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Lucie156 est âgée de 64 ans, elle était agent de cantine. Son conjoint est commercial et ils sont, à présent, tous deux à la retraite. Un cancer du sein gauche non métastatique lui a été diagnostiqué à la fin du mois de juillet 2010. En prenant sa douche, Lucie s’est aperçue de la présence d’une « boule au sein » qu’elle qualifie de « petite ». Elle a d’abord tenté de se rassurer, se disant que ce n’était pas grave et que cela allait passer : « je me disais bon c’est une petite chose qui va passer ». Cependant, le lendemain, Lucie a constaté que « la boule » était toujours présente. Elle a donc décidé de se rendre chez son médecin traitant. Lucie nous explique que son médecin ne lui a « pas dit le mot ». Il lui a dit « on ne reste pas avec ça » et a rédigé une ordonnance pour une mammographie et une échographie à passer « immédiatement ». Lucie faisait déjà régulièrement des contrôles mammographiques. Tous les deux ans avec Opaline. Son dernier contrôle remontait à 2009 et le prochain était prévu en février 2011. Lucie nous explique qu’après cette mammographie « tout s’est enchaîné ». Elle a rencontré un spécialiste à Arras et des examens complémentaires ont été réalisés. Une biopsie notamment, puis des traitements ont été actés. En août 2010, Lucie a été opérée. On ne lui a pas enlevé le sein, mais « la tumeur » qui faisait « deux centimètres et demi ». Ensuite, en septembre, Lucie a commencé une radiochimiothérapie. Elle a reçu 18 cures de chimiothérapie et 36 séances de radiothérapie. À présent, Lucie est en rémission : « jusqu’en 2015 » nous dit-elle. Elle continue à être surveillée à intervalles réguliers, tous les 6 mois.

155 Alors que les premières consultations que nous avons observées avaient une durée moyenne de 28,3 min, celle des autres n’est que de 9 min.

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Lucie, 64 ans, cancer du sein, agent de cantine, C : commercial, mariée, 2 enfants, entretien juillet 2013, membre Ligue Ville A.

Pierre-Marie157 est âgé de 59 ans. Il est marié et n’a pas d’enfant. Pierre-Marie travaillait comme fraiseur-outilleur lorsque son cancer lui a été diagnostiqué. Sa femme n’exerce pas d’activité professionnelle. Une lésion de la langue lui a été diagnostiquée en mai 2014. Pierre- Marie nous explique qu’il a d’abord eu « un petit bouton sur la langue ». Il a pensé à un aphte : « je me suis dit c’est peut être un aphte ou quoi, vous voyez, un aphte c’est un bouton ». Mais ce petit bouton a « grossi, grossi » et a entraîné des difficultés pour s’alimenter. Pierre-Marie raconte : « j’avais du mal à manger », « les spaghettis je les avalais mais à la fin j’étais obligé de les couper en mini morceau ». Par la suite, Pierre-Marie a eu « du mal à parler ». La lésion évoluait et « c’était de pire en pire ». Il a ensuite « craché du sang ». Pierre-Marie nous explique que sa femme a commencé à « se poser des questions ». Sa femme, présente lors de l’entretien, souligne que Pierre-Marie ne lui a rien dit. Elle s’est aperçue elle-même des symptômes, après quelque temps :

« Il ne disait rien […] c’est moi, je m’en suis rendue compte et j’ai dit : tu as un problème […]. Je me rendais compte qu’il parlait bizarrement et un jour, deux jours, au bout du troisième jour j’ai dit : c’est pas normal, tu parles pas comme d’habitude, puis il m’a dit “ben j’ai un bouton en dessous de ma langue”, et quand il m’a dit ça j’ai dit allez hop, tout de suite, médecin ! » [Entretien Pierre- Marie, décembre 2015].

Ainsi, c’est sa femme qui, lorsqu’elle s’est aperçue de la symptomatologie, a pris rendez-vous chez le médecin. Cela faisait alors un mois que Pierre-Marie crachait du sang et bien plus longtemps que les premiers symptômes étaient apparus. Pierre-Marie est d’abord allé voir son médecin généraliste qui l’a orienté directement vers un chirurgien spécialiste. Une biopsie a été réalisée et a confirmé le diagnostic de cancer. La lésion était évoluée, il s’agissait d’un stade 4, soit le stade le plus avancé. Une chimiothérapie puis une radiochimiothérapie concomitante ont été actées. Pierre-Marie est, à présent, en rémission, il a présenté une bonne réponse aux traitements. Néanmoins, il est encore suivi tous les trois mois par son chirurgien.

