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LES PROBLÉMATIQUES LIÉES AU DYSFONCTIONNEMENT DU MATÉRIEL

jurisprudence de la chambre criminelle, il ne s’agit que d’une direction à suivre qui ne lie pas le juge pénal lato sensu

B. LES PROBLÉMATIQUES LIÉES AU DYSFONCTIONNEMENT DU MATÉRIEL

258. Une « hiérarchisation imaginaire »

980

incohérente. Cette hiérarchisation

imaginaire qui placerait au sommet des preuves, la preuve scientifique semble être fondée sur

le bon fonctionnement des machines. Elle suppose donc que les progrès technologiques soient

tels que les erreurs n’existent plus, ce qui n’est pas vérifié en pratique. La défaillance peut

découler tant d’une défaillance technique que d’une erreur de manipulation de ces machines.

La relativisation de ces preuves, manipulées par l’Homme, est donc absolument nécessaire.

259. La défaillance technique. La défaillance technique implique un

dysfonctionnement d’un appareil

981

, en l’occurrence d’un éthylotest, d’un éthylomètre, voire

d’un test salivaire

982

. Cette défaillance peut avoir des conséquences juridiques importantes. Elle

peut profiter au prévenu lorsque le dépistage par éthylotest ou le test salivaire présente un « faux

négatif »

983

. Dans ce cas, force est de constater que l’importance octroyée par le législateur à la

preuve scientifique empêche le bon fonctionnement de la justice, entravé, en cas de défaillance

technique. À l’inverse les « faux positifs »

984

causent davantage de problèmes du point de vue

du mis en cause, puisqu’ils vont présumer à tort son imprégnation alcoolique ou son usage de

stupéfiants. Compte tenu de l’importance d’une telle preuve, il est souhaitable que la

980 Cf.infra n°578.

981 Puisque le mot « technique » peut être défini comme « ce qui concerne le fonctionnement d’un appareil ou

d’une installation, un processus ou un mécanisme », in Dictionnaire CNRTL, affilié au CNRS, Voir entrée « technique », https://www.cnrtl.fr/definition/technique.

982 10% des tests salivaires ne seraient pas fiables selon la presse qui relaye les propos du Ministère de l’intérieur en 2010. 10% c’est déjà beaucoup trop, si tant est que ces chiffres soient exacts, in AFP, « Drogues : 90% des tests

salivaires fiables », Le Figaro, 25 septembre 2010,

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/09/25/97001-20100925FILWWW00399-drogues-90-des-tests-salivaires-fiables.php.

983 Le faux négatif se présente lorsque l’auteur a consommé des stupéfiants ou est au-dessus du seuil d’alcool

autorisé par la loi mais que le dépistage énonce que ce dernier est négatif. Cela va donc constituer une preuve scientifique en contradiction avec la réalité consécutive à la défaillance de la machine.

984 Il s’agit, à l’inverse, d’un conducteur contrôlé positif aux stupéfiants, ou au-dessus du seuil d’alcoolémie alors qu’il n’a pas consommé de substances psychoactives (ou qu’il a consommé une très faible quantité d’alcool).

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vérification sanguine qui s’en suit prouve l’erreur du dépistage antérieur. Si l’erreur se produit

au moment de la vérification sanguine – par interversion de deux analyses sanguines par

exemple – alors un conducteur sobre de toute substance pourrait subir les conséquences de la

prise d’alcool ou de stupéfiants d’un autre conducteur et réciproquement. Il en est de même si

la vérification se fait par un éthylomètre défaillant. Ce risque est fort heureusement limité par

la possibilité de demander un second test. De plus, la rigueur est de mise en ce qui concerne les

identifications des éthylomètres, ces derniers devant être homologués et vérifiés annuellement.

Cette exigence vise à diminuer les défaillances techniques dont l’existence ne fait plus aucun

doute. Ainsi, lorsque le procès-verbal ne contient aucune indication relative soit à,

l’identification de l’éthylomètre, à son approbation, ou aux vérifications subies, alors le

procès-verbal (PV) est irrégulier et doit être annulé

985

. De la mêmemanière, lorsque le PV ne comporte

aucune mention sur la conformité de l'appareil à un type homologué, la relaxe est justifiée

986

.

