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Persistance et émergence des stratégies collectives

1. Remise en cause du dispositif et création d’outils de gestion : une séquence de gestion nationale

1.1. Acteurs en présence et environnement

1.1.1. Mutation de l’environnement économique et remise en cause des outils de gestion

Plusieurs éléments sont de nature à remettre en question le dispositif de gestion de l’approvi-sionnement en lait.

Nous nous intéressons ici aux modifications de l’environnement de nature à remettre en cause le dispositif de gestion créé jusqu’alors. Nous aborderons ensuite les acteurs en présence qui pourront participer à une modification de ce dispositif.

1.1.1.1. Environnement réglementaire européen

Même si le contingentement était, dès sa mise en place, une mesure à vocation temporaire, ce n’est que dans le cadre de l’Agenda 2000 qu’une première proposition de sortie progressive des quotas est faite par la Commission européenne. Un temps repoussée, la sortie des quotas s’annonce comme une perspective probable dans la réforme du Luxembourg de 2003. La fin programmée des quotas est accélérée en France par une remise en cause des modalités de pénalités des producteurs dépassant leur quota1. Il en résulte, dans une situation de sous-réalisation, que les producteurs en dépassement ne seront plus pénalisés en France2. De plus, dès 2004, l’Union européenne enclenche un processus de baisse progressive du prix d’intervention sur la poudre et le beurre3.

1. En effet, les modalités de pénalité française consistaient à pénaliser le producteur en surréalisation, quel que soit le niveau de dépassement du quota national. Cette pénalité était prélevée aux producteurs en dépassement, et était très dissuasive, car quasi équivalente au prix du lait payé au producteur. Cette modalité n’est plus permise par la réglementation européenne depuis 2003 et des producteurs français ont demandé son annulation en 2012.

2. Les pénalités pour dépassements peuvent cependant être appliquées directement par l’entreprise si les contrats le permettent.

3. Cette baisse s’accompagne désormais de plafonds annuels et de périodes limitées pour déclencher l’inter-vention. Elle sera en partie compensée par des aides directes, versées par tonne de quotas laitiers entre 2004 et 2006. Ces aides seront ensuite versées par hectare et découplées de la production.

La modification de ce contingentement est de nature à remettre en cause la stratégie d’ap-provisionnement des laiteries, basée sur une stabilité des apd’ap-provisionnements permis par le contingentement et une faible compétition sur les volumes.

1.1.1.2. Une remise en cause de la définition d’un prix interprofessionnel

Nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la détermination du prix du lait payé au produc-teur suivait une mécanique basée sur un outillage gestionnaire bien approprié par les acproduc-teurs, même s’il était en tension les dernières années du fait d’une baisse, à partir du début des années 2000, de la valorisation des Produits Industriels4(pi). Il conduit à de fortes tensions au sein de l’interprofession avec des successions de crises sur les modalités de paiement du lait, aussi bien entre production et transformation qu’entre les industriels et remettant en cause le dispositif de gestion en place. Ainsi, les modalités de calcul du prix sont réexaminées chaque année depuis 2000. La renégociation est souvent sollicitée par les industriels pour lesquels les indicateurs ne répondent pas toujours à la situation de marché. Ce décalage est dû en particulier au décalage entre le calcul interprofessionnel, l’évolution des charges des producteurs et les marchés des industriels.

Ce mécanisme est finalement remis en cause en avril 2008 par un avertissement de la dgc-crf qui dit qu’«il n’entre pas dans les prérogatives des instances professionnelles d’émettre de quelconques recommandations de prix, ou d’évolution de prix, à la production : de telles pra-tiques sont toujours condamnées tant par le Conseil de la concurrence que par la Commission européenne».

