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Historique du dispositif encadrant la transaction

1. Émergences de groupes d’acteurs

1.3. Création des interprofessions

Les interprofessions sont des outils particuliers, en ce sens qu’ils permettent la rencontre d’acteurs aux intérêts divergents sur le partage de la valeur (producteurs et transformateurs), et des intérêts pouvant converger sur des logiques de filières. Elles sont centrales dans la coordina-tion de la filière laitière et se sont construites dans la confrontacoordina-tion de stratégies et d’intérêts d’acteurs.

Les interprofessions naissent avec la volonté des producteurs de construire un pouvoir écono-mique. Dans la suite logique des syndicats de producteurs et des coopératives de vente, il semble

nécessaire de mettre en place des instances de discussion avec les industriels privés, débouchant sur la construction d’interprofessions départementales ou régionales (Hairy et Perraud, 1980). Les premières à voir le jour sont le centre interprofessionnel de Seine-Maritime en 1937, puis après-guerre dans divers départements (Ardennes et Meuse dans l’immédiat après-guerre, Alpes-Maritimes au début des années cinquante). Elles sont les outils de discussion entre les représentants des producteurs ou des coopératives de vente et leur acheteur. Si elles sont un lieu de rencontre et de discussion, elles n’ont permis que rarement d’aborder la fixation du prix à la production. Nous pouvons citer à ce sujet le cas de la Seine-et-Marne, où dès les années cinquante, un «prix interprofessionnel de Seine-et-Marne» est déterminé. On peut ainsi lire dans le contrat entre un syndicat de producteurs de lait et sa laiterie (La Briarde) que «Le prix du lait payé par la société laitière “La Briarde” sera le prix fixé par l’accord interprofessionnel de Seine-et-Marne». Pour Hairy et Perraud (1980), la réussite ou l’échec de ces formes d’organisation sont liés à la place des producteurs et de leur organisation économique dans les zones. Les industriels se voient ainsi contraints de constater l’organisation économique des producteurs et de participer à ces interprofessions, elles leur permettent également de « cana-liser des ardeurs revendicatives»(Hairy et Perraud, 1980, p 98). Outre ces revendications nécessairement contradictoires entre producteurs et industriels sur le partage de la valeur, les interprofessions sont aussi un lieu de discussion des problèmes techniques de filière, sur la qualité, mais également la logistique de la collecte.

Au contraire de ces organisations volontaires, une forme d’organisation corporatiste des filières est imposée sous le régime de Vichy. Elle conduit à la création en 1940 avec les Grou-pements Interprofessionnels Laitiers (gil) dans toutes les régions. Ceux-ci visent à gérer de façon autoritaire la répartition des producteurs entre laiteries, en créant ainsi des «zones de ramassage». Ils obligent également les producteurs à livrer la totalité du lait non nécessaire au besoin de l’exploitation. Les missions de ces gil sont reprises à la libération par le Service Provi-soire de l’Économie Laitière (spel), gérant la pénurie et fixant le prix. Ces missions sont petit à petit réduites, jusqu’à sa suppression en 1954, alors que le marché est redevenu excédentaire. Cependant, les objectifs de ces groupements (répartition de la collecte) ont pu être repris dans les interprofessions régionales qui ont suivi et qui se sont appuyées sur l’organisation qui avait été mise en place.

L’intérêt d’une interprofession nationale émerge au début des années soixante. Un premier outil est créé, l’Union interfédérale des producteurs, coopératives et industriels laitiers (upcil). C’est une structure de dialogue entre la fnpl, la fnil et la fncl. Elle avait pour objectif de défendre les intérêts de filière auprès des pouvoirs publics et de traiter des problèmes communs de la filière. La faible portée de cet outil (qui est seulement un outil de discussion entre les collèges de la filière) conduit la fnpl à porter une stratégie de création de «bureaux inter-professionnels», puis du cniel20dès la fin des années soixante. Le projet de la fnpl est de construire une interprofession ayant une délégation de pouvoir des tâches de régulation de marché incombant aux pouvoirs publics, mais également celle d’élaborer un prix garanti. Cette vision dirigiste de l’interprofession trouve des adversaires dans les syndicats des coopératives et des industriels privés : les membres des coopératives pensent qu’il est de leur ressort, en premier lieu, de renforcer le pouvoir économique des producteurs par l’organisation des marchés; les représentants des industriels, quant à eux, contestent la volonté de recherche de pouvoir

