A. LA PROBLÉMATIQUE DE LA DÉTECTION DES DROGUES
254. Des problèmes quant à la preuve de l’influence de stupéfiants de manière
générale. «[…] À partir de quel moment la personne ayant consommé des produits stupéfiants
sera-t-elle en droit de reprendre le volant ? […] »
954. L’alcootest que peut se procurer le
conducteur pour savoir s’il a dépassé la limite autorisée pour conduire après avoir consommé
de l’alcool n’a aucune équivalence en matière de stupéfiants, ce qui doit théoriquement le
dissuader de consommer toute drogue. La doctrine énonce clairement à ce sujet que la
prohibition concerne non pas la conduite sous l’emprise des stupéfiants mais plus largement la
952 P. RICŒUR, Histoire et vérité, Seuil, 1955, 368 pages, p. 155 et 175, notamment cité in M. VAN DE KERCHOVE, « Vérité judiciaire et para-judiciaire en matière pénale : quelle vérité ? », prec. cit.
953 H. KELSEN, Trad. par C. EISENMANN, Théorie pure du droit Dalloz, 2e édition, 1962, 368 pages, p. 100 notamment cité in M. VAN DE KERCHOVE, « Vérité judiciaire et para-judiciaire en matière pénale : quelle vérité ? », prec. cit.
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conduite à la suite d’un usage – peu importe quand et peu importe la quantité – de stupéfiants
955.
Plusieurs remarques peuvent donc être faites à ce propos. Tout d’abord cela crée une « […] une
assimilation risquée entre l’existence de trace de stupéfiants dans le sang et l’influence de ces
derniers sur le comportement du conducteur […]»
956, de sorte que c’est l’analyse sanguine qui
est érigée en infraction
957, ce qui est contestable. De plus, les « stupéfiants ou plantes classées
comme stupéfiants », qui présentent tous des caractéristiques et des effets différents, sont
pourtant assimilés, ce qui crée des difficultés d’application concrète notamment dans le cadre
de la preuve d’une prise de stupéfiants
958. De même, le moment de leur prise est négligé.
Jean-Raphaël D
EMARCHIfait très justement remarquer à ce propos que « […] certaines substances
sont par exemple visibles pendant une assez longue période dans les analyses sanguines sans
pour autant qu’elles continuent à affecter le comportement de la personne les ayant
consommées […]
»959.Il précise que le cannabis est retrouvé 24 heures après son usage dans le
sang d’un individu et que les amphétamines – comme l’ecstasy ou la MDMA – sont détectables
dans le sang quatre jours après leur usage
960. Cela pousse à s’interroger sur la durée de positivité
des analyses sanguines en fonction des différentes drogues, dans la mesure où après de telles
durées ces substances n’ont plus d’influence sur le comportement du conducteur
961. Mais la
particularité de ces analyses sanguines – qu’elles concernent l’alcool ou les stupéfiants – réside
dans le fait que le mode de preuve est intégré à la définition du comportement poursuivi
962. À
ce propos, « l’élément matériel de l’infraction est défini scientifiquement et échappe au
magistrat qui doit se borner à constater ou à rejeter la réalisation de l’infraction et, partant,
la responsabilité de l’auteur »
963. Cela va entraîner quelques difficultés à propos du cannabis.
Cette substance psychoactive est la drogue illicite la plus consommée en France
964. Cette
substance psychoactive n’empêche pas totalement la conduite d’un VTM malgré le risque que
955 J.-P. CÉRÉ, « Conduite sous influence : alcool – stupéfiants », Rép. dr. pén., janvier 2013, (actualisé en mai 2019), n°43.
956 J.-R. DEMARCHI, Les preuves scientifiques et le procès pénal, op. cit., p. 124 à 126.
957Ibidem.