1.1.1.3. Une économie plus ouverte

Une économie plus ouverte engendre le fait que les producteurs sont plus en prise avec l’évolution des prix mondiaux, dans la mesure où la variabilité des prix des produits finis est transmise au prix à la production. En outre, les marchés des facteurs de production et des produits agricoles sont de plus en plus volatils depuis le milieu des années deux mille. Le secteur laitier n’est pas épargné par ces évolutions. La volatilité des prix des produits laitiers est beaucoup plus importante depuis 2008 (voir figure 7.1 page suivante), avec un pic des prix en 2008 suivi d’un effondrement des cours en 2009, les prix de l’ensemble des pi suivent ensuite des variations beaucoup plus fortes que par le passé5. La dérégulation du marché européen n’est pas étrangère à cette volatilité des prix. L’évolution de l’économie mondiale, moins prévisible, engendre plusieurs crises dans le secteur laitier (en 2008 avec une augmentation de la production européenne et une surestimation des besoins des marchés mondiaux, puis depuis 2015). La crise de 2008-2009 suit une période assez prospère pour la filière laitière. Nous pouvons voir avec l’indice de marge milc6(voir figure 7.2 page 189) que le retournement s’opère à mi-2008 avec une forte baisse du prix du lait, accompagnée d’une hausse conséquente des charges. Cette crise se poursuit en 2009.

4. Du fait de la baisse de leurs soutiens abordée précédemment.

5. Nous pouvons noter sur ce graphique la séparation entre l’évolution des prix de la protéine et de la matière grasse à partir de 2016, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Figure 7.1. – Évolution des prix des produits laitiers industriels (beurre poudre et différents fromages) en base 100 2000-2002 0,5 1 1,5 2 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017

Beurre Poudre maigre Edam Gouda Emmental

Prix des produits en moyenne mensuelle Source : Eurostat, Milk Market Observatory

1.1.1.4. Évolutions du secteur de la distribution

Durant cette même période, la pression de la distribution s’accentue sur les acteurs de la filière. La concentration des groupes de la distribution, en œuvre depuis déjà de nombreuses années, conduit à une situation d’oligopole entre quelques centrales d’achat. Les différentes réglementations, en particulier la loi de modernisation de l’économie de 2008 et la loi Chatel rendent possible une plus forte concurrence sur les prix de vente des produits7et font rentrer les enseignes de la distribution dans une guerre des prix au nom d’une volonté politique d’amélioration du «pouvoir d’achat» des consommateurs. Dans le même temps, le pouvoir des distributeurs sur les industriels du lait s’accentue et se diversifie avec l’augmentation de la part des mdd8dans les linéaires.

Ainsi, la négociation avec la distribution se fait à deux niveaux pour les industriels :

— la négociation de la vente de leurs produits de marque propre, dont les conditions générales sont définies par un contrat de un an, qui doit être signé avant le 1ermars chaque année,

— l’élaboration des contrats pour les mdd, qui peuvent être remis en cause selon un calen-drier différent.

7. En définissant le seuil de revente à perte en fonction du prix «trois fois net» et non plus sur les conditions commerciales partagées entre tous les clients d’un vendeur, et en permettant la négociation de ces conditions générales de vente. (Allainet al., 2016)

Figure 7.2. – Évolution de l’indice milc et de ses composantes charges et produits (en €/1 000L) -400 -300 -200 -100 0 100 200 300 400 500 600 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Vente du lait Ventes d'animaux

Vente de céréales Charges indicées

trait plein, indice milc mensuel, trait pointillé, moyenne mobile sur 12 mois

Source : Institut de l’Elevage d’après FranceAgriMer, Insee et ssp

1.1.2. Représentants des professions et pouvoirs publics

L’échelle d’observation de cette séquence de gestion est l’échelle nationale. Nous nous in-téresserons donc aux représentants des acteurs de la filière et des pouvoirs publics à même de créer les outils de gestion permettant la transaction entre producteurs et transformateurs.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que le dispositif de gestion se construisait dans un collectif constitué des représentants de la profession et des pouvoirs publics pour ce qui est de la régulation publique des outils de gestion, et des représentants de la profession entre eux pour la construction interprofessionnelle des règles de gestion encadrant les outils.

La mise en place de ces outils de gestion se fait dans un climat de tension syndicale forte dont émergent principalement deux formes d’organisations de producteurs :

— d’un côté la fnpl vise à conserver la mainmise sur une gestion des outils de la transaction du lait,

— de l’autre, l’apli, née des contestations de la légitimité de la fnpl et du cniel lors des grèves du lait de 2009, prône des organisations de producteurs horizontales et commer-ciales, dont l’objectif est justement de massifier l’offre. La confédération paysanne est dans une position proche : elle conteste l’efficacité des op telles qu’elles sont proposées dans le décret (et l’absence de régulation de l’offre), et souhaite donc une organisation par bassin siégeant dans les criel et regroupant l’ensemble des livreurs de lait.