Les cas de Lucie et de Pierre-Marie illustrent deux schémas diagnostiques identiques : l’apparition d’une symptomatologie qui débouche sur une consultation médicale et un diagnostic de cancer. Cependant, les itinéraires diagnostiques de Lucie et de Pierre-Marie

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Pierre-Marie, 59 ans, cancer de l’oropharynx, fraiseur-outilleur, C : sans activité, marié, sans enfant, entretien décembre 2015.

permettent de rendre compte des différences possibles en termes de modalités et de temporalité.

Lucie a réagi rapidement lorsqu’elle a détecté un dysfonctionnement (une petite boule au sein). Dès le lendemain, elle a pris rendez-vous avec son médecin traitant. Lucie avait déjà l’habitude de se surveiller puisqu’elle participait régulièrement aux campagnes de dépistages du cancer du sein.

Pierre-Marie, quant à lui, a également détecté un dysfonctionnement : « un petit bouton sur la langue », néanmoins celui-ci ne l’a pas immédiatement alerté. Il l’a d’abord considéré comme un événement bénin et n’a donc pas enclenché une activité de recherche diagnostique. Sa symptomatologie a évolué et est devenue très impactante dans son quotidien : il a rencontré des difficultés pour s’exprimer, pour s’alimenter et a dû adapter son alimentation, puis il a craché du sang. C’est uniquement lorsque sa femme s’est aperçue de sa symptomatologie que le recours médical a eu lieu.

L’existence de disparités dans les temporalités diagnostiques a déjà été soulignée dans la littérature. Marie Ménoret, notamment, remarquait que « les signes de maladie, lorsqu’ils existent, peuvent être alarmants ou anodins ; ils peuvent être ou non relevés en tant que tels ; ils peuvent encore être récusés ou au contraire exacerbés » (Ménoret, 1999, p. 166-168). Au départ des processus de cancer, les personnes se retrouvent « auto-diagnosticiennes ». Une fois qu’un dysfonctionnement organique est identifié, elles dirigent elles-mêmes leur prise en charge. Aussi, la première étape tient pour beaucoup au « travail du malade ». Et, alors que l’auteure décrit une catégorie de « patients-sentinelles » (Pinell, 1992) qui « consultent un médecin avec la plus grande célérité dès qu’elles repèrent ce qui peut prendre pour elles valeur de symptôme », elle relève également des types de comportements opposés, « d’abstention diagnostique » et de détachement envers un signe de maladie où, après le repérage d’un symptôme douteux, le patient nie la nécessité du recours médical. (Ménoret, 1997, p. 284-286). Pour Marie Ménoret, les comportements d’abstention sont liés à de multiples facteurs. Elle pointe principalement deux éléments d’explication : d’une part, le niveau d’information médicale dont dispose le patient et, d’autre part, la capacité de gestion des angoisses que génère l’idée de maladie et, plus particulièrement, de cancer. Si un niveau d’information suffisant permet d’adopter un « comportement circonstancié », pour l’auteure « il ne suffit pas d’avoir intériorisé les messages de vigilance émis par les instances de prévention ou de dépistage », il faut également que « le malade, ou futur malade s’affranchisse des peurs qui sont liées à cette maladie » (ibid.).

Sans nous inscrire en désaccord avec ces éléments d’explication, nous souhaitons, pour notre part, proposer une interprétation différente. Nous adhérons à cette idée selon laquelle le niveau d’information du malade va constituer un élément primordial dans la célérité à recourir à un médecin, mais nous postulons que ce niveau d’information est inégalement réparti entre les différents groupes sociaux. De la même manière, nous souscrivons à l’idée selon laquelle il est nécessaire de surpasser ses peurs pour consulter, mais nous postulons que cette aptitude est en lien avec le niveau d’information médicale du soigné. Il nous semble, en effet, que les patients les mieux informés ont davantage intégré l’idée selon laquelle une prise en charge précoce offre des chances de survie plus importantes, information qui leur permet de surpasser davantage leurs angoisses. C’est pourquoi il nous semble pertinent de faire primer l’explication par la classe. Cette dimension apparaît centrale pour comprendre la plus ou moins grande célérité dans l’identification des symptômes et dans le recours à la biomédecine.

