UNE LUTTE INEFFICACE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS
A. L’ÉCHEC DE LA FORTE RÉPRESSION DU CANNABIS EN FRANCE
129. Confrontée à l’échec de la politique prohibitionniste (1) il serait opportun, comme
le préconisent certains spécialistes, que la France entende les discussions tenant à l’autorisation
de l’usage du cannabis (2).
1. Le constat de l’échec de la politique prohibitionniste
130. L’échec de la lutte contre la consommation de cannabis. La France est l’un des
États les plus répressifs en ce qui concerne l’usage de cannabis et pour autant les français sont
ceux qui en consomment le plus
490. Une évolution croissante est également constatable à propos
de la poussé de l’herbe de cannabis en France qui remplace petit à petit la résine de cannabis
491.
Cela montre un véritable échec concernant la lutte contre la consommation, et même le trafic
de cette substance pourtant illicite. Le débat public tendant à légaliser le cannabis s’appuie sur
cet échec pour justifier le souhait de rendre légale cette substance illicite. En 2018, le nombre
de consommateurs de cannabis s’élevait à 17 millions d’expérimentateurs
492– il atteint 18
490 La directrice adjointe de l’O.F.D.T., Ivana OBRADOVIC énonce, qu’en 2010, « […] en dépit d’une législation parmi les plus sévères en Europe (supposée être dissuasive), la France est-elle un des pays les plus consommateurs de cannabis, surtout parmi les jeunes ». Cette dernière affirme par la suite que la France est l’État qui consomme et expérimente le plus le cannabis d’Europe in H.BERGERON et R. COLSON, Les drogues face au droit, PUF, 2015, 109 pages, p. 23-26.
491 C. CORNEVIN, « La folle poussée de l’herbe de cannabis en France », Le Figaro, 12 août 2020, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-folle-poussee-de-l-herbe-de-cannabis-en-france-20200812.
LA FORTE INCRIMINATION DES VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES RÉSULTANT D’UNE LUTTE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS ET L’ALCOOLISME
92
millions en 2019
493– et à 5 millions d’usagers
494. L’expérimentateur va simplement essayer le
cannabis alors que l’usager va consommer de manière plus régulière le produit jusqu’à devenir
parfois un usager quotidien de cannabis. Ainsi, parmi les 5 millions d’usagers cités, 1,4 millions
sont des usagers réguliers
495– ce chiffre passe à 1,5 millions en 2019
496– et 700 000 sont des
usagers quotidiens
497. Le nombre de consommateurs et d’expérimentateurs augmente
sensiblement alors que la répression ne cesse d’être plus forte en France. Cet antagonisme
montre que le choix de la répression n’est pas toujours le meilleur, la dissuasion n’ayant aucun
effet sur le consommateur de cannabis. La lutte contre l’ensemble des drogues est un véritable
« fiasco à l’échelle mondiale » pour certains chercheurs
498ce qui va justifier une politique de
dépénalisation ou décriminalisation
499de l’ensemble des drogues dans certains États : il faut
expérimenter des alternatives à la prohibition
500. De plus, des croyances populaires justifiant la
répression telle que la thèse de l’escalade sont finalement remises en cause.
131. La mise à mal de croyances populaires qui incitaient à la répression. Avant
même d’entrer dans le débat, il faut mettre fin à des croyances populaires. Parmi elles, la thèse
de l’escalade
501est réfutée selon les dernières études canadiennes à ce propos
502, mais
également par le rapport de 1978
503et encore par la brochure de la MILDT de 1999
504. Ceux
qui s’opposent à la légalisation du cannabis utilisent souvent cet argument selon lequel la
majorité des consommateurs de cannabis commenceraient par cette drogue pour ensuite tester
des drogues plus dangereuses. Cet argument est réfuté par les études évoquées et l’usage de
cannabis, s’il était légalisé, n’entraînerait une envie de tester une drogue illicite que chez une
493 J. MOREL D’ARLEUX (dir.), Drogues, Chiffres clés, 8e édition, OFDT, juin 2019, 8 pages, p. 1.
494 C. BLATIER, Les personnalités criminelles, Évaluation et prévention, op. cit., p. 35
495Ibidem.
496 J. MOREL D’ARLEUX (dir.), Drogues, Chiffres clés, op. cit., p. 1.
497 C. BLATIER, Les personnalités criminelles, Évaluation et prévention, op. cit., p. 35.
498 P.-A. CHOUVY, La guerre contre la drogue, Bilan d’un échec, in H. BERGERON et R. COLSON, Les drogues face au droit, op. cit., p. 65.
