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Si, à l’instar de Marie Ménoret (Ménoret, 1997), j’ai décidé de ne cibler aucune localisation cancéreuse spécifique et de favoriser une approche en termes de trajectoire, dans les faits, une part essentielle de mes enquêtés a été touchée par un cancer du sein ou un cancer des VADS. Plus d’un tiers des soignés rencontrés en entretien avaient un cancer du sein (13 sur 35) et la même proportion un cancer des VADS (14 sur 35). De même, toutes les personnes rencontrées dans le contexte des consultations et des RCP avaient l’une ou l’autre de ces localisations. Enfin, dans les groupes de parole observés plus des deux tiers des participants avaient un cancer du sein (21 sur 30 localisations connues). Ces deux localisations présentent certaines spécificités qu’il me semble, par conséquent, nécessaire de présenter.

Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. Avec 54 062 nouveaux cas estimés en 2015, il représente 31% de l’incidence des cancers chez la femme et se positionne devant le cancer du côlon-rectum (19 533 cas) et celui du poumon (14 821 cas).

Ce cancer constitue la première cause de mortalité féminine par cancer (11 913 décès, soit 18% des décès par cancer féminin), suivi de près par le cancer du poumon (9 565 décès) et le cancer colorectal (8 496 décès) (INCa, 2016).

Une étude menée sur 5 registres français, incluant 1 150 femmes88 a démontré l’existence de différences de stade de diagnostic et de chances de survie en fonction de la catégorie socio- professionnelle. Ainsi, alors qu’une femme issue des « cadres et professions intermédiaires » a 83% de chance d’être encore en vie 7 ans après son diagnostic, ce n’est le cas que de 69% des femmes « agriculteurs, artisans, travailleurs manuels, chômeurs » (Gentil-Brevet & al., 2008).

Tableau 2 - Survie et stade au diagnostic du cancer du sein

Probabilité de dépistage au stade 1 versus 2, 3 ou 4 Survie à 5 ans Survie à 7 ans Cadres et professions intermédiaires 1,4 88% 83%

Agriculteurs, artisans, travailleurs manuels, chômeurs

1 77% 69%

Source : Gentil-Brevet et al., 2008, p. 217-224

Le cancer du sein présente une situation spécifique puisque les femmes ayant une situation sociale élevée ont à la fois les taux d’incidence les plus élevés et la meilleure survie. Pratiquement toutes les études publiées retrouvent ainsi un risque de décès augmenté de 30 à 50 % pour les classes sociales défavorisées (Vogel, 2010). En France, pour la période 1990- 1999, l’indice relatif d’inégalités (IRI) chez les femmes, pour le cancer du sein, a été établi à 1,19 (Menvielle & al., 2008b). Les inégalités sociales de mortalité combinent donc deux situations opposées, les femmes ayant une faible situation sociale étant favorisées pour l’incidence, mais défavorisées pour la mortalité (Menvielle, Leclerc, Chastang & Luce, 2008)89.

Le cancer du sein présente ainsi une situation spécifique qui le rend particulièrement intéressant en matière d’inégalités sociales. Il est, en effet, l’un des rares à frapper plus souvent les catégories supérieures, néanmoins ce sont, malgré tout, les classes populaires qui en payent le plus « lourd tribut » (Aïach, 2004).

88 Diagnostiquées d’un cancer du sein entre 1995-1997 et suivies jusqu’en 2006. 89

Le cancer du sein est une maladie multifactorielle, toutefois les résultats observés pour l’incidence sont principalement expliqués par la distribution sociale de l’âge de la première grossesse et du nombre de grossesses. Les femmes ayant une situation sociale défavorisée ont eu, en moyenne, leurs grossesses plus tôt et plus d’enfants, deux facteurs considérés comme « protecteurs » pour le cancer du sein (Menvielle, Leclerc, Chastang & Luce, 2008).

