d’alcool ou l’usage de stupéfiants. La même critique que pour les accidents de la route
consécutivement à la prise d’alcool peut être faite sur le refus d’appliquer ces circonstances
aggravantes à l’ensemble des violences involontaires. Il semble regrettable de ne pouvoir
appliquer cette circonstance aggravante que pour les accidents de la circulation. Des accidents
autres que routiers peuvent entraîner des violences involontaires lorsqu’une personne fait usage
de stupéfiants et il n’aurait pas été illogique de prévoir cette circonstance aggravante pour tout
type de violences involontaires. En effet, cela aurait été logique de créer la circonstance
aggravante pour tout homicide involontaire
466par exemple. De la même manière, pour les
violences involontaires qui n’entraînent pas la mort, l’usage de substance psychoactive pourrait
461 À ce propos il est parfois fait référence à un recopiage d’un Code dit suiveur, dans un autre Code, dit pilote
comme l’évoque et le critique Laurent MINIATOin L. MINIATO, « Les inconvénients du code pilote et du code
suiveur », D., 2004, p. 1416.
462 « Le harcèlement moral défini par l’art. L. 1152-1 C. trav. est en effet sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende par l’art. L. 1152-1 du même code tandis que l’art. 222-33-2 C. pén. sanctionne le harcèlement moral d’un an d’emprisonnement de 15 000 euros d’amende. De plus les peines complémentaires prévues sont également différentes (seul l’affichage de la décision de condamnation est envisagé par le Code du travail alors que le Code pénal permet l’application de toutes les peines complémentaires prévues par son art. 222-44 », selon V. MALABATin V. MALABAT, B. DE LAMY et M. GIACOPELLI, La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 73.
463 Cons. const., 12 janv. 2002, n°2001-455 DC, JO 18 janv. 2002, considérants nos 85 et 86 in Ibid., p. 74.
464 Selon V. MALABATin V. MALABAT, B. DE LAMY et M. GIACOPELLI, La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 74.
465 Nous partageons le point de vue de Madame le professeur Valérie MALABAT qui regrette que cette double
incrimination soit validée par les sages in V. MALABAT, B. DE LAMY et M. GIACOPELLI, La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, op. cit., p. 74.
LA CIRCONSTANCE AGGRAVANTE DE PRISE D’ALCOOL OU DE STUPÉFIANTS FRÉQUEMMENT RETENUE POUR LES VIOLENCES INVOLONTAIRES
86
aggraver la peine de l’auteur et pas seulement pour les accidents de la route
467. De la sorte, la
répression de l’usage de stupéfiants ou de l’ivresse serait plus forte mais cela permettrait
d’englober des comportements similaires lorsque, par exemple, un skieur est sous l’emprise de
stupéfiants et qu’il a blessé un autre skieur. En l’état actuel des choses sa peine ne prend pas en
compte le risque qu’il cause aux autres skieurs dont il était conscient en pratiquant le ski alpin
après avoir fait usage de stupéfiants. Pour autant ce risque pris pour les autres skieurs ne doit
pas rester impuni si on considère qu’un conducteur de VTM doit voir sa peine aggravée
lorsqu’il conduit, pour le risque qu’il fait prendre aux autres. Pour un comportement risqué –
peut-être moins risqué pour le skieur certes – assimilable au problème du cycliste
468, dans un
cas la peine est aggravée et pas dans l’autre, ce qui est contestable, alors que le comportement
risqué est le même. Il existe une difficulté quant à l’aggravation des violences routières liée à
la prise de substances psychoactives, tenant à la présomption d’innocence.
121. Un bref rappel sur la présomption d’innocence. Tout d’abord, il convient de
rappeler que la présomption d’innocence, prévue à l’article 9-1 du Code civil est un principe
reconnu comme liberté fondamentale
469à valeur constitutionnelle
470. La présomption
d’innocence est en effet prévue par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen (DDHC), cette dernière étant dans le préambule de la Constitution de 1946, elle-même
intégrée à notre Constitution actuelle datant de 1958. La présomption d’innocence est
également prévue à l’article préliminaire du Code de procédure pénale
471. Elle est, en outre,
encadrée par la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) qui prévoit le respect de
ce principe parmi les exigences liées au respect du procès équitable prévu à l’article 6 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales
(Conv. EDH). La jurisprudence la consacre depuis longtemps, en effet, aux termes de l’article
6§2 de la Conv. EDH toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à
ce que sa culpabilité ait été légalement établie
472. En outre, la chambre criminelle de la Cour de
cassation rappelle également que tout prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve
467 Art. 222-19-1, al. 2 et al. 3 et art. 222-20-1, al. 2 et al. 3, C. pén.
468 Cf. supra, n°108 et cf. infra n°266.
469 CE, réf., 14 mars 2005, n°278435, AJDA 2005, 576.
470 Cons. const., 20 janv. 1981, n°80-127 DC, JCP 1981. II. 19701, note Franck ; D. 1981. 101, note Pradel et 1982. 441, note Dekeuwer ; AJDA 1981. 275 Rivero ; ibid. 278, note Gournay ; RD publ. 1981. 651, note Philip (sécurité et liberté) ; mais aussi Cons. const., 8 juill. 1989, n°89-258 DC, JCP 1990. II. 21409, note Franck ; D. 1990. Somm. 138, obs. Chelle et Prétot (amnistie) ; ou encore Cons. const., 11 août 1983, n°93-326 DC (garde à vue) ; et aussi Cons. const. 2 févr. 1995, n°95-360, D. 1995, 171., note Pradel ; RFDC 1995. 405, note Renoux (injonction pénale).
471 Art. prélim., III, C. pr. pén.
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 1
87
de la culpabilité incombe à la partie poursuivante
473. Mais si la présomption d’innocence est un
droit fondamental, ce droit n’est pas absolu selon la jurisprudence
474. En effet, selon le Conseil
constitutionnel : « […] s’il résulte des dispositions de l’article 9 de la DDHC, qu’en principe
le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; toutefois
à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière
contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le
respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de
l’imputabilité »
475. C’est probablement ce qui pourra justifier la présomption de culpabilité
d’usage d’une substance lorsque l’auteur de l’accident refuse de se soumettre au dépistage.
122. La présomption de culpabilité d’avoir fait usage d’une substance en cas de
refus de se soumettre au dépistage
476. Lorsqu’une personne encourt une aggravation de sa
peine pour une infraction par refus de se soumettre à un dépistage cela semble constituer une
atteinte à sa présomption d’innocence. La jurisprudence a reconnu en 1976
477que le refus de se
soumettre aux épreuves de dépistage de l’imprégnation alcoolique par l’alcootest n’était
susceptible d’aucune qualification pénale à l’époque
478, ce qui se serait appliqué aux stupéfiants
a fortiori. Seul était prévu et réprimé – par l’article L. 1
er, paragraphe 1, alinéa 5, du Code de
la route – le refus de se soumettre aux vérifications médicales, chimiques et biologiques.
Néanmoins, en ce qui concerne la circonstance aggravante des violences involontaires après un
accident de la circulation, est présumé coupable – d’avoir fait usage de la substance – celui qui
refuse de se soumettre à l’un des dépistages prévus car il encourt la circonstance aggravante
malgré l’absence de preuve de prise d’une telle substance. Sa présomption de culpabilité ne
concerne néanmoins que la prise de substance. La prise de stupéfiants constitue le
troisièmement de l’infraction visée
479et prévoit d’aggraver la peine si l’automobiliste a fait
usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ou au même titre s’il refuse « de se
soumettre aux vérifications prévues par le Code de la route destinées à établir s’il conduisait
en ayant fait usage de stupéfiants »
480. Comme Maître Emmanuel P
IREle souligne, le refus de
473 Cass. crim., 22 avr. 1993, n°92-81.811 P.
474 Cons. const., 16 juin 1999, n°99-411 DC, JO 19 juin, p. 9019 (sécurité routière).
475Ibidem.
476 Cf. infra nos 231 et 639.
477 Cass. crim., 27 janv. 1976, n°75-91.781, Bull. crim. n°31, D. 1976. IR. 56.
478 B. BOULOC, « Légalité des délits et des peines : nécessité d’un texte », RSC, 1994, p. 549.
479 Qu’il s’agisse de l’homicide involontaire (art. 221-6-1, 3° C. pén.), des violences involontaires au volant entraînant une ITT supérieure à 3 mois (art. 222-19-1, 3° C. pén.) ou des violences involontaires au volant inférieures ou égales à 3 mois (art. 222-20-1, 3° C. pén.).
LA CIRCONSTANCE AGGRAVANTE DE PRISE D’ALCOOL OU DE STUPÉFIANTS FRÉQUEMMENT RETENUE POUR LES VIOLENCES INVOLONTAIRES
88
se soumettre au dépistage par analyse sanguine – jusqu’en 2016 – crée une véritable
présomption de culpabilité de prise de stupéfiants
481. La logique du législateur est de faciliter
les contrôles au motif qu’une personne n’ayant pas pris de substances n’a rien à se reprocher et
peut donc accepter le dépistage en cas d’accident
482. Cette logique crée néanmoins une véritable
atteinte à la présomption d’innocence puisque celui qui refuse le dépistage sanguin encourt la
circonstance aggravante de prise de stupéfiants après un accident, sans aucune preuve de cette
consommation. Maître Emmanuel P
IREprenait l’exemple des témoins de Jéhovah qui refusent
toute analyse sanguine pour raison religieuse et qui en cas d’accident de la route à la suite du
refus pourraient se voir appliquer la circonstance aggravante de prise de stupéfiants pour motif
religieux. Cette circonstance aggravante litigieuse n’a pour autant jamais été remise en cause,
seul son moyen de preuve a été modifié en 2016 permettant d’adjoindre à l’analyse sanguine,
l’analyse salivaire.
123. L’émergence du test salivaire en 2016. Une différence fondamentale existe entre
la circonstance aggravante de prise excessive d’alcool et celle de prise de stupéfiants en plus de
l’absence de seuil requis. Il peut paraître étonnant que le mode de preuve
483, soit intégré à la
circonstance aggravante en ce qui concerne l’éventuelle prise de stupéfiants. Il est directement
fait référence dès 2003, au fait que cette prise de substance « résulte d’une analyse sanguine »
comme l’énonce la circonstance aggravante visée ab initio. Ce qui fera dire, à raison, à Maître
Emmanuel P
IREque cela empêche le juge d’apprécier souverainement les faits en cause, comme
il peut le faire pour la prise d’alcool
484. Puisque cette analyse sanguine pouvait créer des
difficultés, a ensuite été intégrée comme mode de preuve l’analyse salivaire grâce aux
évolutions technologiques. Cela découle de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre
système de santé
485. Cette loi intègre donc un mode de preuve moins contraignant dans la
circonstance aggravante de prise de stupéfiants. La preuve de cette prise pouvant se faire
désormais par analyse sanguine ou salivaire. Cela permet d’écarter certains problèmes liés au
refus d’une analyse sanguine – pour raison religieuse par exemple – mais demeure le problème
du mode de preuve cité dans la circonstance aggravante limitant le pouvoir d’appréciation du
juge.
481 E. PIRE, « Conduite automobile et usage de stupéfiants : à trop vouloir en faire… », préc. cit.
482 Si tant est qu’il soit en état physique et psychique de pouvoir refuser, l’analyse sanguine pouvant être faite en l’absence d’accord si le conducteur est également blessé et notamment pour le soigner. L’atteinte à l’intégrité physique étant dans ce cas justifiée, comme le prévoit l’article 16-3 du Code civil.
483 Cf. infra n°254.
484 E. PIRE, « Conduite automobile et usage de stupéfiants : à trop vouloir en faire… », préc. cit.
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 1
89
124. Conclusion de Chapitre. La faute antérieure caractérisée est nécessaire en ce qui
concerne l’élément moral d’une infraction non-intentionnelle. L’état d’ivresse est facilement
assimilé à une faute ce qui permet de retenir la circonstance aggravante d’état d’ivresse
manifeste et donc de retenir de telles violences involontaires. Il en est de même pour l’emprise
de stupéfiants qui est d’autant plus assimilée à une faute antérieure dans la mesure où la
consommation de stupéfiants est à ce jour interdite par la loi. Ainsi, la circonstance aggravante
d’emprise de substance psychoactive est souvent retenue pour les violences involontaires car
elle permet de montrer un début d’intention, une imprudence caractérisée que l’auteur ne
pouvait ignorer lorsqu’il prend le volant. Le juge n’a pas réellement le choix lorsqu’il qualifie
l’infraction. En effet, il semble difficile de retenir l’altération
486– et a fortiori l’abolition
487–
du discernement lorsqu’un conducteur commet un accident consécutivement à une prise
d’alcool ou de stupéfiants du fait de cette faute appréciée in abstracto. L’auteur qui conduit en
état d’ivresse n’a pas agi comme une personne diligente et avisée
488et commet une infraction.
Pour cette raison, s’il s’en suit un accident il doit subir les conséquences d’un tel acte, ce qui
est légitime lorsqu’il s’agit de violences involontaires.
125. Si le pouvoir du juge est limité pour apprécier la prise de stupéfiants après un
accident de la route, c’est sans doute car le législateur espère une application stricte de la loi,
dans le but de lutter contre la toxicomanie mais également contre l’alcoolisme.
486 Art. 122-1, al. 2 C. pén.
487 Art. 122-1, al. 1 C. pén.
488 La faute d’imprudence ou de négligence prévue par l’article 1241 du Code civil nécessite de comparer l’auteur à un modèle abstrait, une personne diligente et avisée.
LA FORTE INCRIMINATION DES VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES RÉSULTANT D’UNE LUTTE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS ET L’ALCOOLISME