499 Cf. infra nos 135 et 149.
500 A. COPPEL et O. DOUBRE, Drogues : sortir de l’impasse, Expérimenter des alternatives à la prohibition, La Découverte, 2012, 292 pages.
501 La théorie de l’escalade a été l’ultime argument pour classer le cannabis parmi les stupéfiants dans les années
60. Selon le délégué américain ANSLINGER, lors d’une Conférence internationale sur les stupéfiants à New-York
en 1960, la consommation du cannabis « […] n’est souvent qu’un premier pas vers l’usage de l’héroïne » et des
autres drogues dures in F. CABALLERO, Legalize it !, L’esprit frappeur, 2012, 271 pages, p. 27.
502 Selon des études canadiennes réalisées par Santé Canada en 2005, 2008, 2009, 2011, 2013 et selon l’Enquête
sur la santé dans les collectivités canadiennes en 2012 (Statistique Canada 2012), in S. BROCHUet al.,Drogue et criminalité, Une relation complexe, PUM, 3e édition, 2016, 253 pages, p. 129-130.
503 M. PELLETIER, Rapport de la mission d’étude sur l’ensemble des problèmes de drogues, La documentation
française, 1978, 284 pages, cité in F.CABALLERO, Legalize it !,op. cit., p. 84.
504 MILDT (mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie) devenue MILDECA, Drogues,
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 2
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infime partie de consommateurs
505. De plus, la thèse de l’escalade ne fonctionne pas avec la
consommation d’autres drogues licites comme l’alcool ou le tabac. En effet, les consommateurs
d’alcool, par exemple, ne testent pas plus, que ceux qui ne boivent pas, les autres substances
psychoactives. Il n’y a, en tout cas, aucune corrélation faite entre l’absorption d’alcool et l’envie
de consommer d’autres drogues. Par conséquent, cette thèse de l’escalade pour justifier la
répression du cannabis n’a plus lieu d’être. En outre, l’Observatoire européen des drogues et
des toxicomanies a établi un rapport sur l’effet de la répression ou du libéralisme quant à l’usage
de certaines drogues, dans différents États. Les conclusions de ce rapport, publiées en 2011,
montrent que les lois répressives n’affectent pas les consommateurs de substances
psychoactives
506. La forte répression n’a donc pas l’effet dissuasif escompté et la thèse de
l’escalade est finalement réfutée. Une mise à jour des conceptions serait alors utile, d’autant
plus qu’il s’agissait d’un argument permettant de diaboliser, à tort, le cannabis. Or, il s’agit
d’une substance psychoactive moins dangereuse que l’alcool.
132. Le cannabis substance psychoactive moins dangereuse que l’alcool. Doit-on
interdire l’usage d’alcool
507ou autoriser l’usage d’une drogue qui n’aurait pas plus de
conséquences néfastes sur l’organisme ? Il est paradoxal d’autoriser un produit à la vente tout
en refusant celle d’un produit aussi pernicieux. La distinction faites par l’ONU
508entre les
drogues licites et les drogues illicites est d’ailleurs contestable en tout point
509. Des chercheurs
ont montré des effets à court terme du cannabis qui peuvent varier, à savoir : une légère euphorie
pouvant être accompagnée d’un sentiment d’apaisement, mais également de légères
somnolences ou encore en cas de dosage excessif, des malaises, voire des nausées, avec parfois
des impressions de confusion ou d’étouffement mais également d’angoisse et parfois des
505 Moins de 2% selon les études canadiennes, ibidem.
506 EMCDDA (european monitoring center for drugs and drug addiction), Observatoire européen des drogues et
des toxicomanies, Rapport annuel 2011, État du phénomène de la drogue en Europe, 112 pages, notamment cité
in S.BROCHU et al.,Drogue et criminalité,op. cit., p. 93.
507 Cf. infra n°184 et s.
508 La première distinction a été faite par la Convention Unique sur les stupéfiants de 1961, adoptée à New-York dans le cadre des Nations Unies, signée le 30 mars 1961, entrée en vigueur le 13 décembre 1964. Cette Convention Unique a classé le cannabis parmi les stupéfiants.