2.1 - Une célérité plus ou moins importante dans l’identification des symptômes

A - Des trajectoires diagnostiques célères…

Lucie nous explique avoir découvert « une boule au sein » en prenant sa douche. C’est également le cas de Monique158 qui a eu « mal au ventre », tout comme Laurence159. Olivier160 mentionne, quant à lui, un « aphte qui ne passait pas », Bernard161 évoque une « boule dans le cou » et Serge162 une « croûte dans le nez ». Ces soignés, issus des catégories moyennes et supérieures, nous présentent des dysfonctionnements dont la nature est variable mais qui apparaissent, néanmoins, avoir été identifiés précocement. Ces symptômes sont souvent décrits comme discrets, l’adjectif « petit » est redondant. Monique évoque ainsi une « petite douleur dans le bas ventre », Lucie une « petite » boule au sein, Anne-Lise163 une

158Monique, 63 ans, cancer des ovaires, décompteur analyste, divorcée, 3 enfants, entretien décembre 2014, membre Ligue.

159Laurence, 52 ans, cancer des ovaires, secrétaire de collège, divorcée, 1 enfant, entretien février 2014, membre association mots pour maux.

160Olivier, 53 ans, cancer du palais, PDG de plusieurs entreprises, marié, 2 enfants, entretien août 2015. 161

Bernard, 69 ans, cancer de la langue, directeur informatique, C : responsable logistique, marié, sans enfant, entretien août 2015.

162Serge, 56 ans, cancer du nez, technicien de prévention, C: assistante maternelle, marié, 3 enfants, entretien mars 2014, membre association mots pour maux.

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Anne-Lise, 59 ans, cancer du sein, infirmière, C : médecin, mariée, 3 enfants, entretien février 2014, membre association mots pour maux.

« toute petite tête d’épingle » au sein, Graziella164 une « petite gêne », Serge une « petite croûte dans le nez » et Bernard une « petite boule dans le cou ». Ils insistent, par ailleurs, sur le caractère non-douloureux du symptôme.

Ainsi, bien que sa nature diverge, le dysfonctionnement semble décelé précocement. Par ailleurs, il apparaît être, très vite, interprété comme pathologique. La symptomatologie initiale conduit, en effet, à un recours médical sinon immédiat, rapide. Lucie a consulté son médecin généraliste le lendemain de la découverte de sa « boule », Laurence nous explique avoir « immédiatement » pris rendez-vous chez son gynécologue, Anne-Lise a parlé de sa « tête d’épingle » à son conjoint médecin et Corine165, qui a eu une douleur dans le sein alors qu’elle

était en vacances, a consulté un médecin sur place. Bien que la symptomatologie soit discrète et non douloureuse, elle a alerté ces soignés qui l’ont interprétée comme pathologique et ont jugé nécessaire de recourir à la médecine. D’ailleurs, fréquemment, les médecins spécialistes soulignent la célérité de ces patients à consulter lors des RCP ou des consultations, tout particulièrement en cancérologie des VADS où ils font figure d’exceptions166

. Rappelons, en effet, qu’en cancérologie des VADS les lésions sont souvent diagnostiquées tardivement et que les membres des catégories moyennes et supérieures y peu représentés comparativement à ceux des classes populaires. Par conséquent, lorsque des membres de ces catégories se présentent avec des lésions peu évoluées, cela est très souvent remarqué. C’est le cas d’Isabelle167

à qui l’on a diagnostiqué une lésion du bord de langue décrite comme « peu infiltrante ». Le Dr A soulignera, en effet, en RCP que « c’est une dame qui s’est quand même alertée rapidement par rapport à d’habitude ».

Les soignés dont nous venons de présenter la trajectoire diagnostique ont consulté un médecin avec la plus grande célérité, dès lors qu’ils ont identifié un dysfonctionnement qui a pris, pour eux, valeur de symptôme. On retrouve ici la catégorie des « patients-sentinelles » décrite par Patrice Pinell et reprise par Marie Ménoret pour désigner ceux qui : « quand d’autres reculent le moment de consulter [font] appel, sans tergiverser longtemps, au diagnostic médical » (Ménoret, 1999, p. 171). Cependant, cette temporalité d’entrée rapide est loin de concerner

164Graziella, 60 ans, cancer du sein, secrétaire de direction, divorcée, 1 enfant, entretien février 2014, membre association résilience.