Cela explique donc que les éthylomètres doivent être vérifiés annuellement

987

, et qu’en

l’absence d’une telle vérification, l’auteur ayant été soumis à un éthylomètre litigieux peut être

relaxé

988

. Il convient donc de redoubler de vigilance en ce qui concerne ces machines qui

peuvent être source d’erreur, tout comme le sachant

989

qui les manipule.

260. La défaillance humaine. La preuve scientifique est à relativiser car elle est

toujours manipulée par un être humain à un moment donné. Penser que cette preuve est parfaite

reviendrait à penser que le sachant qui la manipule est également parfait, ce qui n’est pas le cas.

Deux défaillances humaines sont à prendre en compte : celle des Hommes de la Science, ces

sachants, sachant se tromper comme tout le monde ; et celles des forces de l’ordre qui par des

détours de la procédure pénale voient leur dépistage justement écarté. Concernant l’erreur

éventuelle du sachant, elle n’est même pas envisagée par le Code de la route ; ce dernier doit

donc être parfait pour éviter toute erreur découlant d’inversion d’échantillons, au risque de

condamner, par erreur certaines personnes sobres

990

. Toutefois la jurisprudence a reconnu que

lorsqu’un médecin fait l’erreur de désinfecter la peau avec de l’alcool à 90°, avant de procéder

au prélèvement sanguin, cela ne permet pas d’utiliser les résultats de ce prélèvement tant les

985 T. corr. Rennes, 15 déc. 1994, Jurispr. auto 1995, 169.

986 CA Douai, 13 déc. 1994.

987 Notamment prévu par l’art. R. 234-2 C. route.

988 CA Basse-Terre, 3 oct. 1995, Gaz. Pal. 2 avr. 1988, p. 8 ; T. corr. Vannes, 16 déc. 1997, Gaz. Pal. 1998, 1. Chron. crim. 40.

989 Terme notamment utilisé à propos du scientifique qui intervient dans la procédure pénale in J.-R. DEMARCHI,

Les preuves scientifiques et le procès pénal, op. cit.

LA PREUVE FACILITÉE DE LA PRISE DE SUBSTANCES EXPLIQUANT LE RECENSEMENT IMPORTANT DE VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES

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résultats sont faussés par le produit utilisé

991

. Répétons-le, cette preuve scientifique ne fait état

que d’une d’éventualité, à manipuler avec précaution et à apprécier avec autant de précautions.

Un autre type de défaillance humaine pourrait résider dans une erreur de confusion de deux

échantillons de sang, l’un étant positif et l’autre négatif. Ce type de défaillance peut également

se manifester lors du travail des forces de l’ordre.

261. La sanction des erreurs des forces de l’ordre lors de la procédure. La

jurisprudence a eu l’occasion de préciser, à plusieurs reprises, les conséquences d’erreurs des

forces de l’ordre lors de la procédure. De manière générale, l’irrégularité des épreuves de

dépistage entraîne logiquement l’annulation des vérifications qui suivent

992

. Cette sanction peut

également toucher directement les forces de l’ordre via des sanctions disciplinaires lorsqu’ils

font preuve d’excès de zèle

993

. En ce qui concerne les nullités, l’erreur consistant en l’oubli de

faire figurer dans la fiche d’examen du comportement d’un prévenu qu’il présentait un état

d’ivresse manifeste et/ou qu’il refusait le dépistage, rend de la même façon nulles les

vérifications ultérieures

994

. En outre, lorsque le conducteur a été soumis de façon illégale à des

vérifications à l'aide d'un éthylomètre, à la suite d'un dépistage préalable négatif, l’infraction de

conduite sous l’empire d’un état alcoolique reprochée au prévenu ne peut être établie

