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La réforme gottschédienne et les modèles français

2.3. Les auteurs comiques allemands et leurs modèles français

2.3.1. Le fonds commun : omniprésence du théâtre français et pratique de la traduction

2.3.1.2. La comédie française sur scène

2.3.1.2.1. Les théâtres de cour

Nous avons déjà évoqué les spectacles de cour et l’engagement de troupes françaises en Allemagne. Cette pratique connaît son apogée entre 1730 et 1765 : Hanovre, Munich, Dresde, Berlin, Stuttgart, Mannheim, Bayreuth, Vienne et Kassel entretiennent un théâtre français, de façon plus ou moins interrompue au gré des finances et du goût des Princes. On voit même des célébrités parisiennes venir se produire en Allemagne2. La guerre de sept ans (1756-63) sonne le glas de ces scènes françaises : aux finances réduites et à l’image profondément négative de l’envahisseur français s’ajoutent la prise de conscience croissante de la bourgeoisie et son engagement pour une littérature nationale.

Les comédiens ne jouent pas toujours exclusivement pour les cours, mais ont aussi parfois l’autorisation de se produire en ville. Ainsi, les détails du contrat de 1706 entre le roi de Prusse Frédéric Ier et la troupe française qu’il engage précisent les modalités de ce partage entre cour et ville. Ces conditions particulières sont sans doute dictées par des motifs financiers : permettre à la troupe de jouer pour son propre compte est un moyen de la payer moins. Mais ces arrangements ne peuvent être valables que dans une grande ville où le public bourgeois est assez cultivé et maîtrise suffisamment le français pour prendre de l’intérêt à ce type de spectacles. Le succès n’est du reste pas vraiment à la hauteur des espérances. La troupe française de Mannheim, qui joue au Kaufhaus entre 1730 et 1748, illustre un autre cas de figure. Elle est certes entretenue par la haute noblesse, mais tous les habitants peuvent assister aux représentations, moyennant contribution. Il en va de même à

1 Cf. M. Grimberg, La Réception de la comédie française, p. 35 et Frédéric Barbier, « Der französische Buchhandel und Leipzig zwischen 1700 und ca. 1830 », in : Michel Espagne und Matthias Middel (Hg.), Von

der Elbe bis an die Seine. Kulturtransfert zwischen Sachsen und Frankreich im 18. und 19. Jahrhundert,

Leipzig, 1993, p. 257-275.

2 Cf. M. Steltz, Geschichte und Spielplan der französischen Theater, p. 163, et H. Kindermann,

Vienne pour le Burgtheater. Ces exemples restent cependant rares, et les spectacles de cour gardent pour lors leur caractère exclusif.1

Le répertoire des troupes françaises auprès des cours allemandes est dicté par deux impératifs : divertir le public aristocratique en respectant ses goûts et proposer assez de renouvellement pour éviter de le lasser, compte tenu de la fréquence des représentations (en général deux par semaine). Il faut varier les spectacles sur le mode comique, ce qui fait de ces troupes de grandes consommatrices de pièces, parfois peu exigeantes sur la qualité.

À partir des années 1750, la réception sur les théâtres de cour, qui ne nécessite pas de travail de traduction, est presque immédiate. On traduit et représente presque tout ce qui est créé sur les scènes parisiennes. Les nouvelles pièces françaises arrivent sur les planches allemandes en un temps record. Voltaire représente un cas à la fois exceptionnel et pourtant significatif : la renommée dont il jouit en Allemagne et son séjour prolongé outre-Rhin lui attirent de nombreuses sympathies chez les Princes. Elles se traduisent par des correspondances et des échanges littéraires, notamment avec le Pince Électeur du Palatinat Charles-Théodore, à qui Voltaire donne la primeur de deux de ses tragédies, L’Orphelin de la Chine et Olympie, créées respectivement à Mannheim en août 1755 et à Schwetzingen le 30 septembre 17622.

On peut cependant se demander quelle fut la véritable portée de cette pratique pour la réception de la comédie française en Allemagne. Ne risque-t-on pas de lui accorder une importance qu’elle n’a qu’au sein d’une classe sociale et d’un milieu très particulier ? Car malgré la possibilité pour le bourgeois d’assister parfois aux représentations, ces spectacles restent dans leur grande majorité réservés à la cour. Tout en gardant à l’esprit ces considérations, on peut cependant observer que les résidences sont des centres de transferts culturels qui participent à l’éducation du public et à la mise en place de standards internationaux, notamment en matière d’art dramatique3. Ces phénomènes de transferts sont ici de l’ordre de la pratique bien plus que de la théorie. Ils découlent d’une atmosphère, d’un état d’esprit de la cour et des milieux qui la fréquentent, qui se propagent progressivement au sein de cercles de population plus larges.