165Corine, 40 ans, cancer du sein, gérante d’une société de nettoyage, C : représentant, mariée, 3 enfants, entretien octobre 2013, membre Ligue Ville B.

166 62% des patients sont issus des classes populaires alors que ce n’est le cas que de 28% des patients rencontrés en sénologie ; il existe des disparités sociales face à l’incidence de certains cancers et les cancers VADS sont ceux pour lesquels le lien, entre le statut socio-économique et la probabilité de développer un cancer (l’incidence), est le plus fort.

tous les soignés. Il s’agit principalement des trajectoires de soignés issus des classes supérieures et des franges hautes des classes moyennes. Nous allons voir qu’en ce qui concerne les membres des classes populaires, les choses sont, bien souvent, différentes.

B - … quand d’autres sont moins immédiates

Robert168 qui a été pris en charge pour un cancer des VADS, nous explique qu’il était loin de s’imaginer atteint d’un cancer. Il a d’abord pensé qu’il s’agissait de quelque chose d’anodin : « pour moi c’était une grippe ou un rhume qui n’arrivait pas à passer ». Il ne « mangeait plus » puisque « plus rien [ne] passait », néanmoins il n’avait « pas mal ». Pierre-Marie169, quant à lui, avait noté la présence d’un « petit bouton sur la langue ». Il a pensé à un aphte. Christiane170 évoque des « petits saignements » qui, au départ, étaient « insignifiants », elle a pensé à des hémorroïdes. Elle souligne que, par ailleurs, elle n’avait « pas de mal de ventre, ni rien ». Gilbert171 mentionne un « petit picotement sous la langue » qui toutefois ne le gênait pas : « ça allait, j’étais pas gêné avec ça et ça a duré, ça a duré ». Il ne s’est pas inquiété car : « ça faisait rien, pas de grosseur », bien que sous sa langue « c’était un peu rouge », il s’est donc dit que ce n’était « pas grave ». Marguerite172, enfin, nous explique qu’elle « ne savait plus manger », « plus rien [ne] passait ». Elle a cru qu’il s’agissait de « la vésicule biliaire » d’autant qu’elle avait « une petite douleur à l’estomac », néanmoins cette douleur était loin d’être particulièrement intense : « mais j’veux dire pas un mal… ». Enfin, Véronique qui a eu « comme un aphte » nous explique que « c’était vraiment tout petit ».

La description des premiers symptômes ici exposée est similaire à celle présentée auparavant. Les dysfonctionnements sont également décrits comme discrets, « petits », non-douloureux, voire même « insignifiants ». Cependant, là où les trajectoires diffèrent, c’est dans l’attitude adoptée face au symptôme. Alors que dans les trajectoires précédentes, le dysfonctionnement a rapidement conduit à une mobilisation médicale, ici, ce n’est pas le cas. Les soignés sont nombreux à ne s’être, tout d’abord, pas inquiétés face à la symptomatologie, à l’instar de

168 Robert, 57 ans, cancer de la cavité buccale, agent d’entretien, célibataire, 1 enfant, entretien juillet 2015. 169 Pierre-Marie, 59 ans, cancer de l’oropharynx, fraiseur-outilleur, C : sans activité, marié, sans enfant, entretien décembre 2015.

170 Christiane, 60 ans, cancer du colon-rectum, garde d’enfant à domicile, divorcée, 4 enfants, entretien juin 2013, membre Ligue Ville A.

171 Gilbert, 60 ans, cancer du plancher buccal, soudeur, divorcé, 2 enfants, entretien août 2015. 172

Marguerite, 68 ans, cancer du pancréas, caissière et agent d’entretien, divorcée, deux enfants, entretien novembre 2014, membre association mots pour maux.

Pierre-Marie dont nous avons présenté le cas précédemment qui nous explique que le « petit bouton sur la langue » a grossi, grossi, jusqu’à le gêner pour s’alimenter et pour parler.

Si le dysfonctionnement organique a été remarqué, il n’a pas été jugé préoccupant mais, au contraire, comme un événement bénin ou, tout du moins, ne justifiant pas un recours médical. Les soignés ont, d’abord, attendu que « ça passe », sans envisager de recourir à un médecin. Robert qui, en premier lieu, a pensé à un « rhume » ou à une « grippe » nous explique qu’il a « laissé traîner pendant 2 mois ». Christiane173, quant à elle, qui a présenté des saignements rectaux à partir du mois de mai 2005 a pensé à des hémorroïdes et n’a consulté qu’en septembre de la même année.

Afin que ces dysfonctionnements cessent, ces soignés sont nombreux à avoir, tout d’abord, mis en œuvre des pratiques d’automédication. Ils ont, d’abord, essayé de gérer par eux-mêmes la situation. Robert174 nous explique ainsi que, dans un premier temps, il a pris des « cachets » pour « aider à passer » : « je prenais des dolipranes, je buvais même du miel et tout pour aider à passer ». Véronique175, qui a eu « comme un aphte en dessous de la langue » mentionne avoir d’abord fait des bains de bouche. Elle n’a consulté son médecin que 3 mois plus tard. Bernard176, dont le dossier a été traité en RCP et dont le cancer a été diagnostiqué parce qu’il avait « mal à l’oreille et dans le cou », souligne avoir « mis [pendant] longtemps des gouttes dans l’oreille ». Enfin, Monique177

qui évoque « une sorte de bouton rouge » sur le sein et a d’abord pensé à une piqûre d’insecte, a appliqué durant quelque temps de la « pommade ». L’automédication consiste à « faire devant la perception d’un trouble de santé, un autodiagnostic et à se traiter sans un avis médical ; la décision thérapeutique [pouvant- être] médicamenteuse ou autre » (Lecomte, 1999, p. 30). Ces soignés ne sont donc pas restés inactifs face à leurs symptômes mais ont mobilisé des pratiques de soins profanes. Autrement dit, ils ont d’abord cherché à apporter une solution personnelle à leurs troubles avant de se tourner vers un médecin. Antoine Rode qui a réalisé une thèse sur le non-recours aux soins des populations précaires (2010), a également été amené à observer la prégnance de ces pratiques d’automédication qui ont fait l’objet de descriptions « longues et diverses » et apparaissent, chez ses enquêtés, comme une « réponse privilégiée » face à un symptôme

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Christiane, 60 ans, cancer du colon-rectum, garde à d’enfant à domicile, divorcée, 4 enfants, entretien juin 2013, membre Ligue Ville A.

174 Robert, 57 ans, cancer de la cavité buccale, agent d’entretien, célibataire, 1 enfant, entretien juillet 2015. 175 Véronique, 51 ans, cancer VADS, agent d’entretien, célibataire, 1 enfant, entretien février 2016. 176

Bernard, 70 ans, cancer de l’hypopharynx, boulanger, marié, RCP juillet 2015.

ressenti (ibid., p. 307). Pour l’auteur, si pour certains elles prennent « le sens d’un évitement du système de soins, [elles reposent] principalement sur la valorisation d’une norme d’autonomie à l’égard de la santé » (ibid., p. 307). Le recours à l’automédication est une modalité de réponse à un symptôme qui permet de contourner les difficultés parfois rencontrées dans le rapport au système de soins, telles que par exemple leur coût financier (ibid., p. 372). Toutefois, si elle représente une alternative au recours médical, elle n’est que partielle. Il s’agit, en effet, d’une première réponse qui, si elle se révèle inefficace, conduira à un recours médical. « L’hypothèse de consulter un médecin n’est pas abandonnée mais elle n’est envisagée que quand l’automédication ne “marche” pas, quand on n’arrive pas “gérer” » (ibid., p. 381).

On retiendra donc que, même s’ils présentent un retard aux soins, ces soignés ne sont pas restés passifs face à leur symptomatologie. Ils sont nombreux à avoir, d’abord, mobilisé des pratiques de soins profanes qui reposent principalement sur « la valorisation de la norme d’autonomie dans la gestion de la santé » et renvoient à la figure de « l’auto-soignant ». Ainsi, « il ne s’agit donc pas d’un refus de se soigner, ni même d’une opposition aux médecins » (ibid., p. 385) et ne pas recourir immédiatement à un médecin ne signifie pas que rien n’a été fait, ni même que ces soignés n’accordent aucune importance à leur santé, ce que nous développerons par la suite. Ces pratiques participent à retarder la consultation médicale et témoignent d’un rapport spécifique au système de soins, où le recours à un médecin est réservé aux cas les plus graves.

2.2 - Des pratiques ancrées de non-recours

Pour certains, recourir à la médecine n’est pas une pratique usuelle. Véronique178 nous