995

. De la

même manière, l’infraction n’est pas établie en l’absence de dépistage par éthylotest et alors

qu’aucun élément, ni signe manifeste physique ne laisse présumer que le conducteur était sous

l’emprise de l’alcool

996

. La solution choisie par la jurisprudence lorsque les forces de l’ordre

outrepassent – volontairement ou non – la procédure pénale est donc, en toute logique,

l’annulation de la pièce litigieuse. Cela permet la relaxe du prévenu en cas d’infraction obstacle

de conduite sous l’emprise de substance psychoactive et cela permet d’écarter la circonstance

aggravante, si cette erreur a lieu après un accident de la route. De la même manière l’analyse

sanguine thérapeutique effectuée à l’entrée de l’hôpital ne peut pas être utilisée pour établir le

taux d’alcoolémie dans le cadre d’une procédure pénale

997

. Ici est sanctionnée l’utilisation

d’une intervention médicale dans le but de soigner la personne et l’analyse sanguine qui en

découle, utilisée sans aucun accord du conducteur et sans qu’il ait refusé de se soumettre au

991 T. corr. Mont-de-Marsan, 9 juin 1987, Gaz. Pal. 1988, 2, 727, note Amouroux.

992 Cass. crim., 22 oct. 2013, n°12-86.825, D. 2013 Actu. 2522, AJDA 2013, 2125, Dr. pénal 2013, n°173, note Robert.

993 V. à ce propos J.-F. DREUILLE, L’excès de zèle en matière pénale, thèse de doctorat, UGA, 2002, p. 276 et s.

994 CA Angers, 29 nov. 2011, Dr. pénal 2012, Chron. 6, obs. Gauvin.

995 T. corr. Saumur, 16 janv. 1998, Gaz. Pal. 1998, 2. Somm. 635 ; T. corr. Grenoble, 18 juin 2004, AJ pénal 2004, 445, note Céré.

996 J. prox. Châtellerault, 17 déc. 2012.

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dépistage. Le pouvoir des forces de l’ordre pour effectuer le dépistage et les vérifications qui

suivent est donc limité, mais cela n’empêche pas de façon absolue la survenance d’erreurs,

même lorsque la procédure pénale est respectée.

262. Une preuve scientifique de prise de substance non synonyme de preuve de

prise volontaire. Un autre problème peut être mis en exergue, à savoir celui de la prise

involontaire de substance psychoactive. La preuve scientifique ne prouve que l’usage de

stupéfiants ou l’usage d’alcool en quantité déraisonnable

998

. Pour autant un conducteur de VTM

pourrait prendre le volant sans être conscient d’avoir fait usage de la substance psychoactive.

En cas d’accident ce dernier encourt alors la circonstance aggravante et en l’absence d’accident

il encourt le délit autonome de conduite sous l’emprise d’une substance psychoactive. La

preuve scientifique – lorsqu’elle n’est pas défaillante – ne prouve donc qu’une prise de

substance mais pas son caractère volontaire. Du fait de son importance, l’auteur aura beaucoup

de mal à établir son innocence dans ce cas, car une preuve scientifique, érigée comme le constat

d’une réalité scientifique et factuelle sera retenue par le juge contre lui. La chambre criminelle

de la Cour de cassation a donné une réponse étonnante en 1994 à cette situation

problématique

999

. Cette dernière énonce que la conscience du conducteur d’être dans un état

alcoolique, commettant une imprudence, une négligence ou une mise en danger délibérée de la

personne d’autrui est indifférente. En l’espèce, seule la présence caractérisée de 1,09 mg

d’alcool pur par litre d’air expiré chez le conducteur suffisait à retenir l’infraction. En

l’occurrence l’auteur était conscient d’avoir bu de l’alcool mais inconscient d’être dans un état

alcoolique, il s’agit donc d’une problématique différente de celle où l’auteur n’a pas conscience

d’avoir pris une substance psychoactive. En tout état de cause, il découle de cette jurisprudence

le principe selon lequel la conscience d’être sous l’emprise d’alcool n’importe pas, si l’auteur

s’est alcoolisé volontairement. Si malgré tout l’auteur a consommé des substances

psychoactives involontairement, le problème reste entier. Dans ce cas la jurisprudence

considère à raison que c’est une atténuation de la responsabilité de l’agent qu’il faut choisir

plutôt qu’une aggravation

1000

. Pour autant, la difficulté réside dans la preuve du caractère

involontaire de cette prise. L’auteur doit prouver qu’il ne savait pas qu’il avait consommé les

