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2.1 - Invisibilisation des inégalités sociales et théorie de la « moyennisation »

La désaffection des sociologues français pour la question des inégalités sociales de santé est, pour plusieurs raisons, surprenante. D’abord, parce que la recherche sur cette thématique a été particulièrement active dans de nombreux pays. Ensuite, parce qu’en France ces inégalités sont plus importantes que dans les autres pays européens (Drever & al., 1996 ; Kunst, 1997 ; Mackenbach & al., 2008). La France se situe, en effet, particulièrement mal pour certains indicateurs, tels que la mortalité. La différence de mortalité entre les hommes62 exerçant une profession manuelle et les autres y est, par exemple, deux fois supérieure à celle de pays tels que l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Suède ou le Danemark (Kunst & Mackenbach, 1994 cités dans Goldberg & al., 2002).

Il convient de souligner que ce phénomène de non-prise en compte des inégalités sociales n’est pas spécifique du champ de la sociologie de la santé. Le problème est bien plus général et concerne la discipline dans son ensemble. « Nous serions passé de l’hégémonie du recours à cette notion pour expliquer les écarts de conduites, de cultures et de modes de vie (dans les années 1960 et 1970), à son effondrement (au cours des années 1980 […]), puis à sa disparition » (Chopart & Martin, 2004, p. 13). Les auteurs de l’ouvrage La France Invisible pointent ainsi la « dévaluation de la catégorie de classe dans le langage savant pour décrire ou parler du monde social » (Confavreux, Lindgaard & Beaud, 2006, p. 464). Stéphane Beaud remarque que « certains thèmes ou objets sont aujourd’hui peu traités ou oubliés par la discipline », en particulier « l’analyse des classes sociales et de la stratification sociale [où] les manques, tant en termes de données statistiques qu’en termes d’enquêtes de terrain, sont devenus les plus criants », quand bien même « la sociologie des classes sociales était un domaine florissant de la sociologie française » (Beaud, 2006, p. 463-464).

62 De 45 à 59 ans.

Par conséquent, différents chercheurs se sont penchés sur les raisons de l’« éclipse » du thème des classes sociales. L’hypothèse principale pour en rendre compte est celle qui met en cause le succès de la thèse de la « moyennisation » de la société française. Autrement dit, le débat sociologique qui a porté sur la « mort des classes sociales ». Débat qui défendait l’idée selon laquelle les inégalités de classes étaient supplantées par d’autres divisions sociales (Lee & Turner, 1996 ; Scamber & Higgs, 1999).

Dans les années 1960 à 1980, de nombreux auteurs décrivent ainsi l’émergence d’une société où les classes moyennes seraient centrales et où, par conséquent, les conflits de classe n’occuperaient plus une place déterminante (Chauvel, 2001 ; Bosc, 2013 cités dans Siblot & al., 2015). Aux États-Unis, il est possible de mentionner les travaux de Robert Nisbet, The Rise and Fall of Social Class (1959), de Daniel Bell, Vers la société post-industrielle : essai de prospective sociologique (1973, traduction 1976) ou encore de Ronald Ingelhardt, The Silent Revolution (1977) (Siblot & al., 2015, p. 32).

En France, ce sont principalement les travaux d’Henri Mendras (1988) qui s’inscrivent dans cette perspective. Mendras met l’accent sur les transformations intervenues au cours de la période 1965-1984, à savoir : un développement de l’activité professionnelle féminine, une amélioration généralisée des conditions de vie, un développement de la consommation et des loisirs de masse, un allongement des scolarités ou encore une extension de la protection sociale. Il défendait l’idée selon laquelle nous assistions à un délitement des classes telles que nous les connaissions et à une homogénéisation des modes et conditions de vie. Mendras y percevait l’émergence d’une nouvelle structure sociale caractérisée par l’essor d’une vaste classe moyenne, aux extrémités de laquelle se situeraient, résiduellement, les « élites » et la « pauvreté ». L’espace social est alors représenté sous la forme d’une toupie où le haut représente la minorité des élites et le bas une frange de pauvreté (Siblot & al., 2015, p. 32). Dans cette perspective, Le Dictionnaire crique de la sociologie de Raymond Boudon et François Bourricaud, abandonne ainsi, en 1982, l’entrée « classe sociale » qu’il remplace par « stratification sociale ». Cette idée de la disparition des classes sociales connaît donc une expansion considérable dans les années 80, en France (ibid.).