1 Cf. M. Steltz, Geschichte und Spielplan der französischen Theater, p. 60-63 et p. 110 ; J.-J. Olivier,Les Comédiens français, t. 1, p. 11-45 ; F. Hadamowsky, Wien, Theatergeschichte, p. 204 et U. Daniel, Hoftheater, p. 96.

2 Cf. M. Steltz, Geschichte und Spielplan der französischen Theater, p. 113-118 et J.-J. Olivier, Les Comédiens français, t. 1, p. 39-43.

2.3.1.2.2. Les troupes françaises indépendantes

Il existe en outre des troupes de comédiens français qui cherchent leur bonheur en Allemagne de façon indépendante, sans le soutien d’un contrat avec une cour. Une troupe française et italienne joue avec succès à Hambourg de juin à octobre 1746 et de janvier à février 1747 :

La langue et le ton français étaient déjà appréciés à Hambourg, comme dans le reste de l’Allemagne d’ailleurs ; c’était en sorte devenu l’usage et le ton à la mode. On y fit bon accueil aux comédiens français, comme à tout ce qui est étranger.1

Cette remarque de J. F. Schütze n’est pas sans arrière-pensée, et souligne en filigrane l’aliénation des Allemands et leur engouement pour une culture qui n’est pas la leur. Une autre compagnie, celle de Bigottini, se produit d’octobre 1753 à mars 17542. En dehors du cadre de cour, un théâtre fixe français n’est certes pas viable, mais les théâtres ambulants ne font donc pas forcément mauvaise recette, selon les villes où ils se produisent. À Francfort-sur-le-Main, la troupe de Jean-Baptiste Gherardi joue pendant toute la durée de la diète d’élection en 1741-1742. La forte présence française due à l’ambassade du maréchal de Belle-Isle et l’engouement pour la France permettent aux comédiens français de s’installer durablement, et même de faire face à la concurrence de la troupe allemande de Wallerotty. L’occupation française pendant la guerre de sept ans ramène à Francfort le théâtre français, très prisé des officiers mais aussi des habitants de la ville. Deux troupes se succèdent, de 1759-1763, jouant en grande majorité des comédies et bien souvent des nouveautés parisiennes3. Hormis les répertoires de Francfort, plutôt bien conservés, il ne reste malheureusement que peu d’indications sur les pièces jouées par les autres troupes françaises dans les pays germaniques4.

2.3.1.2.3. Les troupes allemandes

Le phénomène de réception est d’autant plus favorisé que l’omniprésence des troupes françaises, fortes de leur audience et de leur succès auprès des cours, diffuse auprès des troupes ambulantes allemandes le style de jeu et le répertoire de la Comédie-Française. En

1 « Französische Sprache und Ton waren schon in Hamburg wie in Deutschland überhaupt beliebt und gewissermassen Modesitte und Modeton geworden. Die französischen Komödianten fanden, wie alles Fremde, auch hier Beifall. » J. F. Schütze, Hamburgische Theatergeschichte, p. 69.

2 Ibid., p. 278 sq.

3 Cf. B. Strauss, La Culture française à Francfort au XVIIIe siècle, p. 29-70.

4 Les sections « Desiderata » de la bibliographie de R. Meyer, qui signalent souvent des passages de troupes françaises, témoignent amplement des lacunes documentaires. Les représentations identifiées sont présentées dans le tableau publié en annexe, p. 943-1019.

effet, comme le souligne très justement Michael Steltz, l’orientation vers un théâtre « à la française » n’est pas simplement le fait de quelques idéalistes en mal de pièces régulières. Elle ne peut se comprendre que si l’on prend également en considération la pratique et les conditions économiques de l’époque. Les troupes allemandes voient avec envie la position des comédiens français, engagés par contrats, à salaires fixes et libérés (pour un temps) des avanies de la vie ambulante et des chicanes des autorités. Si elles accueillent un répertoire purifié français ou à la française, c’est aussi dans l’espoir – déçu – de bénéficier de la même faveur auprès des Princes1. L’entreprise de la Neuberin s’inscrit pleinement dans cet horizon : sa troupe s’essaye même à des représentations en français2.