509 « […] La Convention Unique est en effet le texte le plus important du droit de la drogue, celui qui détermine la distinction entre drogues licites et illicites à l’échelle du monde. Or si l’on adopte les critères de dépendance, de tolérance ou de toxicité, et a fortiori celui des dommages sanitaires et sociaux causés par le produit, on est obligé de classer le tabac, l’alcool et certains produits pharmaceutiques dans les stupéfiants. Et il n’en est pas question. D’où l’absence de définition légale qui permet de classer (ou de ne pas classer) n’importe quelle substance dans le tableau que l’on veut. Le résultat est que la plupart des drogues illicites sont produites dans l’hémisphère Sud alors que les drogues licites proviennent de l’hémisphère Nord. Le droit international se présente donc comme un droit Nord-Sud économiquement discriminatoire, voire raciste, entre les drogues des blancs protégés (tabac, alcool, tranquillisants…) et celles des gens de couleurs combattues (opium, coca, cannabis…) » in F.CABALLERO, Legalize it !, op. cit., p. 28.
LA FORTE INCRIMINATION DES VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES RÉSULTANT D’UNE LUTTE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS ET L’ALCOOLISME
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dépressions. Ils précisent que la mémoire immédiate ainsi que la perception visuelle ou encore
la vigilance, le traitement de l’information, mais également l’attention et les réflexes peuvent
être diminués à la suite d’une consommation de cannabis
510. Ainsi, c’est principalement un
risque d’accident de la route accru qui peut survenir en cas d’usage de cannabis. Par ailleurs,
en ce qui concerne les addictions au cannabis environ 10% des consommateurs de cannabis
seraient dépendants à cette substance
511. Cela montre, une fois de plus, que ce produit n’est pas
aussi dangereux qu’il n’y paraît. « […] Les troubles mentaux induits par le cannabis sont bien
répertoriés avec d’une part un syndrome amotivationnel
512, l’éclosion de troubles psychotiques
brefs ou chroniques, l’apparition de troubles anxieux, les complications somatiques ou
cardio-vasculaires, sans oublier les risques d’accidents domestiques ou routiers […] »
513alors que
l’alcool entraîne de plus nombreuses conduites à risques et est plus susceptible d’entraîner des
violences
514. L’alcool peut, en effet, entraîner une neurotoxicité réduisant la capacité d’un
individu à inhiber ses impulsions
515; sachant qu’il s’agit de l’une des substances – avec la
cocaïne – qui a le plus grand lien avec les agressions
516, puisqu’il est reconnu que l’alcool est
la substance la plus associée aux violences
517. Ainsi, l’alcool rend possible la désinhibition et
le passage à l’acte violent
518ce qui n’est pas le cas du cannabis. Il découle de ces
développements que le cannabis n’est pas plus dangereux que l’alcool et qu’il est donc
paradoxal d’autoriser l’une de ces substances psychoactives tout en interdisant l’autre. Si la
comparaison doit être faite avec l’alcool, un constat du même ordre pourrait être fait avec
certaines substances non psychoactives autorisées à la vente et aux lourdes conséquences
sanitaires.
133. Le cannabis substance psychoactive moins dangereuse que d’autres
substances licites. De nombreuses substances dangereuses sont licites et parfois contrôlées par
510 F. BECK, R. GUIGNARD et J.-B. RICHARD, Usage de drogues et pratiques addictives en France, Analyses du baromètre santé Inpes, La documentation française, 256 pages, p. 124 ; et selon J. BOURQUE et S. POTVIN cités in
S. BROCHU,J.-S. FALLU et M. PELLETIER, Cannabis, PUM, août 2019, 186 pages.
511 D. ACIER, Les addictions, De Boeck, 2012, 142 pages, p. 34.
512 Selon l’étude de 1968 du Docteur américain spécialiste de l’addiction, David E. SMITH, il s’agit d’un syndrome caractérisé par une perte d’intérêt tant au niveau occupationnel, social ou sexuel, comme l’évoquent L. JOBIDON, C. EL HAGE et D. JUTRAS-ASWAD, in S. BROCHU, J.-S. FALLU et M. PELLETIER, Cannabis, op. cit.
513 D. ACIER, Les addictions, op. cit., p. 34.
514Ibidem.
515 L. BÈGUE, Drogues, alcool et agression, L’équation chimique et sociale de la violence, Dunod, 2014, 191 pages, p. 29.
516Ibid., p. 126.