Au cours des années 90, un chômage persistant et différents phénomènes de précarisation contribuent au développement d’approches en termes d’exclusion. Cette approche émerge initialement en dehors du champ de la sociologie, dans des rapports de hauts fonctionnaires et de responsables d’associations œuvrant à la prise en charge des « pauvres » et s’inscrit dans la continuité de la théorie de la « moyennisation » (ibid.). Une nouvelle représentation de la

société se met progressivement en place : celle d’une société duale avec, d’un côté, des « inclus » et de l’autre des « exclus ».

Emmanuel Pierru et Alexis Spire observent ainsi qu’à partir de 1996, dans la revue de l’Insee Données sociales, le syntagme de « groupes sociaux » s’efface au profit de thèmes tels que la précarité, la pauvreté, l’exclusion ou encore le lien social alors même que les catégories socio- professionnelles sont reléguées au second plan (Pierru & Spire, 2008, p. 464 & 466)63. On assiste ainsi, pour Robert Castel, à « une situation collective de dé-collectivation » qui se cristallise sous la notion d’exclusion et « donne à comprendre sous une forme individualisée des trajectoires collectives de disqualification » (Castel, 2003, p. 16 ; Chopart & Martin, 2004, p. 9).

Comme le souligne Pierre Aïach, le thème de l’exclusion prend donc progressivement le pas sur celui des inégalités sociales qui, sans conteste, a disparu, ne faisant que de « furtives apparitions, en particulier dans le champ de la santé où, peut-être, l’existence de statistiques de routine sur la mortalité sociale [permet de] rappeler la brutale réalité » (Aïach, 2008b, p. 272-273). Ainsi, alors qu’Ulrich Beck et Pierre Rosanvallon s’accordent sur la montée des inégalités, ils refusent de la lier aux classes dont ils postulent la disparition. Selon Ulrich Beck « de larges pans de la population ont fait l’expérience de transformations et d’améliorations de leurs modes de vie, plus décisives au regard de leur propre expérience que les écarts persistants entre leurs situations et celles des autres groupes » (Beck, 2001, p 167).

De même, la nomenclature de l’Insee fait alors l’objet de vives critiques (Goux & Morin, 2000 ; Rosanvallon, 1995 ; Fitoussi & Rosanvallon, 1996). Pour Rosenvallon et Fitoussi, la nomenclature serait dépassée : « conçues et mises en place dans les années 1950 pour saisir une société de classe, cloisonnée, organisée hiérarchiquement, aux mouvements relativement lents […] [elles] ne saisissent qu’une part limitée de la société actuelle. » (Fitoussi & Rosanvallon, 1996, p. 25).

Cette nouvelle vision du monde a eu un impact concret dans les politiques mises en œuvre. Le gouvernement en place en 1995 disposait ainsi de quatre ministres et secrétaires d’État chargés de lutter contre l’exclusion. De même, deux lois ciblant cette thématique ont été mises en place : l’une portant sur la « prévention des exclusions » et l’autre concernant la

63 Ainsi, pour les auteurs, « dans les publications de l’Insee, les inégalités (face aux risques sociaux notamment) sont de moins en moins liées à une structure de « classe » qui se reproduit : elles sont présentées sur un mode de plus en plus personnel » (Pierru & Spire, 2008, p. 477).

mise en œuvre d’une « Couverture Médicale Universelle » (CMU, en 1999), visant à donner aux « exclus » la possibilité de se faire soigner.

Cette thèse a également eu un impact dans la recherche, en particulier chez les sociologues. Le thème de l’exclusion s’est développé aussi bien dans la société qu’en sociologie. Les approches classistes se sont marginalisées au profit de l’étude d’autres clivages.