mique des producteurs et souhaitent conserver une organisation interprofessionnelle à pouvoir limité. Un compromis est trouvé avec les pouvoirs publics pour la constitution du cniel. L’objectif est bien celui d’une organisation de la filière, qui est régie par la contractualisation des accords interprofessionnels : les actions du cniel s’imposeront à l’ensemble de la filière par une «homologation» des accords par les pouvoirs publics. Les décisions se prennent à l’unanimité des trois collèges qui composent le cniel : fnpl, fnil et fncl. Ainsi, les trois familles peuvent fixer, à l’unanimité, des règles de gestion qui s’appliqueront à l’ensemble de la filière française. C’est la loi du 12 juillet 1974 «relative à l’organisation interprofessionnelle laitière» qui spécifie le fonctionnement du cniel et de l’«homologation» des accords. La loi donne également les moyens matériels au fonctionnement du cniel en lui permettant de prélever des cotisations obligatoires. Les missions du cniel seront très étendues, allant des actions techniques à la promotion. Nous verrons par la suite le rôle pris par le cniel dans l’élaboration des outils de régulation de la transaction du lait cru (sur la fixation des prix, mais également sur le contrôle de la qualité des laits). La volonté de la fnpl était essentiellement d’arriver à la création d’un outil de définition du «prix minimum» garanti contractuellement.

L’upcil envisage également, dès la fin des années soixante, la création d’interprofessions ré-gionales dans lesquelles siégeraient les représentants des fédérations de syndicats des industriels, des coopératives et des producteurs. Cette organisation permet aux instances de représentation nationales de conserver un contrôle sur les interprofessions. Ce sont les Centres Interprofes-sionnels Laitiers (cil). Leur création est rendue nécessaire pour la gestion des laboratoires interprofessionnels garantissant les analyses de qualité du lait permettant un paiement en fonc-tion de la qualité21. Cette organisation vise également, sous l’impulsion du cniel, à mettre en place, au niveau d’interprofessions régionales des systèmes de fixation du prix sur l’aire géographique d’action de l’interprofession.

1.4. Comités nationaux et offices, sociétés professionnelles

d’intervention : les outils d’une cogestion de la règle

En parallèle à cette organisation économique de la filière, il est mis en œuvre, avec les pouvoirs publics, des organisations ayant pour objet de gérer les moyens de régulation des marchés et d’autres organisations ayant un rôle consultatif sur les politiques à mettre en place. Dans le cas du lait, c’est la loi de 1935 qui instaure uncomité central du lait dans lequel siègent des représentants des producteurs, de l’industrie et de la distribution des produits laitiers. Après la Seconde Guerre mondiale, cet outil évolue et est remis en vigueur en 195322, puis mis en place en 195423sous le nom deComité national consultatif interprofessionnel du lait et des produits laitiers (cncil). Il est composé de représentants de la filière (fnsea, fnpl, cnja, fnil, fncl, commerçants ainsi que la mutualité agricole). Il a pour rôle d’étudier, de suggérer et de proposer toute mesure technique ou économique concernant la filière et d’émettre un avis aux questions qui lui seraient soumises par le ministre. Nous voyons donc ici la place, institutionnalisée, des représentants de la filière dans la construction de sa régulation publique.

21. Infra§ 2.3.5 «Définition du prix standard et des écarts par rapport au standard». 22. Décret no53-979 du 30 septembre 1953 «Lait et produits laitiers».

23. Décret no54-514 du 18 mai 1954 «relatif au comité national consultatif interprofessionnel du lait et des produits laitiers et au comité central du lait».

En outre, la société Interlait, créée en 1955 a pour objectif les achats et contrats de stockage des produits industriels laitiers prévu pour la régulation du marché. Elle est portée, comme cela est prévu par les pouvoirs publics24, par les fédérations des producteurs, des coopératives, des industriels privés et du commerce. Elle est cependant sous tutelle du ministère de l’Agriculture. Pour assurer le financement de cette mission d’assainissement du marché porté par l’Interlait est créé le Fonds d’Assainissement du Marché du Lait et des Produits laitiers, qui est fusionné avec celui des viandes et des céréales en 1960 pour former leFonds d’Orientation et de Régularisation des Marchés Agricoles(forma). Ce fonds est dirigé par les ministères et les représentants de la production et du commerce des produits agricoles. En 1983, les compétences du cncil et le forma sont transférés à l’Onilait, et celles de l’Interlait y sont intégrées progressivement. Onilait est intégré à FranceAgriMer en 2009. Onilait (puis FranceAgrimer) est un office créé en 198225, dans lequel siègent également au conseil de direction les représentants des acteurs de la filière. Il aura aussi pour mission la gestion du contingentement de la production laitière à partir de 1984.

Ainsi, depuis le milieu du xxesiècle, la régulation des marchés est cogérée entre pouvoirs publics et acteurs de la filière par trois organisations, regroupée par la suite dans l’onilait. La première, le cncil, a un rôle consultatif, la seconde, Interlait, a un rôle opérationnel, et la troisième, le forma a un rôle de financement. Il en ira de même pour la gestion des volumes dans un régime contingenté à partir de 1984, avec d’un côté la participation à la gestion au niveau national dans l’onilait, et l’élaboration des règles départementales dans les cdoa.

1.5. Bilan des outils de représentation construits et mobilisés