517 S. BROCHUet al.,Drogue et criminalité,op. cit., p. 35 ; ou encore L. BÈGUE, Drogues, alcool et agression, L’équation chimique et sociale de la violence, op. cit., p. 29.
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 2
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l’État, comme c’est le cas du tabac
519. D’autres substances telles que le sucre, la taurine
520, la
caféine sont des substances peu dangereuses à petite dose mais qui peuvent avoir de lourdes
conséquences sanitaires consommées à l’excès ou ensemble
521. Elles peuvent entraîner des
dépendances et accentuent le risque de cancer, ou d’obésité. De plus, elles peuvent agir sur le
cerveau à très forte dose. Ces substances ne sont pas psychoactives mais, malgré des campagnes
sanitaires pour réduire leur consommation, elles sont légales ce qui est un autre paradoxe par
rapport à la forte répression du cannabis. Certaines drogues sont tolérées, bien que prescrites
par ordonnances, elles sont pour certains auteurs « utilitaires »
522pour leurs vertus : les produits
pharmaceutiques. Ces produits peuvent créer une pharmacodépendance aussi dangereuse si ce
n’est plus que l’addiction au cannabis, pourtant interdit. Certaines drogues de synthèse ont
d’ailleurs été créées pour réduire le nombre de toxicomanes et ont eu l’effet inverse, car elles
ont créé de nouvelles dépendances à ces nouvelles drogues
523. Or, l’addiction à toute substance
psychoactive peut être consécutive à une addiction au sucre, au tabac ou aux boissons
énergisantes
524, par exemple. Monsieur le professeur Francis C
ABALLEROprend parti pour la
légalisation du cannabis
525– il est donc subjectif – mais il démontre objectivement que le
cannabis est beaucoup moins addictif, toxique et mortifère que l’alcool et le tabac
526. Cela met
en exergue une certaine crédulité des personnalités politiques
527lorsqu’ils refusent toute
légalisation du cannabis malgré l’accès à d’autres substances tout aussi nocives. En outre, il a
519 « Depuis que Jean Nicot l’a introduit en France vers 1560, le tabac a fait son chemin sur la planète. En quatre siècles il est devenu la première drogue récréative mondiale, consommée par plus d’un milliard de personnes, mais aussi la plus meurtrière […] », in F. CABALLERO et Y. BISIOU, Droit de la drogue, Dalloz, 2e édition, 2000, 827 pages, p. 168.
520 Que l’on retrouve dans l’ensemble des boissons énergisantes.
521 Les boissons énergisantes cumulent le plus souvent caféine, taurine et une grande quantité de sucre et ces dernières peuvent avoir des effets neurotoxiques lorsqu’elles sont mélangées à l’alcool.
522 Terme utilisé in F. CABALLERO et Y. BISIOU, Droit de la drogue, op. cit., p. 339 et s.
523 Cf. supra n°32.
524 Selon Didier ACIER il faut se méfier des stimulants en tout genre : « […] À l’inverse, les stimulants du système nerveux central stimulent les fonctions psychiques (cocaïne, amphétamines, Ritaline®, boissons énergisantes), et augmentent l’état d’éveil et l’activité générale du cortex cérébral. Ils accélèrent les processus mentaux, ce qui se caractérise par une augmentation de la vigilance, une stimulation de l’humeur et de la motricité. Le consommateur se sent plus énergique et de bonne humeur […] », in D. ACIER, Les addictions,op. cit., p. 8.
525 Ce dernier a créé le mouvement pour une légalisation contrôlée (MLC), du cannabis, montrant son parti pris.
526 F. CABALLERO, Legalize it!, op. cit., p. 244.
527 Selon Manuel VALLS légaliser une substance « […] qui contribue à l’aliénation des hommes est une hérésie
[…] » in M. VALLS, Sécurité, La gauche peut tout changer, Éditions du moment, 2011, 171 pages, p. 139 ; alors
qu’interrogé par le journal Libération le 30 septembre 2011, p. 29, Arnaud MONTEBOURG répond : « L’État qui
investit des milliards dans la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, ne peut encourager une addiction de plus
[…] [il] ne vendra pas du cannabis dans les bureaux detabac » ; notamment in F. CABALLERO, Legalize it!,
LA FORTE INCRIMINATION DES VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES RÉSULTANT D’UNE LUTTE CONTRE LA PRISE DE STUPÉFIANTS ET L’ALCOOLISME