces selon lesquels l’Allemagne ne saurait qu’imiter la France, et surtout barrer la route aux éventuelles accusations de plagiat. De plus, affirmer la supériorité de l’adaptation allemande, c’est prouver a posteriori la validité de la position de Gottsched, qui est persuadé de la capacité des Allemands à supplanter les Français, une fois qu’ils auront été mis sur la bonne voie par leur exemple. Le Piétisme en robe à paniers acquiert ainsi un « statut fonctionnel de pièce fondatrice de la comédie régulière allemande » :

La Gottschedin inaugure un genre nouveau dans la littérature de l’Empire, fournissant un premier point de repère, une première référence aux auteurs allemands3.

Cependant, rien n’est moins sûr que ce rôle fondateur ; la pièce est-elle apparue comme telle aux yeux des contemporains ? Comme toute satire violente – et qui plus est satire religieuse, un genre oublié en Allemagne depuis la Réforme –, Le Piétisme connaît un succès de scandale4. Gottsched, dans la biographie qu’il publie après la mort de son épouse, se plaît à souligner le retentissement et les effets salutaires de la pièce, qui selon ses dires aurait infligé un rude coup au piétisme5. Devant les outrances manifestes du

1 Gustav Waniek, Gottsched und die deutsche Literatur seiner Zeit, Leipzig, 1897. Paul Schlenther reconnaît que la pièce est une adaptation, mais souligne la réussite particulière du caractère original de Frau Ehrlichin (p. 146-149). Auguste Ehrhard lui aussi se montre des plus élogieux à l’égard du Piétisme, pièce qu’il considère supérieure à la comédie de Bougeant car plus proche de l’esprit de Molière (A. Ehrhard, Molière

en Allemagne, p. 183-188).

2 Amédée Vulliod, La Femme Docteur. Mme Gottsched et son modèle français Bougeant ou Jansénisme et

Piétisme, Lyon et Paris, 1912.

3 M. Grimberg, La Réception de la comédie française, p. 146.

4 La comédie est vite censurée, ce qui ne l’empêche pas d’être éditée sept fois en deux ans (cf. Die

Pietisterey, postface de W. Martens, p. 155).

5 Le passage concernant Le Piétisme est intégralement reproduit dans la postface de W. Martens, p. 153 sq. Un regard plus attentif sur le texte révèle les exagérations de l’auteur : il est question de « eine Menge von Lesern », « Desto mehr Aufsehen machte nun dieß Stück in ganz Deutschland », « An etlichen Orten », « unzähliche einsehende und wohlgesinnte Theologen » ; enfin, Gottsched compare l’effet satirique dévastateur de la pièce à celui du Don Quichotte de Cervantes ou du Berger extravagant de Corneille, tous deux ayant sonné le glas du genre qu’ils parodiaient.

passage concerné (et de l’ensemble de l’ouvrage d’ailleurs), il convient d’être réservé et de ne pas tout prendre au pied de la lettre. Compte tenu des objectifs réformateurs de Gottsched et des attaques dont en 1762 il faisait déjà l’objet depuis longtemps, sa biographie prend parfois des allures de plaidoyer : il s’efforce de prouver l’utilité et la saine morale de cette œuvre, ainsi que son succès retentissant. Ce dernier reste pourtant limité dans le temps et dans l’ampleur : la pièce n’a pas été rééditée après 1737, et ne fut jouée que de façon très exceptionnelle1. Si la parution du Piétisme avait produit un tel effet sur le monde littéraire, comme le prétend aussi H. Friederici, pourquoi n’en trouve-t-on aucune trace dans les écrits des dramaturges de notre corpus ? Et pourquoi faut-il attendre cinq ans avant la parution des premiers véritables originaux que sont Les Mœurs du temps passé (Der Bookesbeutel) de Borkenstein et L’Oisif affairé (Der geschäfftige Müßiggänger) de Schlegel, inaugurant ainsi une décennie de production régulière ? Le statut de pièce fondatrice du Piétisme apparaît bien comme un mythe, une reconstruction de l’histoire littéraire.

Cependant, quelle que soit la validité de la position inaugurale de la pièce de la Gottschedin, elle est symptomatique d’un aspect essentiel de la comédie de l’époque : ses liens étroits avec la comédie française. Contrairement aux autres traductions de comédies françaises, Le Piétisme jouit à la fois de l’anonymat de son auteur, de l’incertitude sur sa provenance et de son adaptation particulièrement réussie (Gottsched souligne que l’habile traduction la fait passer pour un original allemand) : cette pièce peut ainsi prendre sa place dans une zone frontalière, qui symbolise assez bien la position de la comédie saxonne à ses débuts. À ce titre on peut effectivement considérer la pièce comme « le paradigme d’un transfert culturel total »2, ce qui permet de dépasser un débat crispé sur « l’originalité ». L’adaptation de la pièce de Bougeant à la situation du pays d’accueil répond parfaitement aux recommandations de Gottsched en matière de traduction et souligne bien la volonté d’assimilation et de « nationalisation » des modèles français3.