Cependant, il est bien évident que la réforme de Gottsched a une influence non négligeable sur le répertoire des troupes allemandes et contribue sans nul doute à la faveur dont jouit la comédie française. En effet, le professeur ne se contente pas d’exposer ses idées sur le papier mais souhaite aussi les promouvoir sur scène. Il va donc à la rencontre des praticiens du théâtre et commence sa collaboration avec Caroline Neuber dès 17273, sur la base d’une communauté d’objectifs : la réhabilitation de l’art dramatique et des comédiens, et la promotion du théâtre régulier et du bon goût sur les scènes allemandes. Lors du séjour de la Neuberin à Hambourg en 1735, les pièces françaises représentent plus de 60 % du répertoire et 70 % des représentations. À elles seules, les comédies françaises assurent plus de la moitié des représentations.

1 Cf. M. Steltz, Geschichte und Spielplan der französischen Theater, p. 166 sq et Wilfried Barner et alii,

Lessing, Epoche – Werk – Wirkung, München, Beck, 6. Aufl., 1998, p. 78 sq.

2 Comme celle d’Arcagambis, tragédie burlesque du Théâtre Italien (1726), jouée à deux reprises à Hambourg en 1735 (cf. F. J. von Reden-Esbeck, Caroline Neuber und ihre Zeitgenossen, p. 107 sq).

3 Cf. H. Kindermann, Theatergeschichte, Bd. 4, p. 479-500 et Ruedi Graf, « Der Professor und die Komödiantin. Zum Spannungsverhältnis von Gottscheds Theaterreform und Schaubühne », in : B. Rudin et M. Schulz (Hg.), Vernunft und Sinnlichkeit, p. 125-144. Avec la troupe de la Neuberin, Gottsched trouve un auxiliaire précieux qui transpose la réforme de la plume à la scène. Mais la réalisation du projet se heurte aux goûts du public et ne va pas sans difficultés, financières et personnelles. Après les premières brouilles avec les Neuber en 1739, Gottsched se tourne vers la troupe de Schönemann, puis de son successeur Koch. La rupture définitive avec ce dernier en 1752 marque la fin de l’engagement pratique du Professeur.

comédies allemandes 20% tragédies allemandes 6% tragédies françaises 13% tragédies italiennes 2% comédies italiennes 2% comédies françaises 57%

Figure 1: Représentations de la troupe de Caroline Neuber à Hambourg en 1735.

On peut observer dès 1741 une légère progression de la comédie allemande au répertoire de la Neuberin, mais les pièces françaises continuent de fournir l’essentiel des spectacles. Cette proportion est à peine moindre pour les autres grandes troupes. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’arrivée de pièces originales allemandes « régulières » ne réduit pas significativement ces chiffres, au contraire : les progrès de la réforme et l’augmentation de l’offre en matière de traductions françaises favorisent l’arrivée sur la scène de nouveaux auteurs et de nouvelles pièces étrangères, au détriment de la production nationale. L’évolution du répertoire de la troupe de Schönemann en est un exemple frappant. Le répertoire de 1741, relativement réduit (26 pièces principales), reflète assez bien la transition qui s’opère entre la pratique traditionnelle et le mouvement de réforme : on y trouve encore des pièces proches des Haupt- und Staatsactionen (les « Schauspiele »), quelques comédies allemandes et de nombreux baissers de rideau (Nachspiele, 18 pièces), ainsi que cinq tragédies et cinq comédies françaises :

tragédies allemandes 17% tragédies françaises 17% comédies allemandes 36% Schauspiele 9% comédies françaises 15% comédies danoises 6%

Figure 2: Représentations de la troupe de J. F. Schönemann en 1741 à Hambourg1.

Mais la proportion des comédies françaises ne tarde pas à augmenter fortement, jusqu’à atteindre 65 % en 1756 : comédies danoises 6% comédies anglaises 1% Schauspiele 2% comédies allemandes 26% tragédies allemandes 7% comédies françaises 44% tragédies françaises 14%

Figure 3: Représentations de la troupe de J. F. Schönemann en 1747 à Hambourg.

1 Graphiques établis d’après Hans Devrient, J. F. Schönemann und seine Schauspielergesellschaft, Hamburg und Leipzig, Voss, 1895. Pour l’ensemble des données statistiques sur les répertoires des troupes, se reporter aux graphiques présentés en annexe.

drames français 4% comédies danoises 4% tragédies anglaises 4% comédies allemandes 14% tragédies allemandes 4% comédies françaises 65% tragédies françaises 5%

Figure 4: Représentations de J. F. Schönemann en 1756 à Hambourg.