958 Cf. supra n°34.
959 J.-R. DEMARCHI, Les preuves scientifiques et le procès pénal, op. cit., p. 125.
960 Notamment ibidem.
961 V. notamment E. PIRE, « Conduite automobile et usage de stupéfiants : à trop vouloir en faire… », D., 2003, p. 771 ; et J.-R. DEMARCHI, Les preuves scientifiques et le procès pénal, op. cit., p. 125.
962 J.-R. DEMARCHI, Les preuves scientifiques et le procès pénal, op. cit., p. 126.
963 G. DALBIGNAT-DEHARO, « L’articulation du savoir et du pouvoir dans le prétoire », Gaz. Pal., 2005, n°265, p. 3.
964 Pour l’année 2019, l’OFDT fait état de 18 millions d’expérimentateurs de cannabis, pour 2,1 millions d’expérimentateurs de cocaïne, ou encore pour 1,9 millions d’expérimentateurs d’amphétamines (donc ecstasy et MDMA) ou enfin pour 500 000 expérimentateurs d’héroïne, in J. MOREL D’ARLEUX (dir.), Drogues chiffres clés, 8e édition, OFDT, juin 2019, 8 pages, p. 1.
LA PREUVE FACILITÉE DE LA PRISE DE SUBSTANCES EXPLIQUANT LE RECENSEMENT IMPORTANT DE VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES
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cela engendre
965. Compte tenu de cette forte consommation il s’agit de la substance
psychoactive la principale concernée par l’aggravation ou l’infraction autonome, liée à
l’emprise de stupéfiants.
255. La problématique détection du cannabis. Les experts en toxicologie s’accordent
sur un point problématique en ce qui concerne le cannabis : « […] aucun seuil de THC n’est
pertinent, car la détection du moindre nanogramme dans le sang témoigne d’une consommation
récente de cannabis, six heures tout au plus. Par voie de conséquence ils en déduisent
l’inaptitude à la conduite de tout conducteur positif au test. […] »
966. Pour autant, cela ne prend
pas en compte le fait que le cannabis subsiste dans le sang alors que le conducteur n’est plus
sous son emprise
967. Or, si les individus sont testés positifs longtemps après avoir consommé
cette substance psychoactive, le test prouve certes l’usage de cannabis mais pas la conduite sous
son influence. À ce propos, un usager régulier de cannabis serait donc testé positif quel que soit
le moment où il en a fait usage, et ne pourrait pas conduire, même s’il fume par exemple
uniquement avant l’endormissement
968. Une personne pourrait même être testée positive alors
même que sa consommation de cannabis n’était pas illégale, si la personne revient d’un voyage
dans un des pays autorisant l’usage récréatif de cannabis
969. Si elle revient de ce voyage en
conduisant un VTM, même sans être sous l’influence du cannabis, elle sera tout de même testée
positive. Une autre interrogation demeure : que se passe-t-il lorsqu’un conducteur est enfermé
avec des fumeurs de cannabis ? De cette manière il risque d’ingérer du cannabis et il sera testé
positif alors même que ce dernier n’était que fumeur passif de cannabis. L’appréhension de
cette situation par le droit positif est contestable puisque la preuve scientifique ne prouvera pas
sa prise de substance mais le fait de côtoyer des fumeurs de cannabis. Or, ni la circonstance
aggravante ni l’infraction obstacle ne visent une personne qui aurait fait l’erreur d’être fumeuse
passive de cannabis. Dans cette situation, le conducteur encourra tant la circonstance
965 En effet, l’infraction de conduite après usage de stupéfiants de l’article L. 235-1 du Code de la route, est difficilement envisageable pour l’héroïnomane, qui après usage d’héroïne est dans un tel état d’inconscience qu’il ne pourra sans doute jamais prendre le volant.