1 Sur l’ensemble des répertoires dont nous disposons, seule Elisabeth Mentzel signale une représentation par la troupe de Schuch à Francfort-sur-le-Main le 4 avril 1750 (Geschichte der Schauspielkunst in Frankfurt am

Main, Frankfurt/M, Völcker, 1882, p. 475 sq).

2 M. Grimberg, La Réception de la comédie française, p. 146. Voir également Roland Krebs, « L. A. V. Gottsched und die Vermittlung der französischen Komödie », in : M. Espagne und M. Midell (Hg.), Von der Elbe bis an die Seine, p. 90-104.

2.1.2.3.3. Corpus et typologie

Le corpus de cette étude est composé de l’ensemble des pièces produites en Allemagne entre 1741 et 1766 et identifiées en tant que « comédie » (Lustspiel). Cette dénomination commune n’exclut pas une grande diversité des œuvres, qui vont de la comédie plus ou moins farcesque de Uhlich à la comédie touchante de Gellert. Certaines répondent plus à notre perspective que d’autres, mais il nous a semblé indispensable de toutes les prendre en compte afin d’avoir une vue d’ensemble de la période. Ce corpus représente donc quarante-deux pièces (ainsi que plusieurs fragments) de treize auteurs différents1. Nous fixons le terme de notre étude en 1766, car l’année suivante marque une étape décisive dans l’histoire du théâtre et de la comédie : elle voit les premières représentations et la publication de Minna von Barnhelm ainsi que la fondation du Théâtre National de Hambourg. Ces deux éléments modifient le paysage dramatique et marquent la fin d’une époque, l’aboutissement de la première phase de développement du théâtre allemand moderne. Il ne nous semblait pas pertinent d’intégrer à notre réflexion le cas de la grande comédie de Lessing. L’entreprise eut été d’une part peu innovante compte tenu des nombreuses études déjà réalisées à ce sujet, et d’autre part, c’est bien en 1766 que paraît la dernière comédie relevant du genre satirique qui a donné le ton depuis 1740 : il s’agit de L’Homme à grands projets (Der Projektmacher) de Christian Felix Weiβe.

Tous les critiques qui se sont intéressés à la comédie allemande des Lumières ont proposé leur typologie, en s’appuyant souvent chacun sur des critères différents. Ainsi H. Friederici envisage-t-il ses distinctions sous l’angle de la construction dramatique2, ce qui le conduit à déterminer trois types :

1) la simple opposition entre deux camps, l’un vertueux et l’autre vicieux.

2) la même opposition, avec cette fois un personnage « enjeu » de l’influence, qui passe du camp du vice au camp de la vertu.

3) la comédie de caractère, où un personnage asocial s’oppose à tous les autres.

1 Trois comédies, que nous évoquerons à l’occasion, ne font cependant pas partie de notre corpus, car nous n’avons malheureusement pas pu y avoir accès ou les consulter dans le texte orginal. Il s’agit de la comédie anonyme de L’Avare gentilhomme (Der adeliche Knicker), du Maure de A. G. Uhlich (Der Mohr) et du

Naturaliste de C. F. Weiβe (Der Naturaliensammler).

Mais H. Friederici a du mal à y intégrer un certain nombre de comédies, comme celles de Gellert, ou encore Les Candidats (Die Candidaten) de Krüger, Les Huîtres (Die Austern) de Quistorp et Le Fâcheux (Der Unerträgliche) de Mylius1.

Horst Steinmetz se fonde lui aussi sur la structure dramatique et aboutit à une distinction entre comédie « binomique » et comédie « monomique ». La première est dite « binomique » car elle allie la critique morale à la critique sociale. Elle poursuit un double objectif : la satire d’un vice (symbolisé par le protagoniste) et celle d’un dérèglement de la société (représenté par un groupe de personnages, présents ou évoqués). Les personnages positifs, simples contre-exemples, y ont pour fonction de démasquer le vice. La seconde est dite « monomique », car elle se concentre sur une cible unique : un personnage affublé d’un vice qui détone par rapport à son environnement raisonnable. Enfin la comédie