268. La dangerosité censée être le fondement de la répression. La dangerosité des
conducteurs n’est que supposée. Une fois de plus cela permet de constater que la dangerosité
qui devait être le fondement de la répression de la conduite sous l’emprise de substances ne le
soit pas. Or, puisque le droit pénal tend à devenir un « droit pénal du danger »
1022, ce dernier
ne peut pas se contenter d’être éventuel. Si la dangerosité du conducteur découle des substances
qu’il consomme, alors un seuil à ne pas dépasser avant de conduire devrait être établi pour les
stupéfiants, comme c’est le cas pour l’alcool. Il s’agirait de déterminer, de façon plus logique,
un taux de stupéfiants dans le sang qui permet d’influer sur la conduite d’un VTM
1023. Pour les
stupéfiants des inquiétudes émergent donc, étant donné que comme le précise la doctrine « […]
si l’on admet que la dangerosité de l’individu n’est pas le fondement premier des dispositifs
mis en place, qu’est-ce qui empêcherait, dans un système où l’usage de stupéfiants constitue
une infraction pénale punissable sans que la preuve d’un taux particulier n’ait été rapportée,
d’envisager de soumettre certaines personnes à des opérations de dépistage parfaitement
aléatoires, c’est-à-dire indépendamment de la conduite de tout véhicule ? […] »
1024. Il pourrait
être porté atteinte aux libertés individuelles avec ce type de dépistage aléatoire qui peut être
imposé au détenteur d’un chien agressant une victime.
1022 J.-B. PERRIER, « Le droit pénal du danger », D., 2020, p. 937.
1023 Argument partagé in J.-R. DEMARCHI, Les preuves scientifiques et le procès pénal, op. cit., p. 124 à 126.
PARTIE I–TITRE II–CHAPITRE 1
177
269. Les difficultés pour prouver l’intoxication ou l’état d’ivresse manifeste du
gardien d’un chien agressant une victime
1025. Prouver la prise de substance du gardien d’un
chien qui agresse une victime est une opération délicate. En effet, les OPJ
1026sous le contrôle
du procureur de la République peuvent intervenir en cas de délit flagrant
1027et dans ce cas, la
preuve de la prise de substance ne crée guère davantage de difficultés que pour les accidents de
la route
1028. En effet, dans ce cas particulier les mêmes dépistages que pour les accidents de la
route seront possibles
1029via une expertise. Toutefois ces accidents domestiques peuvent avoir
lieu dans un cadre privé et cela soulèvera des difficultés de preuve. Ces problèmes sont proches
de ceux intéressant la preuve d’une prise de substances en cas de violences volontaires et seront
donc plus précisément étudiées dans les développements concernant ce type de violences
1030.
La différence fondamentale ici est qu’il s’agit de violences involontaires. Ainsi, le gardien du
chien – puisqu’il n’a jamais voulu que des violences se produisent
1031– peut se rendre plus
facilement aux forces de l’ordre afin de détecter s’il a fait usage ou non de substances
psychoactives
1032. Les substances consommées ne sont pas séparées dans la circonstance
aggravante qui prévoit expressément que « le propriétaire ou détenteur d’un chien se trouvait
en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants »
1033. Cela
permet de s’interroger une fois de plus sur l’aggravation de ce type de violences involontaires
particulier du fait de la garde d’un animal. L’aggravation de ces violences involontaires liée au
comportement d’un animal est contestable dans la mesure où l’assimilation de l’animal à une
chose que l’on peut contrôler, diriger et user à sa guise n’a pas lieu d’être. En effet, le chien
dangereux qui agresse une victime ne l’agresse pas sous prétexte que son maître a fait usage de
1025 Art. 221-6-2, 2°, art. 222-19-2, 2°, et art. 222-20-2, 2°, C. pén.
1026 « Parmi les membres de la police, ce sont le plus souvent les officiers de police judiciaire [OPJ] qui accomplissent ces actes en raison du caractère coercitif de l’enquête (à la différence de l’enquête préliminaire, dont les actes peuvent être accomplis par un officier ou un agent de police judiciaire) […]», in J. LEROY,
Procédure pénale, LGDJ, 6e édition, 2019, 662 pages, p. 385.
1027 Art. 53 et s. C. pr. pén.
1028 Selon l’art. 60, al. 1, C. pr. pén. : « s’il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, l’agent de police judiciaire a recours à toutes personnes qualifiées ». L’expert ainsi désigné devra toutefois prêter serment, sauf s’il est déjà inscrit sur une liste d’experts près les tribunaux (ayant donc déjà prêté serment), mais à défaut de serment, la présence de cette personne est irrégulière (Cass. crim., 22 févr. 1996, Dr. pén. 1996, comm. 130, cité in J. LEROY,
Procédure pénale, op. cit., p. 387).
