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La réforme gottschédienne et les modèles français

2.1.2. La célèbre « recette » gottschédienne de la bonne comédie et ses applications

2.1.2.1. Comment composer une comédie

Choisir tout d’abord un principe moral édifiant – sur lequel doit se fonder tout le poème –, selon la nature des objectifs que l’on souhaite atteindre. Imaginer ensuite un événement très général, dans lequel se déroule une action à l’occasion de laquelle le principe choisi se manifeste très clairement.2

Voici pour les instructions communes à toutes les formes poétiques, instructions précisées par la suite dans les chapitres correspondants à chaque genre particulier. Dans le

1 « Sie sey die Erzählung einer unter gewissen Umständen mögliche, aber nicht wirklich vorgefallenen Begebenheit, darunter eine nützliche moralische Wahrheit verborgen liegt. » Johann Christoph Gottsched,

Versuch einer Critischen Dichtkunst, in : Ausgewählte Werke, hrsg. von P. M. Mitchell, 12 Bde., Berlin,

Walter de Gruyter, 1968-1987, Bd. VI/1, p. 204 (par la suite, cité CD suivi de la référence du volume).

2 « Zu allererst wähle man sich einen lehrreichen moralischen Satz, der in dem ganzen Gedichte zum Grunde liegen soll, nach Beschaffenheit der Absichten, die man sich zu erlangen vorgenommen. Hierzu ersinne man sich eine ganz allgemeine Begebenheit, worin eine Handlung vorkommt, daran dieser erwählte Lehrsatz sehr augenscheinlich in die Sinne fällt. » CD, Bd. VI/1, p. 215.

cas de la comédie, la définition générale proposée par Gottsched reprend clairement les fondements évoqués plus haut :

La comédie n’est rien d’autre qu’une imitation d’une action immorale, dont le ridicule peut divertir le spectateur mais aussi en même temps l’édifier.1

Principe moral et principe satirique vont de pair : la comédie, c’est la mise en lumière du ridicule d’un comportement « immoral », ou plutôt « défectueux » (lasterhaft), au sens où il résulte d’un vice ou d’un travers, vice qu’il s’agit de discréditer auprès du spectateur. Les « défauts graves » sont l’affaire des lois et de la religion, la comédie, elle, s’occupe de « corriger les travers ridicules des hommes »2.

Les recommandations formelles sont pour leur part directement issues des poétiques antiques et des remarques de leurs commentateurs de la Renaissance : tout comme le genre noble de la tragédie, la comédie doit respecter la règle des trois unités, elle doit s’organiser en cinq actes et le découpage des scènes se fait en fonction de l’entrée et de la sortie des personnages3. Répondant au principe d’imitation de la nature, la langue et le style doivent être naturels, c’est-à-dire en accord avec les situations et les personnages représentés, mais toujours dans les limites de la bienséance4. Le problème de la forme – vers ou prose – fait à l’époque l’objet d’un vif débat5. Gottsched se prononce plutôt en faveur de la prose dans la comédie, au nom du principe de vraisemblance. De même, ce principe condamne toute forme d’aparté ou de monologue, qui brise l’illusion théâtrale6. Le mélange des genres est fermement écarté. Enfin, la clause des conditions sociales (Ständeklausel) définit le cadre de la comédie : les personnages qu’elle met en scène sont ceux de la bourgeoisie, voire de la petite noblesse, mais pas au-delà7. Ceux qui touchent à la sphère du pouvoir, dans une société absolutiste fortement hiérarchisée, ne sont pas une cible satirique autorisée. Le personnel de la comédie est aussi limité vers le bas de l’échelle, mais pour d’autres raisons : le petit peuple n’a pas sa place sur scène, car il ne correspond pas à l’idéal que le

1 « Die Komödie ist nichts anders als eine Nachahmung einer lasterhaften Handlung, die durch ihr lächerliches Wesen den Zuschauer belustigen, aber auch zugleich erbauen kann. » CD, Bd. VI/2, p. 348.

2 « Die Komödie will nicht grobe Laster, sondern lächerliche Fehler der Menschen verbessern. » CD, Bd. VI/3, p. 139.