Pour le sociologue Marcel Drulhe, ce phénomène de polarisation sur l’exclusion, la pauvreté ou encore la précarité dépasse le cadre des politiques de santé : « cette constance dans l’“invisibilisation” des inégalités sociales de santé sur la scène publique prolonge des processus de même nature concernant plus généralement les inégalités sociales dans des domaines divers comme l’école ou le logement : la “nouvelle” question sociale, très largement abordée en termes d’exclusion et de pauvreté, en témoigne » (Drulhe, 2000, p.49). Aussi, il semblerait que la thématique des inégalités ait été « absorbée » par celle de l’exclusion, « tant dans les politiques nationales en général que dans le domaine sanitaire en particulier, pour lequel les préoccupations portent essentiellement sur l’accès aux droits et aux soins. » (Leclerc & al., 2000, p. 17).

Ces évolutions ont donc abouti à l’image d’une société duale, que les chercheurs en sciences sociales ont largement contribué à diffuser et à accréditer. Néanmoins, au cours des années 90, des critiques ont commencé à émerger et à la questionner (Leclerc & al., 2000, p. 17).

La thèse de la fin des classes sociales et de la moyennisation ne résiste pas face au constat du maintien des inégalités entre les groupes sociaux (Bihr, 2012, p. 13 ; Siblot & al., 2015, p. 33). « La société française reste une société segmentée, dans laquelle des groupes sociaux divers continuent à présenter de forts contrastes dans leurs modes et styles de vie respectifs » (Bihr, 2012, p. 13). Des approches renouvelées des classes sociales voient alors le jour et pointent la persistance des clivages de classe dans des domaines divers, tels que les pratiques de consommation ou encore les pratiques résidentielles. Certains auteurs font alors l’état d’un « retour des classes sociales » (Chauvel, 2001 ; Gauthier & Lojkine, 2003 ; Bouffartigue, 2004 ; Pfefferkorn, 2007). Néanmoins, il n’est pas certain que ce renouvellement ait profondément modifié l’appréhension politique des questions de santé.

2.2 – Une thématique de la « santé -précarité » contre celle de l’inégalité sociale

Il existe, par conséquent, aujourd’hui deux façons d’appréhender les relations entre situation sociale et santé, tant dans les travaux scientifiques que dans les politiques sanitaires. Il y a, d’une part, des approches en termes de « santé-précarité », plutôt répandues, et d’autre part, des approches en termes d’inégalités sociales, plutôt marginales.

La première approche consiste à prendre en compte les « phénomènes les plus visibles, à savoir la pauvreté ou, dans les termes utilisés au cours de la période récente, l’exclusion ». Cette approche est celle que développent les recherches sociologiques portant sur des thématiques telles que les chômeurs, les sans-domiciles fixes, les bénéficiaires des dispositifs d’insertion et des services d’aide sociale. La seconde approche s’intéresse, quant à elle, à « l’ensemble du corps social », et notamment à « la façon dont s’y inscrit un gradient sanitaire entre différentes catégories sociales » (Leclerc & al., 2000, p. 429). C’est cette approche que nous développons et qui est celle des recherches portant sur les inégalités sociales de santé.

Force est de constater qu’étudier le lien entre santé et situation sociale au prisme de la précarité ou des inégalités sociales n’a pas les mêmes implications. Les termes d’inégalité et d’exclusion recouvrent, en effet, des différences d’objet. La question des inégalités sociales de santé est souvent assimilée, à tort, à la problématique de la santé des plus démunis. Pourtant, les différences d’états de santé ne se réduisent pas en une opposition précaires / non précaires, mais s’inscrivent dans un réel gradient social de santé. Conception que défendent les approches en termes d’inégalités sociales de santé. La question des inégalités sociales renvoie, en effet, à une organisation hiérarchique de la société (ibid., p. 17).

Comme le remarque Anna Masullo, choisir le terme inégalité « souligne l’importance de ne pas prendre en compte seulement des groupes aux marges de la société » puisque l’on considère que « les phénomènes qui relèvent de la santé sont structurels et traversent de part en part la société ». Ainsi, politiquement, « ce terme renforce le postulat suivant : c’est la société qui produit les disparités, résultats d’évolutions dont tous les groupes sociaux sont “solidaires” dans la mesure où ils sont tous liés » aussi « leur réduction suppose des interventions distributives qui concernent toute la société » (Masullo, 2006).