1029 Art. L. 3354-1 CSP (pour le dépistage de l’imprégnation alcoolique) ou en vertu de la recherche de l’infraction d’usage de stupéfiants, art. L. 3421-1 CSP ou dans un transport public L. 3421-5, 2° CSP.
1030 Cf. infra n°331 et s. (Seconde partie. La répression inégale des violences liées à la prise d’alcool et de stupéfiants).
1031 Il s’agit bien de violences involontaires et donc sans intention de les commettre, selon les articles 221-6-2, 2° puis 222-19-2, 2°, et 222-20-2, 2°, du Code pénal.
1032 Bien que cette alternative paraisse naïve.
LA PREUVE FACILITÉE DE LA PRISE DE SUBSTANCES EXPLIQUANT LE RECENSEMENT IMPORTANT DE VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES
178
stupéfiants ou est en état d’ivresse. Le lien de causalité entre la prise de substance psychoactive
– qui est difficile à prouver – du gardien du chien et l’agression de cet animal dangereux n’est
pas forcément établi
1034. Cette aggravation est d’autant plus contestable lorsqu’il est observé
que d’autres violences involontaires ne sont pas aggravées par une prise de substances et
qu’elles résultent du même comportement risqué, de la même dangerosité
1035. Parmi les
substances psychoactives que le gardien de chien peut consommer pour retenir la circonstance
aggravante, il y a le cannabis, or des évolutions liées à son usage pourraient nécessiter des
aménagements.
270. Les évolutions concernant le cannabis remettant ce système imparfait en
cause. L’expérience du cannabis thérapeutique en France en 2020
1036et l’ouverture à l’usage
récréatif de cannabis dans des États de plus en plus nombreux
1037semblent remettre en cause
cette forte répression de l’usage de substances en conduisant un VTM. Cette évolution implique
de déterminer si le conducteur contrôlé positif au cannabis l’est parce qu’il suit un traitement
médical ou s’il commet l’infraction d’usage de stupéfiants
1038. Dans le second cas, la répression
semble légitime, mais dans le premier elle peut être remise en cause. De la même manière, la
prescription médicale ne lui interdira pas de conduire à tout moment et pourtant le cannabis
pourra être retrouvé de longues heures après l’ingestion du cannabis thérapeutique. La
répression devrait pouvoir évoluer au même rythme que les évolutions sociétales. Puisque, si
dans un cas l’auteur pourrait être considéré comme plus dangereux, dans l’autre il ne fait
qu’appliquer une prescription médicale dans le but de réduire ses souffrances. Il semble donc
que l’infraction obstacle et l’aggravation des violences involontaires ne soient pas justifiées en
cas d’usage de cannabis thérapeutique
1039. Néanmoins, une jurisprudence administrative vient
d’établir que même si la consommation de stupéfiant est autorisée par une prescription
médicale, cela n’exclut pas la constatation de l’infraction au Code de la route de conduite sous
1034 Pourtant c’est le comportement dangereux d’être en état d’ivresse et d’avoir fait usage de stupéfiants qui est réprimé et qui permet d’aggraver la peine du gardien du chien dangereux et non le lien de causalité entre la prise de substances et l’agression du chien. Ce lien de causalité ne sera pas à rechercher. C’est une nouvelle fois le comportement risqué du gardien de l’animal dangereux qui est sanctionné par la circonstance aggravante plutôt que la dangerosité de ce dernier, ce qui est contestable.
1035 Cf. supra n°268.
1036 D. n°2020-1230 du 7 octobre 2020 relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis, JORF n°0246
du 9 octobre 2020, texte n°24.
1037 Cf. supra n°148 et s.
1038 Art. L. 3421-1 CSP.
PARTIE I–TITRE II–CHAPITRE 1
179
l’emprise de stupéfiants
1040. Il peut donc se déduire d’une telle jurisprudence, que la
prescription médicale de cannabis thérapeutique ne pourrait servir que pour écarter l’usage
illicite de stupéfiants
1041, comme fait justificatif
1042de cette infraction, mais cela n’empêcherait
pas de retenir la conduite sous l’influence du cannabis
1043malgré les difficultés dénoncées. Cela
interroge toutefois sur la prise de médicaments et les dépistages routiers.
271.La prise de médicaments dénaturant les dépistages routiers. La jurisprudence
est assez sévère à la suite d’une prise de médicaments avant de conduire un VTM.
