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Une analyse par l’appropriation des outils de gestion

3. Adaptation d’un cadre d’analyse des outils de gestiongestion

Fort de cette revue de littérature sur les outils de gestion, nous proposons un cadre d’analyse en articulation avec celui des stratégies collectives, avec une théorie englobante de l’action collective.

3.1. Articulation des outils, règles, et dispositifs

Nous pensons qu’outils, règles et dispositifs sont des éléments différents, mais qu’ils ne sont pas séparables, et sont étroitement articulés entre eux. Nous pourrons parler de l’un sans aborder l’autre, mais le lien de l’un à l’autre est toujours existant.

Ainsi, nous retiendrons une définition de l’outil proche de celle de Moisdon. Il s’agit de l’articulation de plusieurs données de l’organisation qui sont mises en commun. L’outil a donc bien le rôle de simplification du réel proposé par Hatchuel. Cette définition a une portée très large, dans l’objet d’étude qui nous intéresse. L’outil pourra donc être une modalité de calcul du prix du lait, un compte rendu de réunion...

Il s’articule avec des rapports de prescriptions. L’outil, par le calcul, permet la simplification du réel, mais il s’accompagne de la construction de rapports de prescriptions, de règles, qui contraignent et permettent l’action, en lien avec cette articulation du réel. La règle ou les rapports de prescription constituent donc la mise en œuvre de l’une des composantes de l’outil selon Hatchuel : la vision gestionnaire.

D’autre part, il s’intègre dans des objets plus larges, les dispositifs, qui sont des agencements d’outils et d’acteurs, dont la visée initiale est stratégique.

Enfin, il est important d’aborder les classes d’outils qui échappent au contrôle des acteurs ou qui s’imposent à eux. Ainsi, les machines seront des dispositifs devenus autonomes des acteurs. Les routines seront des outils dont l’utilisation s’est automatisée à tel point qu’il devient difficile de les remettre en cause. Les normes seront des outils qui s’imposent à l’organisation, parce que les savoirs des acteurs font qu’ils sont considérés comme nécessaires ou qu’ils sont rendus obligatoires par des rapports de prescription.

3.2. Relation outil/acteurs

Nous distinguerons plusieurs types d’acteurs en contact avec les outils de gestion. La relation de l’acteur à l’outil pourra évoluer dans le temps, et en fonction du point de vue qu’on aura sur l’outil. Aussi, si nous parlons d’acteurs, il faudrait plutôt envisager ces catégories d’acteurs comme des catégories d’action, puisque ces actions ne sont pas forcément distribuées entre des acteurs différents. Nous distinguons :

— Les concepteurs : ce sont ceux qui ont l’idée de l’outil, ceux qui en proposent l’utilisation. Nous avons vu plus haut que le concepteur de l’outil pouvait être extérieur à l’organisation qui l’utilisera. C’est le cas des outils apportés par des disciplines scientifiques se voulant porteuses d’une visée normative qui devrait permettre d’améliorer l’action managériale. Leur activité consiste donc à construire une connaissance qui sera la base de l’outil de gestion.

— Les promoteurs/prescripteurs : nous qualifions de promoteurs les acteurs qui diffusent la connaissance/le savoir sur les outils de gestion pour permettre leur utilisation. — Les implémenteurs : nous qualifions d’implémenteurs les acteurs qui auront pour rôle

d’initier l’utilisation de l’outil dans l’organisation : ce sont eux qui font le constat du besoin d’un nouvel outil, du fait de l’évolution de leurs savoirs.

— Les utilisateurs de plusieurs natures : ceux qui font la mesure, ceux qui utilisent la mesure dans un objectif de gestion.

— Les acteurs objets : ce sont les acteurs dont l’action est l’objet de la mesure et du calcul de l’outil de gestion.

Dans le cycle de vie de l’outil, les acteurs pourront changer de catégories, ou être dans plusieurs catégories simultanément.

Cette distinction de classe d’acteurs nous paraissait pertinente pour qualifier le degré d’impli-cation des acteurs vis-à-vis de l’outil. Nous pourrions proposer deux gradients d’implid’impli-cations, de la formation de l’outil (comment l’acteur influence-t-il le fonctionnement de l’outil) et d’apprentissage (comment l’acteur apprend-il au travers de l’outil).

Ces distinctions sont très importantes pour notre cadre d’analyse qui s’appuiera sur l’im-plication des acteurs : la visée stratégique pourra être de contraindre le comportement d’une

catégorie d’acteurs, ou de libérer son action grâce à l’outil. Dans le même temps, l’implication dans l’appropriation de l’outil peut témoigner de la stratégie mise en place.

3.3. Au sujet de l’apprentissage et des rationalisations

L’outil a un statut ambigu vis-à-vis de l’apprentissage et des connaissances. En effet, nous l’avons vu, l’outil pourra modifier les connaissances des acteurs avec lesquels il entre en contact, dans un processus d’appropriation. En même temps, ce sont les connaissances (celles précédem-ment citées ou d’autres) qui permettent la conception de l’outil, et aussi sa légitimation.

L’outil repose sur des savoirs qui servent de rationalisation5. En reprenant la définition de l’outil de Hatchuel, ces connaissances devront porter sur les trois composantes de l’outil et répondre à ces trois questions :

— Comment procède-t-on au calcul? Comment met-on les valeurs en relation? Quelle est la pertinence de cette mise en relation? Cette question renvoie à la composante «artefact» de l’outil.