966 F. CABALLERO, Legalize it !, L’esprit frappeur, 2012, 271 pages, p. 100-101.
967 « […] Des tests effectués par Auto Plus en 2002 (n°470, p. 45) montrent que tous les individus sont encore positifs après huit heures, alors que leurs tests de comportement sont normaux après deux heures. Certains restent même positifs 24 heures, voire quatre jours après le test. Devant les tribunaux on voit de nombreux prévenus qui n’ont pas fumé depuis plusieurs jours voire plusieurs semaines, parfaitement capables de conduire, mais déclarés positifs avec une concentration de quelques nanogrammes […] », in F.CABALLERO, Legalize it !,op. cit., p. 100-101.
968Ibidem.
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aggravante d’usage de stupéfiants en cas d’accident
970– même si cet accident n’a aucun lien de
causalité avec cet usage – que le délit autonome de conduite sous l’emprise de stupéfiants
971,
en l’absence d’accident. Nous ne pouvons que regretter le manque de rigueur rédactionnelle du
législateur à propos de cet article L. 235-1 du Code de la route
972. Il demeure des enjeux liés à
la détection du cannabis.
256. Les enjeux de la détection du cannabis en pratique. La cour d’appel de Lyon a
retenu l’infraction autonome de conduite sous emprise de cannabis, en 2003
973, en énonçant
explicitement qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de l’aptitude à conduire du conducteur,
malgré une très faible quantité de THC retenue
974et sans tenir compte de la datation de la
consommation. Cette solution jurisprudentielle paraît s’éloigner de l’esprit de cette infraction
qui vise à interdire une telle conduite lorsque le conducteur risque de causer davantage
d’accidents, à la suite d’un risque pris par cette consommation. Dans le même sens, deux arrêts
de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus en 2011
975, puis en 2012
976, confirment
qu’il n’y a aucun taux minimum requis pour retenir ce délit-obstacle. Ainsi, la relaxe n’est pas
justifiée puisque l’individu conduisait avec une quantité infime de THC dans le sang
977, ce qui
prouve qu’il avait fait usage de cette substance, peu important, d’une part qu’il ait eu lieu six
heures avant la conduite et d’autre part, qu’il soit toujours sous l’influence du cannabis lorsqu’il
conduisait. Toutefois selon une réponse ministérielle de 2010, les parquets sont sommés de
prendre en considération la faible quantité de THC et de privilégier dans ce cas des alternatives
aux poursuites telles que le rappel à la loi ou une composition pénale
978. Seul sera donc
poursuivi, en principe, devant les juridictions pénales le conducteur présentant une forte
quantité de THC dans le sang car présentant une plus grande dangerosité
979. Si cette réponse
ministérielle semble plus en adéquation avec l’article L. 235-1 du Code de la route que la
970 Art. 221-6-1, al. 3 C. pén ; ou art. 222-19-1, al. 3 C. pén. ; ou encore art. 222-20-1, al. 3 C. pén.
971 Art. L. 235-1 C. route.
972 Idée partagée in J.-R. DEMARCHI, Les preuves scientifiques et le procès pénal, op. cit., p. 124
973 CA de Lyon, 23 juin 2005, Service de documentation et d'études de la Cour de cassation : n°CT0028.
974 La quantité indiquée est infime et caractérisée par la présence dans le sang de métabolite du cannabis équivalent à 8,5 nanogrammes par millilitres d’acide de tétrahydrocannabinol.
975 Cass. crim., 8 juin 2011, n°11-81.818, Jurispr. auto 2011, n°832, p. 37 ; Gaz. Pal. 10 nov. 2011, p. 11, note Detraz.
976 Cass. crim., 3 oct. 2012, n°12-82.498, D. actu. 6 nov 2012, obs. Blombed ; D. 2012 Actu. 2450 ; Dr. pénal
2012, n°160 Robert ; Gaz. Pal. 13 déc. 2012, p. 7, note Mésa.
977 Un taux inférieur à 20 nanogrammes par millilitres de sang en l’occurrence.
978 Rép. min. Q. n°12017 : JO Sénat 29 juill. 2010, p. 1984.
LA PREUVE FACILITÉE DE LA PRISE DE SUBSTANCES EXPLIQUANT LE RECENSEMENT IMPORTANT DE VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES