américains comme l’Alaska et l’Oregon ont ensuite légalisé le cannabis, tout comme le voisin canadien
A. LA QUESTION DU DISCERNEMENT DES TOXICOMANES CAUSANT UN ACCIDENT DE LA ROUTE
157. Deux situations s’opposent, et parfois même s’imbriquent, le toxicomane peut être
reconnu responsable d’un accident de la route (1) mais il peut également être reconnu
irresponsable pénalement (2).
1. Le toxicomane reconnu responsable pénalement de l’accident de la route
158. Conduite sous l’emprise de cannabis et risque d’accidents. La conduite sous
influence de cannabis multiplie par 1,7 le risque d’être responsable d’un accident mortel de la
route
625. En effet, compte tenu de ses effets psychoactifs, à savoir ses propriétés stimulantes et
sédatives
626, le conducteur qui a fait usage de cannabis augmente les risques d’accident. De
plus, cette substance peut également altérer le flux temporel, ou la réception des sons et des
couleurs mais également l’appréciation de l’espace
627. Le chiffre susmentionné renforce l’idée
selon laquelle toute évolution législative sur le cannabis ne devrait pas avoir de conséquences
sur la conduite sous l’emprise de stupéfiants, dans la mesure où le conducteur qui en fait usage
multiplie les risques d’accidents. Le contentieux lié à la prise de stupéfiants par les conducteurs
semble diminuer faiblement.
159. Le faible nombre – en augmentation – du contentieux lié à une prise de
stupéfiants. En 2017, selon le Bilan de 2017 de l’Observatoire National Interministériel de la
Sécurité Routière (ONISR), sur 26 715 dépistages réalisés à la suite d’un accident de la route
seulement 4,2% se sont révélés positifs aux stupéfiants. Néanmoins, si ce contentieux ne
comptabilise que 8% des délits de la sécurité routière il a augmenté de moitié entre 2013 et
2017, selon l’ONISR
628. Il y a eu 28 400 condamnations et compositions pénales pour conduite
sous l’influence de stupéfiants
629ce qui n’est donc pas négligeable. Les toxicomanes malgré
leur dépendance risquent l’aggravation de leur peine s’ils causent un accident de la route
consécutif à une prise de stupéfiants.
625 J. MOREL D’ARLEUX (dir.), Drogues, Chiffres clés, op. cit., 8 pages, p. 4.
626 B. LEBEAU-LEIBOVICI, « Des violences et des drogues », Chimères, ERES, 2015/1, n°85, pages 189 à 197.
627Ibidem.
628Ibid., p. 8.
LA FORTE INCRIMINATION DES VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES RÉSULTANT D’UNE LUTTE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS ET L’ALCOOLISME
112
160. Risques encourus par le toxicomane en cas d’accident de la route. Le
toxicomane causant un accident sous l’emprise de stupéfiants risque l’aggravation de la peine
prévue en cas de violences involontaires causées par un VTM
630. Plus les conséquences de
l’accident sont graves plus la peine que risque le conducteur ayant causé l’accident sera
élevée
631. La doctrine énonce que puisque l’intoxication aux stupéfiants est volontaire, elle doit
être réprimée, et la toxicomanie ne fait pas disparaître la responsabilité du toxicomane
632. C’est
la raison pour laquelle c’est la répression plutôt que le soin qui est privilégiée lorsqu’un
toxicomane a le malheur de commettre un accident de la route. Cette approche est contestable
puisque la toxicomanie est reconnue comme une maladie et il est possible de constater un
certain manque d’empathie envers ces personnes dépendantes.
161. Le manque d’empathie envers le toxicomane. « […] Face à une personne
toxicomane, la société veut d’abord lui faire comprendre le mal qu’elle se fait par l’infliction
de punitions (sanctions pénales) et si elle croit que, pour le bien collectif (réduction des coûts,
contrôle des maladies transmissibles…), il est préférable de la traiter, elle lui offre (de manière
plus ou moins imposée) les services dont elle pourrait nécessiter. Ses motivations sont
davantage de nature économique qu’humaniste […] »
633. Un tel regard sur le toxicomane
apparaît regrettable, ce dernier étant un citoyen en difficulté. Ainsi, pour la société, le
toxicomane est d’abord un dépravé, un dévergondé, en marge de la société, un délinquant qu’il
faut punir plutôt qu’un malade qu’il faut guérir. Or, l’échec de la politique pénale répressive
devrait pousser à des mesures plus humanistes en considérant le toxicomane comme une
personne malade qu’il faut soigner avant tout et accompagner. Cela pourrait aussi limiter le
risque d’accidents impliquant ces personnes, sachant que nombreux sont les toxicomanes
victimes de violences en tout genre. La politique de réduction des risques n’apparaît que pour
des raisons économiques et sanitaires et devrait davantage prendre en compte la personne
malade. Si un toxicomane risque de commettre plus d’accidents de la route qu’un autre, le
sanctionner malgré une volonté qui fait souvent défaut n’a aucun sens. En effet son
discernement – même sans être sous l’emprise de stupéfiants – est au moins altéré par son désir
perpétuel de faire usage de substances. Ce dernier n’est pas responsable de son addiction, il
630 Art. 221-6-1, 3° C. pén ; art. 222-19-1, 3° C. pén. ; art. 222-20-1, 3° C. pén.
631 L’auteur risque de trois ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende à sept ans d’emprisonnement 100 000€
d’amende en cas de décès de la victime.
632 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 25e édition, 2017, 780 pages, p. 393-394.
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 2
113
n’est responsable que d’avoir pris une substance psychoactive à un moment donné, cette prise
ayant eu pour conséquence une addiction future. La faute antérieure caractérisée justifiant la
sanction de l’usager de stupéfiants qui prend le volant ne le concerne donc pas et pourtant il
encourt la même aggravation de sa peine.
162. Le toxicomane malgré son addiction risque l’aggravation de sa peine du fait de
l’usage des stupéfiants, à moins d’être exceptionnellement reconnu irresponsable pénalement à
la suite d’un accident de la route.
2. Le toxicomane reconnu irresponsable pénalement malgré l’accident de la route
163.Le discernement du toxicomane
634. Peu importe le moment de la procédure, le
toxicomane peut être déclaré irresponsable pénalement et bénéficier de l’application de l’article
122-1, alinéa 1 du Code pénal. Il peut également voir sa peine diminuée du tiers si son
discernement n’est pas aboli mais simplement altéré
635. Cela peut donc concerner un
toxicomane dont le discernement fait défaut lorsqu’il provoque un accident de la route. Ce n’est
pas seulement l’intoxication à la substance qui est intéressante c’est plus globalement le
discernement du toxicomane. Ce dernier pourrait, alors même qu’il est en manque, provoquer
des accidents de la route et son discernement pourrait être altéré voire complètement aboli
malgré l’absence d’intoxication à la substance. Il convient de rappeler la terminologie du terme
« toxicomanie » pour mieux comprendre son état.
634 Si la doctrine refuse parfois de concevoir l’irresponsabilité pénale à la suite d’une faute antérieure pour les violences involontaires ce n’est pas notre cas puisque l’état dans lequel se trouve l’agent qui fait usage de stupéfiants ou d’alcool l’empêche d’avoir un discernement libre et éclairé. Cela va donc à l’encontre du droit pénal français de considérer que malgré tout, sa simple faute antérieure suffit à écarter une éventuelle abolition ou altération du discernement. Qu’il s’agisse de violences involontaires ou volontaires, la faute antérieure divise la doctrine, et nous faisons partie du courant, qui comme dans l’affaire Sarah HALIMI (Cf. infra n°521 et s.) considère que la faute antérieure n’est pas inconciliable avec une aliénation du discernement. Sachant que le courant qui écarte, à notre sens à tort, l’aliénation du discernement en cas de faute antérieure, ne règle pas le problème en cas de dépendance aux substances. En effet le toxicomane et l’alcoolique sont dépendants à une substance, ils sont donc éventuellement fautifs d’avoir pris la substance une première fois, mais peuvent-ils pour autant être fautif malgré leur dépendance maladive ? Voici une autre question auquel ce courant ne répond donc pas. En outre, si dans ce cas, ce courant écarte l’irresponsabilité pénale, il ne faut pas oublier que l’élément moral de l’infraction peut faire défaut, en particulier pour les violences intentionnelles. Or, s’il manque l’un des éléments constitutifs de l’infraction, la personne ne peut être poursuivie.
LA FORTE INCRIMINATION DES VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES RÉSULTANT D’UNE LUTTE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS ET L’ALCOOLISME
114
164. Terminologie du mot « toxicomanie ». Le mot « toxicomanie » vient du grec et
se décompose en deux mots, à savoir « toxikón » qui signifie poison et « mania » qui veut dire
folie
636. Ainsi, le toxicomane est fou d’un poison, au point qu’il en est dépendant ou selon le
mot anglais « addict »
637. « Addict » est le terme anglo-saxon pour désigner celui qui ne peut
plus se passer d’une substance voire de toute autre chose. Si la folie rentre dans la terminologie
du mot « toxicomanie », alors en toute logique le toxicomane peut être assimilé à ce que
l’ancien article 64 du Code pénal prévoyait, à savoir le dément
638. Il est inéluctable que la
toxicomanie puisse altérer voire abolir le discernement, elle peut avoir pour conséquences des
troubles psychiques ou neuropsychiques comme le nécessite l’application de l’article 122-1 du
Code pénal. La toxicomanie, via le manque qu’elle entraîne peut également créer une véritable
contrainte pour l’auteur d’une infraction dans cet état.
165. Toxicomanie et contrainte liée à l’addiction. L’article 122-2 du Code pénal
dispose que : « n'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une
force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister ». La jurisprudence précise que la
contrainte peut être physique ou morale. Un arrêt du 11 juin 1926
639et un autre du 8 décembre
1987
640précisent que la contrainte doit être irrésistible et doit dominer la volonté de celui qui
l’a subi en ne lui laissant pas la faculté d’agir autrement. Rappelons que l’addiction est définie
comme une perte de liberté et une absence de maîtrise de la consommation
641. L’addiction à un
produit stupéfiant, plus communément appelé toxicomanie, peut permettre de caractériser la
contrainte prévue par l’article 122-2 du Code pénal. La contrainte semble très peu retenue
d’ordinaire d’autant plus pour un toxicomane, toujours est-il que son application ne serait pas
insensée, à condition de considérer que l’auteur de la contrainte c’est la dépendance à cette
substance et non une personne physique. Un malaise brutal et imprévisible a pu caractériser la
contrainte
642, ce dernier est bien extérieur, tout comme une bouffée délirante peut l’être, dans
la mesure où elle peut créer un délire toxicomane.
636 Cf. supra n°19 et 23.
637 L’Académie française rappelle que le terme « addict » n’existe pas puisqu’il s’agit d’un anglicisme, le terme adéquat étant « dépendance » en français in http://www.academie-française.fr/addict.
638 Ce terme sera remplacé par les troubles psychiques et neuropsychiques par le nouveau Code pénal de 1994.
639 Cass., crim. 11 juin 1926 : DH 1926. 378.
640 CA Colmar, 8 déc. 1987 : D. 1988. 131, note Koering-Joulin.
641 D. ACIER, Les addictions, op. cit., p. 9.
642 Cass. crim., 15 nov. 2005, n°04-87.813 P : D. 2006. 1582, note Dreyer ; ibid. Pan. 1652, obs. Roujou de Boubée ; Dr. pénal 2006. 32, obs. Véron ; RSC 2006. 61, obs. Mayaud.
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 2
115
166. Le délire toxicomane. Une autre partie de la doctrine considère parfois que le
discernement peut faire défaut en cas de délire toxicomane
643. Dans ce cas-là, ce délire peut
provoquer une perte totale de contrôle pouvant abolir le discernement. Dans cette situation,
l’article 122-1, alinéa 1 du Code pénal peut donc s’appliquer pour déclarer le toxicomane
irresponsable pénalement pour trouble psychique ou neuropsychique, notamment dans le cadre
d’accidents de la circulation. Le délire toxicomane est toutefois différencié de la bouffée
délirante aigüe.
167. La bouffée délirante aigüe. Une bouffée délirante aigüe peut notamment avoir
lieu après consommation de cannabis comme le révèlent certaines expertises. La bouffée
délirante aigüe est une forme brutale d’apparition de la schizophrénie, qui peut notamment se
manifester à la suite d’un usage de stupéfiants
644. Les stupéfiants
645– le plus souvent le
cannabis
646– ne créent pas la schizophrénie mais ils vont la révéler, communément par ce type
de bouffée délirante aigüe. Ce type de délire va abolir complètement le discernement de la
personne pouvant avoir pour conséquence des violences volontaires mais également
involontaires et a fortiori des accidents de la route. Il est évident que si les expertises
psychiatriques et psychologiques convergent vers une bouffée délirante aigüe du conducteur,
ce dernier sera irresponsable pénalement, son discernement étant aboli au moment des faits
647.
168. Si le toxicomane peut être reconnu irresponsable pénalement ce dernier ne sera pas
pour autant libre, puisque dans ce cas il sera interné à l’hôpital dans le but d’être soigné.
643 F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, 16e édition, Économica, 2009, 1248 pages, p. 607-608.
644 Selon une discussion privée dans le cadre du Master 2 Expertise dans le système pénal national et international – Master 2 sous la direction de Geneviève CASILE-HUGUES à la faculté de Droit et de Sciences politiques d’Aix-Marseille – avec l’expert psychiatre Dr. GLEZER.
645 Les experts psychiatres évoquent une bouffée délirante aigüe avec consommation de toxiques, voir notamment
CA Pau, ch. spéciale, 26 sept. 2018, n°18-00.040.
646 Les experts psychiatres parlent parfois de bouffée délirante aigüe post cannabique dans ce cas, notamment dans CA Paris, Pôle 2, ch. 12, 27 juin 2016, n°16-00.267.
LA FORTE INCRIMINATION DES VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES RÉSULTANT D’UNE LUTTE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS ET L’ALCOOLISME