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Ma méconnaissance du monde hospitalier et de la cancérologie aura été bénéfique dans la mesure où j’ai pu rester curieuse de tout, évitant ainsi d’imposer à mes observations une grille de lecture prédéterminée.

L’observation des groupes de parole et mon intromission dans le milieu associatif m’ont permis de découvrir une population spécifique aux trajectoires intéressantes. Une population essentiellement féminine, relativement bien informée quant aux supports et ressources existants dont elle s’empare. Ces observations m’ont permis, d’une part, de me pencher sur le profil des recourants à ce type d’offre et, d’autre part, de réfléchir et de questionner l’offre régionale en matière de cancer (les supports mis à disposition) ainsi que son impact sur les inégalités sociales107.

Les observations réalisées en milieu hospitalier, de consultations et de RCP, m’ont aidé à mieux comprendre l’univers de la cancérologie, notamment les termes, les problématiques, les pratiques et les parcours de soins. Cela m’a également permis d’observer les pratiques d’un nombre important de malades, aux origines sociales diversifiées. J’ai ainsi pu mesurer la diversité des trajectoires et pratiques en fonction des catégories de patients : hommes, femmes, classes populaires, classes moyennes, classes supérieures, jeune, vieux, etc. Grâce à ces observations, j’ai pu « voir » et « entendre », dans le contexte d’interactions, des patients que je n’aurais, sans doute, pas pu rencontrer dans le cadre d’un entretien ou qui, dans ce cadre, ne m’auraient pas « livré » ce que les observations m’ont permis de découvrir. Enfin, j’ai également pu accéder de cette manière à la réalité des pratiques professionnelles et, à partir de là, me pencher sur les inégalités qui se jouent au cœur du système de soins. Inégalités dont on a, aujourd’hui encore, assez peu rendu compte108

. L’observation directe m’a, ainsi, permis d’appréhender les effets de certaines « propriétés sociales », telles que l’appartenance sociale, le genre ou encore l’âge, dans la relation aux professionnels ainsi que dans les trajectoires au sein du système de soins.

Comme je l’ai précisé, si différents terrains ont été mobilisés c’était dans l’objectif de diversifier la population rencontrée. Je souhaitais notamment rencontrer des hommes ; ce qui n’avait pas été le cas – ou trop peu – dans les associations et en sénologie ; ainsi que des membres des classes populaires. Autrement dit, des publics qui se révèlent peu faciles d’accès

107

Ce dont nous traiterons tout particulièrement dans notre Chapitre 8. 108 Cela sera, en particulier, l’objet de notre Chapitre 5.

et qui supposent la mise en œuvre de stratégies afin de les approcher. C’est dans cet objectif que j’ai poursuivi mon recueil de données en cancérologie des VADS. Le Dr P m’avait, en effet, suggéré d’y aller afin de voir « des choses différentes ».

Les professionnels sont nombreux à souligner la différence de population entre la cancérologie des VADS et la sénologie. Le Dr U m’expliquera ainsi, lors de notre entretien : qu’en sénologie « on dit toujours que c’est le haut du panier », alors qu’a contrario ils ont (en VADS) « une population socialement défavorisée » [Entretien juin 2014].

Cette idée est également exprimée par le Dr B qui remarque : « le problème ici c’est qu’on a une population, donc dans la carcinologie on va dire des VADS, qui est un peu particulière, les milieux socio qui sont souvent défavorisés […]. On ne peut pas comparer la population des patients d’ORL avec ceux de sénologie, c’est totalement différent » [Entretien mai 2014]. De la même manière, les infirmières du service soulignent régulièrement la différence populationnelle entre les services de sénologie et de cancérologie VADS. D’après elles, les patientes de sénologie seraient plus « pénibles » que leurs patients. Ce qu’elles jugent négativement puisqu’elles les considèrent moins légitimes à se plaindre que leurs patients qui, généralement, ont subi des chirurgies particulièrement lourdes et invasives.

Cette différence de population mentionnée par les professionnels s’est confirmée lors de mes

observations. Alors qu’en sénologie j’ai rencontré exclusivement des femmes, en

cancérologie VADS la tendance est inverse. Les hommes y sont majoritaires109. Si les publics divergent en fonction du genre, la différence la plus notable réside toutefois dans leur composition sociale, ce que les tableaux ci-dessous (n°4 et 5) illustrent. La proportion de membres des catégories moyennes et supérieures est plus importante en sénologie qu’en cancérologie des VADS. À l’inverse, les soignés issus des classes populaires sont plus souvent rencontrés en cancérologie des VADS110.

Tableau 4 - Tableau récapitulatif des PCS des patients en sénologie et en cancérologie VADS*

109 Lors de mes observations, que ce soit en RCP ou en consultation, 76% des patients étaient des hommes. Les cancers des VADS touchent plus fréquemment ces derniers. Les cancers de la lèvre, de la cavité buccale et du pharynx touchent à 71 % des hommes et les cancers du larynx à 85 % (Poirier, 2014).

110 Les Professions et Catégories Socioprofessionnelles (PCS) de 35% des patientes rencontrées en sénologie (n=32) ont été obtenues. En consultation VADS, les PCS de 72.5% des patients (n=158) ont été obtenues. Enfin, en RCP, les PCS de 48% des patients (n=243) rencontrés ont été obtenues. Si les chiffres des PCS obtenus sont si variables c’est parce que j’étais dépendante de la bonne volonté des professionnels pour les obtenir, ce que j’expliciterai par la suite.

PCS selon la nomenclature 2003 de

l’Insee Femmes en VADS

(n=89) Hommes en VADS (n=310) Total en VADS (n=399) Sénologie (n=32) 1 – Agriculteurs exploitants 2% 1% 1,5% 0%

2 - Artisans, commerçants et chefs d’entreprise

5,5% 7,5% 7% 3%

3 - Cadres et professions intellectuelles supérieures

26% 9% 12% 19%

4 - Professions intermédiaires 8% 8,5% 8,5% 31%

5 - Employés 23,5% 15% 17% 25%

6 - Ouvriers 13,5% 53% 44,5% 16%

8 – Autres personnes sans activité professionnelle (inactifs, chômeurs)

21,5% 6% 9,5% 6%

*Nous avons classé les personnes à la retraite et au chômage en fonction du dernier emploi occupé lorsqu’il était connu. Le cas échéant, nous avons classé les personnes au chômage dans la catégorie 8 et n’avons pas répertorié les personnes à la retraite dont nous ignorions l’emploi exercé. Enfin, lorsque la profession du/de la conjoint(e) était connue nous prenions en compte la profession la plus élevée du couple.

Tableau 5 - Tableau récapitulatif des groupes sociaux en sénologie et en cancérologie VADS

Cancérologie des VADS (n=399) Sénologie (n=32)

Catégories supérieures 14% 37,5%

Catégories moyennes 24% 34,5%

Catégories populaires 62% 28%

Catégories moyennes et supérieures 38% 72%

En raison de la faiblesse de mon effectif en sénologie (n=32), il convient de considérer ces résultats avec prudence. S’ils n’ont aucune valeur absolue, il m’a toutefois semblé pertinent de les mobiliser à titre d’illustration car ils confortent le sentiment que j’ai pu avoir au cours de mes observations. J’ai, en effet, nettement perçu la différence populationnelle dont ces « chiffres » rendent compte. Ils corroborent, par ailleurs, les discours des praticiens à propos des publics propres à chacune de ces localisations. Enfin, ces différences de population en fonction des services investigués sont cohérentes avec les données épidémiologiques en matière d’incidence sociale des cancers. Nous l’avons vu, certains cancers sont plus fréquents dans les milieux socio-économiques défavorisés, quand d’autres, plus rares, le sont dans les groupes sociaux favorisés. C’est le cas du cancer du sein et des cancers des VADS. Concernant les cancers du sein, les femmes ayant une situation sociale élevée présentent les taux d’incidence les plus élevés (Herbert & Launoy, 2000). À l’inverse, les cancers des VADS sont ceux pour lesquels le lien, entre le statut socio-économique et la probabilité de développer un cancer (l’incidence), est le plus fort. Ce sont ces différences d’incidence, variables en fonction des localisations, qui contribuent à ce que nous retrouvions des

populations différentes en fonction des départements investigués et des localisations qui y sont prises en charge.