Parler d’inégalité sociale, c’est donc tenir compte de l’ensemble structuré d’une société de classe hiérarchisée du point de vue de la richesse matérielle, du pouvoir et du savoir. À l’inverse, les approches en termes d’exclusion mettent la focale sur une partie de la population, peu dotée en biens matériels et culturels : les « exclus », considérant alors que ceux qui ne sont pas exclus sont nécessairement « inclus ». Or, il existe une différence fondamentale entre les deux notions. D’un côté, avec l’exclusion, on fait disparaître l’idée de hiérarchie et, par là même, la comparaison entre groupes sociaux donnant à voir la position dominante de certains et dominée d’autres, dont l’ensemble définit la situation d’inégalité. De l’autre, avec l’inégalité, on considère l’inégale répartition des biens et ressources entre les membres d’une même société induisant par conséquent l’idée de justice sociale. En effet, « c’est lorsqu’elle constitue une injustice que l’inégalité est à condamner et que l’on peut vouloir lutter contre elle ». Or, avec la notion d’exclusion, rien de tel ne se produit. Dans cette vision, il est inutile de « désigner un coupable » puisque « c’est l’ensemble de la société qui est fautif » (Aïach & Niewiadomski, 2008, p. 247).

Aussi, peut-être pourrions-nous considérer, comme le suggère Pierre Aïach, que : « l’inégalité est la preuve tangible que nous sommes encore dans une société de classes, même si leur composition et leur contenu (en termes de pratiques, de rapports sociaux, d’idéologies) évoluent en fonction des transformations que connaît la société française » (Aïach, 2010, p.21). Société de classe, mais également d’autres rapports sociaux de sexe, d’âge ou de « race »64 que le sociologue se doit d’investiguer afin de permettre à un débat, public et politique, d’exister.

2.3 – Une prise en compte politique récente des inégalités sociales de santé

Ces dernières années, un regain d’intérêt s’observe pour la question des inégalités sociales de santé, en particulier en matière de cancer. La période qui fait suite aux années 2000 a été marquée par une recrudescence des travaux autour de cette thématique. De nombreux rapports, ouvrages et articles mettent en évidence l’importance de ces inégalités et proposent des pistes d’actions pour les réduire (Leclerc, Fassin, Grandjean, Kaminski & Lang, 2000 ; Aïach, Marseille & Theis, 2004 ; Druhle, 2006 ; Aïach & Niewiadomski, 2008 ; HCSP,

64 Comme d’autres, nous avons choisi d’utiliser ici le terme de race que nous placerons entre guillemets « pour souligner qu’il s’agit d’une construction sociale qui est aussi une catégorie de pouvoir et non un critère objectif de classification des groupes humains (Garcia, 2012, p. 148). Nous avons préféré ce terme à celui parfois utilisé de rapports ethniques en raison de leur différence de signification. Colette Guillaumin (1972) observe en effet que ce terme, issu de l’anthropologie culturelle, n’est qu’un élément signifiant la « race » parmi d’autres.

2009 ; Potvin, Moquet & Jones C, 2010 ; Aïach, 2010 ; Lang & al., 2013 ; Gelly & Pitti, 2016).

Cet intérêt nouveau tient sans doute à l’imposition progressive de cette question comme objet politique. Elle est, en effet, devenue « une urgence mondiale sous les effets de la crise économique ». Par conséquent, « les appels nationaux et internationaux à l’action ne cessent de se faire plus pressants » (Potvin & al., 2010, p. 36).

Cette politisation tient, notamment, à l’action de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui s’est emparée de cette problématique et l’a mise à son agenda65. Tout d’abord, à

l’occasion de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires réunie à Alma-Ata en 197866 et où les organisations nationales et internationales de santé publique ont été incitées à poursuivre un objectif d’équité en matière de santé. Puis dès 1985, lorsque la politique-cadre de la Santé pour tous de la région européenne de l’OMS affirma l’importance de réduire les inégalités sociales et économiques pour améliorer l’état de santé des populations. Elle se fixa pour objectif de réduire de 25% les différences d’état de santé entre les pays et entre les groupes sociaux au sein de ces pays à l’horizon de l’an 200067

(Potvin & al., 2016, p. 73). Enfin, toujours dans cette perspective, en 2008, la commission des déterminants sociaux de la santé (GDSS) de l’OMS68 propose dans son rapport « Closing the gap in a generation, health equity through action on the social determinants of health » de « réduire les écarts en une génération ».

