engendrer.
65. Le dol praeterintentionnel expliquant le choix de la répression. Le dol
praeterintentionnel constitue, avec le dol éventuel et la mise en danger délibérée, une catégorie
particulière entre l’intention et la faute
289. Monsieur le professeur Jean P
RADELprécise qu’il
s’agit d’un dol indéterminé dans lequel le résultat de l’acte dépasse les prévisions de l’agent. Il
précise également à ce propos que praeterintentionnel vient du latin praeter intentionem
signifiant au-delà de l’intention
290. Or d’autres spécialistes, comme Carole M
OSÈS, assimilent
l’état d’ivresse – comparable à l’intoxication aux stupéfiants – à une faute commise par l’agent
dans le fait de boire excessivement
291. Par conséquent, lorsqu’après avoir bu à l’excès ou avoir
fait usage de stupéfiants un auteur commet des violences qu’il ne voulait pas commettre, sa
faute antérieure
292constitue un dol praeterintentionnel. L’agent va donc bien au-delà de son
intention de boire à l’excès ou d’user de stupéfiants, mais connaît le risque de commettre des
violences involontairement par la suite. Lorsque l’auteur de violences involontaires est
alcoolisé à l’excès ou sous l’emprise de stupéfiants, sa responsabilité pénale découle donc de
cette attitude imprudente de nature à provoquer l’infraction. Dans ce cas comme le précise
Carole M
OSÈS, l’élément moral de l’infraction consiste dans cette faute de s’être enivré à
l’excès
293, la faute pouvant également résulter de la prise d’une substance illicite.
66. Puisque le législateur fait le choix de la thèse répressive c’est sans surprise qu’il fait
de l’ivresse ou de l’emprise de stupéfiants une cause d’aggravation de la peine et non une
éventuelle atténuation de la responsabilité en ce qui concerne les violences involontaires.
289 B. BOULOC, op. cit., p. 263.
290 J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., p. 482.
291 C. MOSÈS, Alcoolisme et infractions contre les personnes, La documentation française, 1986, 465 pages, p. 150 à 152.
292 V. C ROBACZEWSKI, Le rôle de la faute antérieure en matière de responsabilité pénale, thèse de doctorat, Lille II, 2002, p. 192 et s.
LA CIRCONSTANCE AGGRAVANTE DE PRISE D’ALCOOL OU DE STUPÉFIANTS FRÉQUEMMENT RETENUE POUR LES VIOLENCES INVOLONTAIRES
58
§2.L’
AGGRAVATION DE LA PEINE DES VIOLENCES INVOLONTAIRES COMMISES APRÈS PRISE DE SUBSTANCE67. La Cour de cassation refuse tout d’abord de faire de l’ivresse et a fortiori de
l’intoxication aux stupéfiants une cause d’exemption de peine (A), avant que le législateur en
fasse une véritable aggravation de la peine (B).
A. LE REFUS DE PRENDRE EN COMPTE UNE EXEMPTION OU UNE
ATTÉNUATION DE LA PEINE
68. Si l’état d’ivresse et l’intoxication aux stupéfiants semblent, de facto, altérer le
discernement et donc la responsabilité pénale d’un auteur (1), la doctrine et la jurisprudence
refusent de faire de cette faute de prise de substances psychoactives une faute excusable (2).
1. Une altération du discernement de facto
69. L’altération du discernement par l’alcool médicalement prouvée. Pour ce qui
est de l’alcool, le Manuel américain diagnostique et statistiques des troubles mentaux–
communément appelé DSM V – énonce que l’usage d’alcool crée un ensemble de
modifications, cliniquement significatives, tant au niveau comportemental que psychologique.
L’intoxication à l’alcool cause notamment une altération du jugement mais également une
altération du fonctionnement social ou professionnel. Le DSM V précise en outre, qu’après
l’ingestion d’alcool les changements opérés peuvent entraîner une altération du fonctionnement
du jugement voire un coma mortel, et éventuellement une amnésie des évènements en cas de
« trous noirs »
294. L’usage d’alcool tend donc à altérer le discernement selon le DSM V
295, tout
comme certains stupéfiants.
294 Selon une étude de E. C. NELSON, A. C. HEATH, K. K. BUCHOLZ, et al., Genetic epidemiology of alcohol-induced blackouts, Arch Gen Psychiatry 61, in American Psychiatric Association (APA), Trad. par M.-A. CROCK
et al., DSM V, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Elsevier Masson, 5e édition, 2015, 1176 pages, p. 651.