3 CD, Bd. VI/2, p. 352 sq.

4 CD, Bd. VI/2, p. 356 ; cf. infra, p. 319 sq.

5 Cf. infra, p. 206-208.

6 Cf. CD, Bd. VI/2, p. 353.

7 « Die Personen, so zur Komödie gehören, sind ordentliche Bürger oder doch Leute von mäβigem Stande. Nicht als wenn die Groβen dieser Welt etwa keine Torheiten zu begehen pflegten, die lächerlich wären : Nein, sondern weil es wider die Ehrerbietung läuft, die man ihnen schuldig ist, sie als auslachenswürdig vorzustellen. » CD, Bd. VI/2, p. 351. À propos du non-respect de cette norme, voir infra, p. 480.

théâtre doit propager. C’est sans doute aussi l’une des raisons pour lesquelles tout ce qui ressemble de près ou de loin aux personnages de bouffons est banni de la scène. Hanswurst est considéré comme le reflet du public de bas étage, celui qui se délecte de ses sorties ordurières et de ses appétits grossiers.

Gottsched est un ennemi acharné de toute improvisation, synonyme pour lui de débordements vulgaires préjudiciables aux bonnes mœurs. Il n’est dès lors pas étonnant que la Commedia dell’arte attire ses foudres : se ralliant à Louis Riccoboni, il affirme que « l’imitation des Italiens, qui jouent par improvisation, a été la cause de la ruine totale de notre théâtre »1. Il reprend à son compte la conclusion du critique italien, pour qui « la plupart des théâtres européens sont encore plus ou moins éloignés des bonnes mœurs et de la manière de s’exprimer à laquelle aspirent les honnêtes gens »2. Son effort en faveur de la littérarisation du texte est aussi pour lui un moyen de contrôler le contenu de la scène3. Il préconise de suivre en Allemagne l’exemple français qui veut que les pièces soient au préalable soumises à la censure, afin de veiller à leur moralité. Cela aurait aussi l’avantage – le rapport est intéressant à souligner – que « l’on ne jouerait plus de ramassis d’improvisations mais uniquement des pièces travaillées et apprises par cœur mot à mot »4. Texte écrit, qualité du jeu, utilité et bienséance sont autant d’éléments indissociables dans l’esprit du réformateur. Le souci de moralité et de purification conditionne et explique les autres exigences.

1 « Die Nachahmung der Welschen, aus dem Stegreife zu spielen, ist die Ursache des gänzlichen Verfalles unsrer Schaubühne gewesen. » Deutsche Schaubühne, hrsg. von J. C. Gottsched, 6 Bde., Leipzig 1741-1745, Deutsche Neudrucke, Reihe 18. Jahrhundert, hrsg. von Horst Steinmetz, Stuttgart, Metzler, 1972, Bd. 2, Vorrede (par la suite, cité DS suivi du numéro du volume).

2 « Alle miteinander von derjenigen guten Sittenlehre und Art des Ausdruckes noch mehr oder weniger entfernt sind, die von ehrbaren Leuten gewünschet wird. » Ibid.

3 Ce primat du texte est aussi une manière de conférer une certaine dignité à la comédie en la rapprochant des critères de la tragédie, genre noble par excellence dans la hiérarchie dramatique classique : la comédie peut ainsi accéder à un statut qu’elle ne risque pas d’obtenir si elle en reste aux farces semi improvisées (cf. Bernhard Greiner, Die Komödie, eine theatralische Sendung : Grundlagen und Interpretationen, Tübingen, 1992, p. 144 sq).

4 « Dadurch würde man auch den Vorteil erhalten, daβ keine aus dem Stegreife zusammengestoppelte, sondern lauter ausgearbeitete und von Wort zu Wort auswendig gelernte Stücke gespielet werden würden. »

DS 2, préface ; voir également Der Biedermann, 85. Stück, où il est souligné que dans la comédie régulière,

c’est l’auteur qui place les traits d’esprit dans la bouche des personnages, et leur ôte ainsi toute latitude d’improvisation bouffonne.