Effectivement, cette dernière refuse tout d’abord, d’appliquer l’irresponsabilité pénale à un
prévenu qui a délibérément provoqué dans son organisme un phénomène qu’il n’était plus en
état de maîtriser
1044. De plus, un prévenu ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité pénale
lorsqu’il mélange un verre de vin avec des médicaments sur lesquels figurait sur l’emballage
une mise en garde quant aux effets du médicament et quant au risque que la personne encourait
en prenant le volant après avoir ingéré un tel médicament
1045. En outre, l’éventuelle influence
de la prise d’un médicament sur le taux d’alcoolémie relève de l’appréciation des juges du fond.
En effet, un arrêt de 1995 énonce que lorsque l’auteur affirme avoir consommé deux verres de
whiskies, sans preuve, et avant de prendre le volant de son véhicule, se targuant de
l’augmentation de son taux d’alcoolémie à la suite d’une prise d’un médicament, le juge peut
apprécier souverainement ces affirmations
1046. Les juges du fond doivent donc rechercher si la
prise de médicament invoquée par le prévenu a été effective et si, à la supposer établie, il avait
pu être en mesure d’en connaître les effets, ne pouvant pas se référer aux seules déclarations de
l’auteur en ce qui concerne son alcoolisation
1047. Toutefois, en ce qui concerne le traitement
médical à la Ritaline®, comportant du méthylphénidate – molécule inscrite sur la liste des
1040 TA Châlons-en-champagne, 26 mai 2020, n° 1900588, in A. LÉON, « [Brèves] La conduite sous l’emprise de
stupéfiants : la prescription médicale n’exclut pas l’infraction », Lexbase, 22 juillet 2020, n° de décision Lexbase : A40173QT, cité in Le quotidien du 23 juillet 2020 : le droit pénal routier, Lexbase. https://www.lexbase.fr/revues- juridiques/59245845-breves-conduite-sous-lremprise-de-stupefiantsr-la-prescription-medicale-nrexclut-pas-lrinfraction
.
1041 Art. L. 3421-1 CSP.
1042 « Un fait normalement puni par la loi doit être considéré comme licite, lorsqu’il consiste dans « l’exercice d’un droit ou l’accomplissement d’un devoir » [in B. BOULOC et H. MATSOPOULOU, Droit pénal général et procédure pénale, Sirey, 21e édition, 2018, 784 pages], c’est-à-dire lorsqu’il est motivé par un intérêt légitime (l’exercice d’un droit ou d’un devoir) que le juge répressif, dans les circonstances de l’espèce et suivant des critères légaux, estime supérieur à celui que protège l’incrimination […] », in X. PIN, Droit pénal général, Dalloz, 11e édition, 2019, 582 pages, p. 238.
1043 Art. L. 235-1 C. route.
1044 CA Metz, 20 nov. 1991, Juris-Data n°048798 ; JCP 1992, IV, 1837.
1045 CA Toulouse, 30 avr. 2002, n°01.00763.
1046 Cass. crim., 18 janv. 1995, Jurispr. auto 1995, 173.
LA PREUVE FACILITÉE DE LA PRISE DE SUBSTANCES EXPLIQUANT LE RECENSEMENT IMPORTANT DE VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES
180
stupéfiants – cela semble plus problématique ; tout comme cela le sera pour le cannabis
thérapeutique. Selon une réponse ministérielle du 2 mars 2010
1048, si l’usage de ce produit est
autorisé dans le cadre d’un traitement médical, il est souvent incompatible avec la conduite
automobile. C’est le médecin prescripteur qui va apprécier au cas par cas si la prise est
compatible avec la conduite automobile. Le monde médical se voit ainsi attribuer un certain
pouvoir discrétionnaire sur la conduite de VTM des usagers de Ritaline®, comme il pourra le
faire pour le cannabis. Le procureur de la République, en cas de contrôle routier doit apprécier
s’il y a lieu de renoncer aux poursuites pour conduite de VTM après usage de stupéfiants à
l’encontre du conducteur en ayant fait usage de Ritaline®. Le conducteur peut prouver par des
certificats médicaux antérieurs au contrôle que le médicament n’affecte pas sa conduite. La
solution sera ainsi appréciée au cas par cas. En définitive, dans une telle situation on accorde
au mis en cause le droit de repousser la preuve scientifique par un certificat médical. Cette idée
semble transposable aux médicaments comportant de l’opium ou de la morphine. Cette solution
est-elle, pour autant, applicable au cannabis thérapeutique ? Il demeure des incertitudes,
notamment liées à la détection de certaines substances. Il semble qu’ici encore la preuve
scientifique ne prouve pas l’incompatibilité entre une prise de substance psychoactive et la
conduite. La preuve scientifique ne permet de prouver que la prise de médicament, et non son
influence, ce qui est contraire au sens de l’infraction en cause. Un phénomène, très rare certes,
ne doit pas non plus être négligé : celui d’une « auto-fermentation ».