Un prologue de Koch datant de 1753 nous renseigne sur le point de vue du directeur : après avoir rappelé la situation déplorable de la scène allemande quelques années auparavant, il évoque le rôle déterminant de la France dans l’éducation du goût :

On lisait les modèles romains, mais sans les comprendre ; / On ne trouvait pas le Beau comme la France savait le trouver. / Le grand esprit des Anciens animait Molière, / il a fallu qu’il instruise d’abord la France, puis que la France instruise l’Allemagne. / Et depuis quelques temps, nombre de chef-d’œuvres / qui plaisent à Paris font aussi le bonheur des scènes allemandes.1

La place occupée par la comédie française dans le répertoire de Koch dans les années 1750-1752 est effectivement très importante : elle constitue les deux tiers des représentations, soit à peu près ce que l’on observe chez Schönemann. Il ne faut pas oublier que Koch est lui-même traducteur de Regnard (Démocrite), Destouches (Le Philosophe marié) ou encore Voltaire (L’Enfant prodigue)2. Après avoir débuté dans la troupe de la Neuberin, il fait en grande partie siennes les ambitions réformatrices de

1 « Man las die Muster Roms, allein mit Unverstand, / das Schöne fand man nicht, so wie es Frankreich fand. / Der Alten groβer Geist belebte Molieren, / der muβte Frankreich erst, dann Frankreich Deutschland lehren. / Und seit geraumer Zeit macht manches Meisterstück, / das in Paris gefällt, auch deutscher Bühnen Glück. » Heinrich Gottfried Koch, cité par Heinrich Blümner,Geschichte des Theaters in Leipzig. Von dessen ersten Spuren bis auf die neueste Zeit, Leipzig, Brockhaus, 1818, Reprint Zentralantiquariat der DDR, Leipzig,

1979, p. 93 sq.

Gottsched ; lui aussi voit dans le théâtre une école des bonnes mœurs et encourage la production allemande. Mais son répertoire n’en reste pas moins dominé par des pièces étrangères, manifestement par manque de bons originaux allemands.

Bien que la prolifération des traductions et de leurs représentations n’ait pas été l’objectif de Gottsched, bien au contraire, il a souvent été accusé d’avoir ouvert la boîte de Pandore en recommandant l’imitation des Français et en encourageant les traductions. Ce phénomène n’est pourtant pas uniquement à mettre au compte des effets néfastes que sa théorie a pu induire, et plusieurs facteurs concourent à l’expliquer tout au long du siècle. En effet, si le rôle des premières traductions a bien été de pallier l’indigence quantitative et qualitative du répertoire allemand, il n’en va plus de même dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La production nationale augmente, sans que la part des traductions dans les répertoires ne faiblisse, bien au contraire. Il est vrai que le nombre de troupes augmente au cours du siècle : par conséquent, la demande de pièces croît fortement, et il faut bien fournir aux acteurs de quoi divertir le public. Mais le besoin n’est pas uniquement quantitatif : en théorie, dès les années 1770, les œuvres originales sont amplement suffisantes à l’approvisionnement des troupes. Pourtant, les directeurs des grands théâtres restent attachés aux œuvres étrangères. Elles ne sont plus considérées comme des modèles, mais simplement comme des manifestations du goût des autres nations. En cela, elles répondent à une attente des spectateurs, dont l’intérêt pour les productions étrangères reste vif. Le théâtre s’impose comme l’un des principaux lieux de transferts culturels, et se veut dans la mesure du possible le reflet de la vie culturelle européenne. La fonction des traductions doit être également considérée dans cette perspective positive de choix délibéré : l’internationalité des répertoires n’est pas uniquement une orientation par défaut, imposée par l’absence de pièces originales1.