998 Puisque l’emprise d’alcool suppose de dépasser un seuil d’alcool dans le sang ou d’alcool par air expiré.

999 Cass. crim., 19 déc. 1994, n°94-82.361, JCP 1995, IV, 821 ; Jurispr. auto 1995, 224 ; V. notamment Cass. crim., 25 avr. 2001, Jurispr. auto 2001, 312 ; et V. Cass. crim. 15 mai 2002, Jurispr. auto 2002, 337.

1000 Selon la Cour de cassation : « […] l’ivresse qui diminue l’intelligence et la responsabilité de l’agent, doit être considérée comme une circonstance atténuante et non comme une circonstance aggravante […] », in Cass. crim., 5 févr. 1957, Bull. crim., n°232, notamment cité in X. PIN, Droit pénal général, Dalloz, 11e édition, 2019, 582 pages, p. 292.

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substances en cause. Cela peut lui permettre d’écarter tant le délit-obstacle, puisqu’il n’avait

aucune intention de le commettre que l’infraction aggravée de violences involontaires. En effet,

dans ce dernier cas, s’il arrive à prouver que la prise de substance psychoactive est

involontaire

1001

, pourra être retenue une abolition du discernement

1002

et donc une

irresponsabilité pénale à la suite de cette prise involontaire, ou une simple altération du

discernement

1003

. Toutefois, dans ce cas particulier l’auteur ne semble pas commettre de faute

et c’est l’élément moral de ces deux infractions qui risque de faire défaut. Puisque le conducteur

commet une infraction involontaire sans commettre de faute, sa responsabilité pénale ne peut

donc pas légitimement être retenue. Néanmoins le défaut de conscience de prise de substance

est très difficile à prouver, contrairement à la prise effective de substance, ce qui permet de

relativiser une fois de plus l’importance donnée à cette preuve scientifique. Un conducteur

alcoolisé ou drogué à son insu pourrait donc être accusé à tort d’avoir pris sciemment une

substance psychoactive avant d’avoir conduit un VTM, ce qui est problématique.

263. Ainsi, les preuves scientifiques ne peuvent être considérées comme étant

synonymes de vérité. Les défaillances technologiques ne sont, en effet, pas négligeables et

permettent de relativiser un peu plus l’importance accordée à ces preuves scientifiques, qui ne

peuvent tendre que vers une vérité – et en aucun cas vers la vérité – et qui découlent de mauvais

choix de politique pénale.

§2.L

ES DÉFAILLANCES DÉCOULANT DE MAUVAIS CHOIX DE POLITIQUE PÉNALE

264. Les défaillances technologiques sont à mettre en parallèle avec des erreurs

manifestes de politique pénale, qui d’un côté négligent certaines violences involontaires et de

l’autre ne prennent pas en considération la réelle dangerosité de l’auteur sous influence pour

aggraver ces violences particulières. Ainsi, les choix de politique pénale sont contestables parce

que soit des violences involontaires sont indûment écartées (A), soit elles sont indûment

aggravées (B).

1001 À ce propos Monsieur le professeur Philippe SALVAGE énonce que : « […] pour résoudre le problème, il faut non seulement tenir compte de l’obscurcissement des facultés mentales au moment des faits mais aussi et surtout de la volonté dans la source de l’ivresse [ou de la prise de stupéfiants]. Il en résulte que si l’individu a recherché l’ivresse [ou a voulu prendre des stupéfiants] pour commettre l’infraction, il sera pleinement responsable. En revanche, s’il s’est enivré [ou a fait usage de stupéfiants] de manière fortuite, il sera irresponsable totalement ou partiellement selon que son ivresse était complète ou partielle […] », in P. SALVAGE, Droit pénal général, PUG, 8e édition, 2016, 200 pages, p. 47-48.

1002 Art. 122-1, al. 1 C. pén.

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