— Comment fonctionne l’organisation? Cette question renvoie à la composante «vision simplifiée de l’organisation» de l’outil. Il faut prendre ici le fonctionnement de l’organi-sation au sens large : c’est de la vision de l’acteur qu’il est ici question, le fonctionnement de l’organisation pourra porter sur une vision de son fonctionnement interne, mais aussi de ses liens avec son environnement, d’idées sur ses évolutions (passées et futures). — Que doit apporter l’outil? Cette question renvoie à la composante «philosophie

gestion-naire» de l’outil.

3.4. Cycle de vie des outils de gestion

Même si nous pensons qu’il n’est pas pertinent de séparer (dans le temps et dans l’espace, dans l’usage des connaissances et dans les rapports de prescriptions entre acteurs) la conception et l’usage des outils de gestion, il n’en est pas moins que leur appropriation se fait par étapes. Nous nous appuyons sur une théorie de l’appropriation pour arriver à une théorie plus large du cycle de vie des outils de gestion.

Nous l’avons vu, l’outil de gestion ne se crée pas de rien, il se construit par la volonté des acteurs, de même, le dispositif naît, selon Foucault, d’une première intention stratégique. Nous allons proposer ici une grille d’analyse d’un cycle de vie des outils de gestion, permettant d’analyser leur généalogie et leur vie, leur rejet ou leur assimilation.

3.4.1. Naissance de l’outil de gestion

La naissance d’un nouvel outil peut être vue comme la conséquence d’une remise en cause de connaissances dans l’organisation, ou une modification de l’environnement ou de l’organisation qui modifie les rapports des acteurs. Cela peut passer par la remise en cause d’un outil précédent. Nous l’avons vu plus haut, les outils sont souvent impulsés de l’extérieur dans l’organisation.

5. Rappelons ici que les savoirs dont nous parlons n’ont aucune raison d’être qualifiés de «vrais», comme nous l’avons vu dans le chapitre sur l’action collective. Il suffit qu’ils soient perçus comme vrais ou vraisemblables et partagés pour qu’ils soient mobilisés par des acteurs. Ces derniers seront alors confrontés à de nouveaux apprentissages si la pratique contredit leur savoir.

3.4.2. Conflits et convergences des rationalisations

Pour se développer, l’outil de gestion nécessite le partage de connaissances communes entre les acteurs, sur ses composants, et des rapports de prescription particuliers. Il pourra être accepté par les acteurs selon deux modalités. La première concerne la contrainte liée à l’acceptation d’un rapport de prescription fort : l’acteur accepte l’outil sans qu’il soit nécessaire qu’il y ait un partage sur sa légitimité. La seconde provient d’une légitimation de l’outil : les acteurs ont une vision de l’outil qui le rend légitime à leurs yeux. La première solution relève d’un rapport de force entre les acteurs qui ne laisse pas vraiment de place à la construction collective. La seconde suppose une convergence de point de vue, chacune de ces deux modalités est complémentaire pour l’implémentation de l’outil de gestion.

Les savoirs qui permettent l’appropriation de l’outil de gestion ne sont pas forcément com-muns à l’ensemble des acteurs qui participent à l’appropriation. Ainsi, il pourra exister une divergence de points de vue sur les composants de l’outil.

3.4.3. Diffusion

La diffusion des outils sera en quelque sorte leur création située. La diffusion de l’outil est donc avant tout une diffusion des connaissances. Dans une organisation donnée, un groupe de personnes, à l’initiative de la mise en place de l’outil, aura acquis des connaissances nouvelles sur l’une des composantes de l’outil de gestion. C’est en mobilisant ces connaissances nouvelles que la proposition d’un nouvel outil de gestion émergera.

3.4.4. Une différence liée à l’angle de vue

En fonction de l’échelle d’analyse, nous pourrons envisager un événement comme la naissance d’un outil de gestion ou bien comme sa diffusion. Pour le dire autrement, les outils de gestion pourront être pensés, dans leurs grands principes, à une échelle large. Ensuite, l’outil pourra prendre une place dans des organisations si celui-ci leur est imposé ou s’il est considéré comme bon par une catégorie d’acteurs souhaitant son implantation dans l’organisation.

L’outil de gestion se fond donc :

— Dans l’organisation : comme cela était proposé par David, au travers de la contextualisa-tion, l’outil modifie l’organisation et l’organisation modifie l’outil, jusqu’au rejet ou à la fusion.

— Dans le dispositif : l’outil de gestion prend part à un objectif plus grand, au sein d’un dispositif qui va évoluer dans le temps.

4. Conclusion

Nous avons pu analyser dans ce chapitre les différentes façons d’aborder les outils de gestion. Nous nous positionnons, suite à cette analyse, dans une perspective de l’appropriation des outils de gestion qui doit nous aider à comprendre les relations entre les acteurs et les outils, les liens entre les intentions initiales des outils de gestion et leur utilisation effective par les acteurs. Nous retenons également de ces apports théoriques l’idée que les outils de gestion,

les instruments et les dispositifs sont des processus imbriqués qui imposent donc, pour être analysés, d’être observés aux différents niveaux de leur imbrication. Nous avons également pu aborder dans ce chapitre le caractère stratégique des outils de gestion. Leur création porte une intention stratégique, leur appropriation est aussi le moyen d’une confrontation des attentes des acteurs. Leur réussite ou leur échec est lié en grande partie à l’adéquation ou la convergence