On peut cependant se demander si dans un premier temps, pour la période qui nous intéresse, l’introduction du théâtre français sur la scène allemande a bien produit les effets escomptés de purification et d’incitation à la production. Car ce n’est effectivement qu’au prix d’une dépendance quasi totale aux traductions françaises que certains répertoires peuvent être qualifiés de réguliers. En outre, la présence massive du théâtre français – et plus particulièrement du genre comique – se révèle sans doute être plus écrasante que

1 Cf. Thorsten Unger, « Das Klischee vom Mangel an deutschen Stücken. Ein Diskussionsbeitrag zur Internationalität des Hof- und Nationaltheaters », in : Anke Detken et alii (Hg.), Theaterinstitution und

Kulturtransfert II. Fremdkulturelles Repertoire am Gothaer Hoftheater und an anderen Bühnen, Tübingen,

stimulante. C’est en tout cas ce que déploraient bon nombre de contemporains, et pour subjectif qu’il soit, leur jugement reste essentiel pour saisir leur démarche et comprendre leur rapport aux modèles français. Dès 1746, Schlegel observe ainsi que :

Le théâtre est le champ principal et la meilleure occasion que les esprits intelligents d’une nation ont pour s’exercer ; par conséquent, il ne faut pas que des œuvres étrangères l’occupent à tel point qu’elles prennent la place des œuvres nationales.1

Pour Herder, introduites sur un théâtre qui n’avait pas encore de vraie comédie, les pièces françaises ont certes contribué à « former le goût des spectateurs, mais elles ont aussi réprimé le génie comique des écrivains allemands »2. Jakob Mauvillon va plus loin dans ses affirmations et accuse les traductions d’être à l’origine de l’imperfection de la scène allemande :

On ne jouait presque que des traductions. […] C’est véritablement la source de tous nos malheurs. […] Si on montre à la nation des pièces qui sont meilleures que les siennes, elle acquiert alors un goût qui n’est pas le sien. Le génie ne se forme que progressivement au sein d’une nation. Garnier a formé Rotrou, et Rotrou Corneille […] Mais si l’on montre des traductions de bonnes pièces dans un pays où la scène n’a pas encore atteint sa pleine maturité, il en va alors comme des fruits que l’on veut faire mûrir par force : ils se gâtent et n’ont ni saveur ni vigueur.3

Lessing exprime exactement la même idée dans la préface à l’édition de ses comédies4. Il semblerait donc que cette orientation du répertoire et de la critique pèserait sur la production originale. Déclencherait-elle une sorte d’inhibition des auteurs allemands, condamnés à se fondre dans un moule certes familier mais tout de même étranger ? Ou inciterait-elle à produire sur ce modèle puisque c’est lui qui est joué, qui est approuvé, diffusé ? C’est ce que nous verrons dans une seconde partie.

1 « Das Theater ist allemal das vornehmste Feld und die bequemste Gelegenheit, wo die witzigen Kopfe einer Nation sich üben können ; man muβ es also nicht so dicht mit ausländischen Arbeiten besetzen, daβ den einheimischen der Platz benommen wird. » J. E. Schlegel, Gedanken, p. 297.

2 « Unser Theater hatte noch gar keine Komödie ; plötzlich wurden die französischen Muster hervorgeführt : sie bildeten den Geschmack der Zuschauer ohnstreitig, allein sie unterdrückten auch das komische Genie deutscher Schriftsteller. » Johann Gottfried Herder, Haben wir eine französische Bühne ?, in : Schriften zur

Literatur, Über die neuere deutsche Literatur, Fragmente, Berlin, Aufbau Verlag, 1985, p. 545.

3 « Man [spielte] fast lauter Uebersetzungen. […] Das ist wirklich der Ursprung alles Unheils bey uns. […] Wenn man […] der Nation Stücke zeigt, die besser sind, als ihre eigene, so bekömmt sie einen Geschmack, der nicht der ihrige ist. Das Genie aber bildet sich in einer Nation nach und nach. Garnier bildet Rotrou, und Rotrou Corneille […]. Wenn man aber Uebersetzungen guter Stücke in einem Lande zeigt, wo die Bühne noch nicht zu der Vollkommenheit reif geworden ist, so geht es, wie mit den Früchten, die man mit Gewalt zur Reife bringen will, sie verderben und haben weder Saft noch Kraft. » Jakob Mauvillon, Freundschaftliche

Erinnerungen an die Kochsche Schauspieler=Gesellschaft, bey Gelegenheit des Hausvaters des Herrn Diderots, Frankfurt und Leipzig, 1766, p. 20 sq.

4 Cf. G. E. Lessings Schriften, Dritter Teil, Vorrede, in : Werke, hrsg. von Herbert G. Göpfert, 8. Bde., München, Carl Hanser Verlag, 1972, Bd. 3, p. 524.

Quelles sont donc ces comédies françaises qui accaparent le répertoire des troupes