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 1
59
70. L’altération du discernement par les stupéfiants médicalement prouvée. Pour
ce qui est de l’intoxication aux stupéfiants, il faut rappeler que chaque drogue a des effets
différents sur les personnes et cette généralisation du terme stupéfiants n’est pas toujours
appropriée tant les caractéristiques de l’intoxication sont différentes pour chacune
296. De plus,
il convient de préciser que les études réalisées en ce qui concerne les stupéfiants touchent
souvent des toxicomanes qui consomment régulièrement la substance et pas de simples usagers,
les effets sont donc différents lorsque la consommation est chronique ou aigüe. Pour autant, en
prenant l’exemple des opiacés
297, leur usage entraîne également des modifications sur le
comportement ou psychologiques selon le DSM V. En effet, parmi les effets consécutifs à une
prise d’opiacé, il y a l’euphorie initiale suivie d’apathie, la dysphorie, l’agitation ou le
ralentissement psychomoteur et surtout une altération du jugement
298. Tous ces effets peuvent
se développer pendant ou consécutivement à l’usage d’un opiacé
299. D’autres symptômes sont
mis en évidence par le DSM V et notamment l’altération de l’attention ou de la mémoire, mais
également la somnolence pouvant aller jusqu'au coma
300. Ainsi l’usage des opiacés tend
également à altérer le discernement, comme l’usage des autres stupéfiants
301. Malgré tout, le
législateur choisit l’aggravation de la peine.
71. Le choix de circonstances aggravantes. L’intoxication à l’alcool ou aux
stupéfiants semble avoir un tel effet sur le discernement qu’une volonté semble difficile à
établir. Pour autant, cela n’empêche pas de reconnaître une circonstance aggravante d’état
d’ivresse manifeste ou d’emprise des stupéfiants pour les violences volontaires même si cela
semble paradoxal
302. En ce qui concerne les violences involontaires, la situation laisse
apparaître moins de difficultés puisque l’intention se définira par une faute d’un degré plus ou
moins important, bien que le dol éventuel ne suffise pas à caractériser l’intention. C’est sans
doute l’existence de cette faute qui va justifier les choix jurisprudentiels, cette faute constituant
une contravention ou un délit selon la substance consommée. Toutefois, il ne faut pas oublier
les problématiques liées à la preuve de la consommation de la substance.
296 Cf. supra n°34.
297 Le choix des opiacés est opéré car il constitue le groupe le plus important de stupéfiants, puisque cela englobe l’opium, la morphine, la codéine ou encore l’héroïne, regroupant donc des drogues dures selon la distinction opérée, in F. CABALLERO et Y. BISIOU, Droit de la drogue, Dalloz, 2e édition, 2000, 827 pages, p. 488.
298 Selon l’étude de E. W. BOYER, Management of opioid analgesic overdos, N Engl J Md 367, in APA, DSM V, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, op. cit., p. 709.
299Ibidem.
300Ibidem.
301Ibidem.
LA CIRCONSTANCE AGGRAVANTE DE PRISE D’ALCOOL OU DE STUPÉFIANTS FRÉQUEMMENT RETENUE POUR LES VIOLENCES INVOLONTAIRES
60
72. Un problème quant à la preuve de la prise de substance. Si un tel choix peut
sembler logique pour dissuader toute personne de se mettre dans un état qui le priverait de
discernement, il crée, pour autant, deux difficultés : tout d’abord le problème de savoir si
l’intoxication est volontaire et ensuite la preuve de cette prise volontaire de substance.
Finalement, toute personne en état d’ivresse ou intoxiquée aux stupéfiants qui se verrait
appliquer la circonstance aggravante à la suite de violences involontaires pourrait se targuer
d’une prise contre sa volonté de la substance en cause. À ce propos, la doctrine est unanime
303,
puisque l’intoxication est subie ses conséquences aussi et il faut reconnaître une altération
304voire une abolition du discernement
305en cas d’infraction qui en résulte. À charge pour le
ministère public de prouver que la personne intoxiquée s’était enivrée de sa propre volonté s’il
souhaite appliquer la circonstance aggravante. Une autre problématique découle de la prise
inconsciente d’une substance, en méconnaissance des dangers qu’elle fait encourir.
73. Le défaut de conscience des dangers de la substance. Un deuxième problème
apparaît quant à la personne qui choisit l’intoxication mais qui n’a pas les mêmes capacités
mentales que le désuet « bon père de famille »
306. Autrement dit, il s’agit de savoir si
l’intoxication inconsciente vaut peu importe l’intelligence, la conscience, ou encore l’âge de la
personne qui commettrait une telle faute. Il faut se demander si une personne qui prend des
substances psychoactives sans en mesurer « raisonnablement »
307les conséquences en cas de
déficience mentale ou d’un quotient intellectuel anormalement faible est aussi susceptible de
voir sa peine aggravée. La question peut se poser pour un mineur ou encore si la personne a
déjà des troubles psychiques qui pourraient être aggravés par l’ivresse ou la prise de stupéfiants.
Si la personne responsable du mineur engage logiquement sa responsabilité civile de plein
303 B. BOULOC, op. cit., p. 393-394 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, 16ème édition, Économica, 2009, 1248 pages, p. 607-608 ; J. PRADEL, Droit pénal général, op. cit., p. 461 ; P. SALVAGE, op. cit.,
p. 47-48.
304 Art. 122-1, al. 2 C. pén.
305 Art. 122-1, al. 1 C. pén.
306 La loi n°2014-273 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes remplace la notion de
bon père de famille par le mot « raisonnablement » dans le Code civil. Notamment précisé in F. ROME, « Bonne
mère ! », D., 2014, p. 201.
PARTIE I–TITRE I–CHAPITRE 1