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organisationnelle et les stratégies collectives

4. La question de la stratégie collective dans les TPETPE

Le rapport qu’entretiennent les tpe et pme14avec ces concepts de stratégies et de stratégies collectives en particulier est paradoxal.

En premier lieu, du fait de leur petite taille, la décision stratégique est centralisée autour de la personne du dirigeant (Granata et Le Roy, 2014), ce qui façonnera la stratégie et les intentions stratégiques de façon particulière. La stratégie se formera de façon plus intuitive, les relations dans l’entreprise et le management se feront plus par contacts directs et informels, puisque le nombre de personnes parties prenantes est limité (à un nombre très restreint dans les exploitations agricoles). Pour reprendre la classification de Mintzberg et Waters (1985), développée plus haut, les stratégies sont alors plutôt de type entrepreneurial. En cela, elles sont aussi plus délicates à étudier : la planification n’est pas forcément écrite, elle est plus difficile à identifier et moins spécifique que pour une stratégie de type planifiée. Dans ce cas, on ne peut pas savoir si la stratégie est délibérée ou émergente. À l’opposé, dans le cas des tpe, il est moins problématique de parler de la « stratégie d’entreprise », de voir l’entreprise comme entité décidant, puisque l’entreprise est représentée par un nombre très limité d’individus. Les entreprises agricoles sont des tpe particulières (Coléno, 2013). Elles sont composées d’un nombre très limité d’individus, souvent — même si cela tend à s’estomper — d’un même foyer. La sphère privée est donc potentiellement plus importante dans la prise de décision des dirigeants, mais elle est aussi une ressource pour l’entreprise (de travail et de financement).

En second lieu, sans que cela soit généralisé et spécifique, les secteurs fragmentés sont plu-tôt composés de petites entreprises que les oligopoles, ce qui, nous l’avons vu, conduit à des stratégies collectives particulières avec la nécessité d’un acteur tiers. En outre, la petite taille des entreprises implique qu’elles seront plus contraintes à chercher des ressources à l’extérieur15, à coopérer. Cependant, pour Gueguen (2001), si des petites entreprises ont une capacité moindre à modifier leur environnement et ont plutôt tendance à le subir (déterminisme de l’environnement), leurs dirigeants pourront tout de même tenter de le modifier, dans une dé-marche volontariste. L’environnement modifié sera alors un environnement de proximité, sur lequel l’entreprise a une capacité d’intervention, ce qu’Astley et Fombrun (1983) appellent l’environnement social. Cela peut les conduire à coopérer.

Paradoxalement, nous avons vu que la coopétition peut être rendue plus difficile du fait de la taille des entreprises, qui est un frein à l’adoption des principes de séparation proposés par Bengtsson et Kock (1999) : le nombre de marchés des entreprises peut être plus limité et la possibilité de séparation des actions de coopération et de concurrence entre un nombre de personnes limité peut poser problème dans les tpe.

Les petites entreprises pourront être amenées à coopérer avec des grands groupes. Cette relation asymétrique a été largement étudiée dans le cas d’alliances asymétriques (Dussauge 14. La définition précise des seuils entre Très Petite Entreprise, Petite et Moyenne Entreprises et grandes entre-prises n’est pas d’une grande importance pour notre travail. Retenons le seuil de main-d’œuvre de la réglementation française : une tpe, ou microentreprise, est composée de moins de dix personnes, nous classerons donc dans cette catégorie les exploitations agricoles qui répondent à ce critère pour leur grande majorité, une pme moins de 250. 15. Il ne faut cependant pas postuler que la spécificité du management d’une pme est déterminée par sa taille, Torrès (1997) appelle anti-pme ces entreprises qui, malgré une petite taille, ne se comportent pas comme il pourrait être attendu d’une petite entreprise.

et al., 2000 ; Cheriet, 2009 ; Cherietet al., 2008), moins dans le cas des réseaux interorga-nisationnels ou de stratégies collectives de plus grand nombre. Ces réseaux portent souvent sur des stratégies collectives d’innovation. En effet, les stratégies collectives sont plutôt abordées comme moyen de créer la valeur plutôt que comme un moyen de la capter. Elles portent sur la communication, le partage d’information et la recherche et développement dans le cas du Lin (Yami, 2003). Les entreprises coopèrent dans le but d’obtenir une reconnaissance de la qualité de leurs produits, mais elles sont concurrentes sur leurs marchés dans le cas du syndicat du Pic Saint-Loup développé par Granata et Le Roy (2014). Le Roy (2003) s’intéresse à un problème d’approvisionnement dans le cas du poisson, mais se place dans la perspective de l’acheteur voulant sécuriser ses approvisionnements plutôt que dans la perspective du vendeur (que l’on peut supposer plus atomisé), qui réussit à mettre en place un prix minimum.