272. La preuve d’une prise d’alcool découlant d’une « auto-fermentation ». Le
phénomène d’« auto-fermentation » ou d’« auto-brasserie » consiste en une fermentation
biologique dans l’intestin à cause d’une présence exceptionnelle de levure – normalement
éliminée par le foie, hormis après une prise importante d’antibiotiques notamment – permettant
de transformer les sucres, tel l’amidon
1049de l’intestin en alcool
1050. Les intestins peuvent
exceptionnellement fermenter de l’éthanol à partir de sucres ingérés lors de repas
1051. Or, dans
ces cas d’une extrême rareté la personne est contrôlée positive à l’alcool : elle est ivre et
pourtant elle n’a fait que consommer des sucres qui vont ensuite fermenter dans son intestin.
Comment une telle personne pourrait-elle se défendre et prouver qu’elle n’a rien consommé ?
1048 Rép. min. Q. n°66175, JOAN, 2 mars 2010, p. 2452.
1049 Présent dans les pâtes, le riz ou les pommes de terre notamment.
1050 T. CAVAILLÉ, « Ivre sans boire d’alcool : une maladie rare mais réelle », Le Figaro Santé, 10 mars 2015, https://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/03/10/23491-ivre-sans-boire-dalcool-maladie-rare-mais-reelle.
1051 E. ELKAIM, « L’homme qui produisait de l’alcool dans ses intestins », Le Figaro Santé, 24 septembre 2013, https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/09/24/21298-lhomme-qui-produisait-lalcool-dans-ses-intestins.
PARTIE I–TITRE II–CHAPITRE 1
181
Les preuves scientifiques vont aller dans le sens d’une consommation d’alcool. Si dans ce cas
la conduite d’un VTM est aussi dangereuse que lorsque la prise est volontaire, la personne peut
ressentir les effets de l’ivresse sans savoir qu’elle n’a pas le droit de conduire puisqu’elle
dépasse les seuils lui autorisant de prendre le volant. Ce cas, très rare, permet, une fois de plus
de relativiser la preuve scientifique qui ne fait état, dans ce cas, que d’une présence d’alcool
dans le sang mais pas d’une prise volontaire. Or, en l’absence de prise d’alcool volontaire, ni
l’infraction obstacle ni l’aggravation prévue en cas d’accident ne peuvent être retenues,
l’élément moral des deux infractions faisant défaut. La preuve, même scientifique d’une prise
de substance est donc contestable dans la mesure où elle est faillible comme toutes les autres
preuves. C’est davantage le législateur qui fait preuve d’excès de zèle en la matière, plutôt que
les enquêteurs et magistrats au fil de la procédure
1052.
273. Conclusion de Chapitre. La preuve scientifique ne peut figurer en haut de cette
« pyramide imaginaire » des preuves en matière pénale. Il s’agit d’une preuve revêtant une
probabilité élevée qu’il faut utiliser à condition de prendre en compte sa relativité. Elle est
systématique pour les violences involontaires routières et permet d’avoir une vision quasiment
exhaustive du phénomène. De plus, cette preuve est facilitée par des technologies faillibles qui
évoluent pour tendre vers de meilleurs résultats. Il ne faut donc pas négliger ces preuves : il
convient de leur accorder un crédit limité. En droit pénal, aucune reine des preuves ne peut et
ne doit être énoncée. En intégrant cette preuve à l’élément matériel de l’infraction, le législateur
en a pourtant fait une véritable preuve légale et l’a, de ce fait, sacralisée. Il est impératif que le
juge pénal ait conscience de la libre appréciation de cette preuve scientifique et des défaillances
dont elle peut faire l’objet. Le juge ne peut – comme il le fait parfois en matière d’expertise
1053– abandonner aux sachants la responsabilité de trancher une question pourtant en suspens. Le
pouvoir judiciaire ne doit en effet pas se réfugier derrière l’influence grandissante du savoir
scientifique pour se déresponsabiliser de certaines décisions
1054, mais il doit apprécier librement
ces preuves scientifiques. Il faut se méfier de la surmédicalisation du droit pénal.
274. La preuve scientifique, bien que contestable, est pourtant souvent utilisée. Elle
permet, en dépit de ces failles, la reconnaissance de nombreuses violences involontaires qui
1052 J.-F. DREUILLE, L’excès de zèle en matière pénale, prec. cit., p. 195 et s.
1053 Cf. infra nos 527 et 562 et s.
LA PREUVE FACILITÉE DE LA PRISE DE SUBSTANCES EXPLIQUANT LE RECENSEMENT IMPORTANT DE VIOLENCES INVOLONTAIRES AGGRAVÉES