Dans cette lignée, l’Union Européenne s’est engagée à la réduction des inégalités sociales de santé. La stratégie de Lisbonne (2000-2010), objectif politique global de l’UE, intègre ainsi les années de vie en bonne santé comme l’un des 50 indicateurs de suivi. En outre, son programme de santé publique (2008-2013) met l’accent sur les inégalités de santé et les

65 L’OMS Europe a notamment soutenu la création de l’European Society for Health and Medical Sociology (ESHMS), réseau européen de sociologues de la santé, fondé en 1986 pour étudier les inégalités sociales de santé.

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Organisation mondiale de la sante (1978), « La déclaration d’Alma Ata », En ligne : http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0005/113882/E93945.pdf

67 En ı986, se déroule ainsi la première conférence internationale pour la promotion de la sante qui abouti à l’adoption par l’OMS-Europe de la « charte d’Ottawa pour la promotion de la sante » et engage les États signataires à poursuivre l’équité en matière de sante. OMS (1986) « La charte d’Ottawa pour la promotion de la sante », En ligne : http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0003/129675/Ottawa_Charter_F.pdf.

68 Formée en 2005, cette commission regroupe des responsables politiques, des universitaires, d’anciens chefs d’État et des ministres.

Cf : Organisation mondiale de la sante (2008), « Rapport final de la Commission des déterminants sociaux de la sante », Genève, 40 p. En ligne : http://whqlibdoc.who.int/hq/2008/WHO_IER_CSDH_08.1_fre.pdf.

déterminants sociaux de la santé (HCSP, 2009, p. 65). Toutefois, « les différents pays européens sont aujourd’hui à des phases très différentes dans la mise en œuvre de politiques de lutte contre les inégalités sociales de santé, tant du point de vue des processus d’élaboration de ces politiques que de leur contenu » (Potvin & al., 2016, p. 78). En France, la prise en compte des inégalités sociales de santé dans la politique est plus récente et loin d’être aussi aboutie que dans des pays tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suède. En 2009, le HCSP remarque ainsi qu’elle se caractérise par l’absence de politique explicite dans ce domaine (HCSP, 2009, p. 12). Néanmoins, les prémisses d’une considération pour cet objet s’observent. En 1994, le HCSP inscrit, en effet, la réduction des conséquences sanitaires des inégalités sociales de santé dans ses objectifs à moyen terme69 et ses objectifs intermédiaires70. La lutte contre les inégalités de santé est inscrite dans les programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins (PRAPS) crées par la loi de 1998 (Potvin & al., 2016, p. 89). Une politique plus systématique de réduction des inégalités de santé se concrétise ensuite avec le rapport d’objectifs annexé à la loi du 9 août 2004 relative à la politique de Santé Publique. Parmi les 100 objectifs définis, deux sont, en effet, en lien direct avec ces dernières. L’objectif 33 qui vise à diminuer les obstacles à l’accès aux soins pour les personnes dont les revenus sont légèrement supérieurs au seuil pour la CMU et l’objectif 34 qui vise à réduire les inégalités devant la maladie et la mort (INCa, 2012). Il s’agit également d’une mission des Agences Régionales de Santé (ARS), telles que définies dans la loi de 200471. Enfin, plus récemment, la dernière loi de santé, promulguée en janvier 2016, fait de la lutte contre « les injustices et les inégalités de santé et d’accès au système de soins » l’un des « trois défis majeurs » à relever.

La plupart du temps, l’approche française des inégalités sociales de santé reste toutefois centrée sur la question de la précarité et de l’exclusion. Les actions pour les combattre reposent principalement sur le système de santé et sont circonscrites aux personnes les plus démunies72. Tendanciellement, le débat public français reste fixé sur la question du recours

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Ces objectifs sont les suivants : « réduire les décès évitables », « réduire les incapacités évitables », « améliorer la qualité de vie des personnes handicapées et malades » et « réduire les inégalités face à la santé ». 70 « Assurer des conditions de vie décentes aux personnes en situation très précaire » et « favoriser leur réinsertion sociale et améliorer l’accès aux services médicaux et sociaux des populations défavorisées ».