C’est en partie la capacité des stratégies collectives à capter la valeur, à créer un pouvoir pour un collectif de tpe, qui nous intéresse. Les petites entreprises (et nous verrons que c’est le cas pour le terrain qui nous intéresse des productions laitières) peuvent aussi être incitées à coopérer pour construire un pouvoir (ou contre-pouvoir) de marché avec leurs acheteurs ou fournisseurs s’ils sont plus concentrés, ceci pour capter la valeur. En effet, les petites entreprises, du fait de leur taille, sont plus classiquement contraintes à une relation commerciale déséquilibrée. Ce cas semble moins abordé. C’est une des plus-values attendues de notre recherche.

Ainsi, la tpe ou la pme, du fait de sa nature et sa place dans son environnement (souvent fragmenté), pourra être fortement incitée à participer à une stratégie collective, même si elle peut avoir une certaine difficulté à contribuer aux ressources nécessaires à son fonctionnement.

5. Conclusion

Ce chapitre nous a permis d’explorer la littérature portant sur les stratégies collectives et d’affi-ner notre positionnement théorique. Nous adhérons à la position de Mintzberg et Waters (1985), qui considère la stratégie dans ces deux dimensions de création d’objectif (l’intention) et d’action (la réalisation). Ce positionnement est cohérent avec notre positionnement concernant l’action collective : nous souhaitons aborder la stratégie en en analysant les motivations et les réalisations.

Nous voyons également deux modalités d’évaluation de l’efficacité stratégique. La première est l’efficacité économique : la stratégie mise en place a-t-elle été efficace d’un point de vue économique? Nous proposons d’analyser cette question au prisme de la capacité à capter ou créer de la valeur. La seconde est organisationnelle : les acteurs participants à la stratégie ont-ils réussi à s’organiser entre eux?

Cette dimension relationnelle nous a invités à explorer les dimensions collectives de la straté-gie. Des différentes stratégies collectives, nous retenons essentiellement la tension entre intérêts individuels et intérêts collectifs, qui se caractérise par les choix faits par les acteurs entre concur-rence et coopération et entre destin individuel et destin collectif. Nous retenons également que les formes de construction des stratégies collectives dépendent de la nature des acteurs en présence (faible nombre d’acteurs ou grand nombre d’acteurs, relations horizontales ou verti-cales) L’importance des petites entreprises dans le secteur laitier (les exploitations laitières) nous invite à nous intéresser particulièrement au cas où le nombre important d’acteurs les oblige à s’appuyer sur une structure collective, pour que la stratégie soit effective. Dans ce cas également,

nous devons porter une attention particulière à l’existence d’une asymétrie entre les acteurs qui fait qu’une catégorie d’acteurs dominants, ou un acteur dominant, peut imposer une stratégie (qu’il sera alors difficile d’appeler collective) à un autre ensemble d’acteurs. Ce cas nous importe particulièrement pour comprendre l’architecture de la relation entre les producteurs de lait et leurs acheteurs.

Cette conception de la stratégie collective nous demande, pour l’observer, de nous appuyer sur les témoignages de son existence, sur les artefacts qui permettent sa mise en action, et donc sur lesoutils de gestionet leur appropriation qui font l’objet de notre chapitre suivant. Nous nous intéressons en particulier aux outils de régulation de la stratégie collective constitués par les structures collectives communément appelées «acteurs tiers». Une analyse par les outils de gestion devra également embrasser la complexité des processus stratégiques et l’imbrication des différents niveaux de la stratégie collective. En regardant comment ces stratégies et outils sont construits, nous pourrons comprendre à qui celles-ci profitent et quels sont les acteurs qui les mettent en place.

Ce cadre d’analyse des outils de gestion est, comme nous allons le voir juste après, essentiel pour comprendre les outils de la stratégie collective (acteurs tiers, contrats...) et les intentions (stratégie impulsée, contrainte, émergente ou planifiée).

Chapitre 3.

Une analyse par l’appropriation des