Les cancers des VADS présentent une situation tout aussi intéressante et radicalement contrastante90. Concernant cette localisation, la difficulté est celle de l’absence d’une définition standardisée, en particulier en ce qui concerne la cavité « buccale » ou « orale ». La définition des cancers relevant de la « cavité buccale » varie en fonction des études91. Par conséquent, il sera parfois question des cancers des « VADS » (cavité buccale, pharynx, larynx et cavités nasosinusiennes), des cancers de la « tête et du cou » (langue, cavité orale, oropharynx, nasopharynx, hypopharynx) et du larynx considéré séparément ou encore, parfois, des « cancers de la lèvre, de la cavité orale et du pharynx ».

Les cancers des VADS se situent, chez l’homme, au 6éme rang des cancers les plus fréquents. Chez la femme, ils se placent au 10éme rang en termes d’incidence (INCa, 2016). L’INCa estime à 11 610 le nombre de nouveaux cas en 2015 en France métropolitaine (8 010 hommes et 3 600 femmes), ce qui représente 3 % de l’incidence des cancers (3,1 % chez l’homme et 2,1 % chez la femme) (INCa, 2016).

Les cancers des VADS sont, quant à eux, bien plus fréquents en termes d’incidence dans les classes populaires. S’il existe des disparités sociales face à l’incidence des cancers, ces derniers sont ceux pour lesquels le lien entre le statut socio-économique et l’incidence est le plus fort. Une étude a chiffré ce surplus d’incidence dans les catégories défavorisées à +26% pour les cancers « lèvres-bouche-pharynx » et +23,2% pour les cancers du larynx chez l’homme, ainsi qu’à +12,7% pour les cancers « lèvres-bouche-pharynx » chez les femmes (Bryere & al., 2014).

90

Ces cancers regroupent une grande diversité de tumeurs et de localisations. Ils touchent à la cavité buccale, au pharynx, au larynx et aux cavités nasosinusiennes. Les cancers épidermoïdes du larynx, de l’hypopharynx, de la cavité buccale et de l’oropharynx représentent, en France, plus de 90 % des cancers des VADS (HAS, 2009). 91 Différents termes sont rencontrés dans la littérature, notamment épidémiologique, tels que « oral cancer », « cancer of the oral cavity », « mouth cancer » et les sites inclus dans la définition des cas diffèrent d’un auteur à un autre (Radoi, 2013). Ainsi « la lèvre externe, certaines structures de l’oropharynx (amygdale, piliers

amygdaliens), voire l’oropharynx en entier, les glandes salivaires principales (parotides, submandibulaires et sublinguales) sont souvent incluses dans la définition des cas de cancer de la cavité orale ».

Néanmoins, certaines études s’arrêtent « à une définition plus limitée des cancers de la cavité orale excluant les

cancers des lèvres externes et des commissures buccales, les cancers de la langue, des amygdales linguales et du palais mou considérés comme appartenant à l’oropharynx » (Radoi, 2013, p. 22). Ce manque d’uniformité a

deux explications. D’une part, la combinaison de sites permet d’éliminer l’incertitude portant parfois sur la localisation primaire de la tumeur - en effet, les cancers VADS étant souvent diagnostiqués tardivement il est courant que plusieurs sites anatomiques soient touchés, d’autre part cela permet d’augmenter le nombre de cas inclus et, par là même, la « puissance statistique » de l’étude. Néanmoins, cette façon de procéder pose problème car des cancers ayant des caractéristiques biologiques et épidémiologiques différentes sont regroupés ce qui contribue à masquer certaines de leurs spécificités (Radoi, 2013).

Le pronostic de survie est variable selon la localisation. Il est mauvais pour les cancers de la « tête et du cou » (langue, cavité orale, oropharynx, nasopharynx, hypopharynx) qui affichent une survie nette de 37% à 5 ans et de 21% à 10 ans, pour la période 2005-2010. La survie est meilleure chez les femmes que chez les hommes92 (Cowpppli-Bony, 2016).

Concernant les cancers du larynx, le pronostic est intermédiaire. Les survies nettes à 5 ans (2005-2010) et à 10 ans (1989-2010) sont respectivement de 56% et de 41%. Enfin, concernant le cancer de la lèvre (localisation spécifique incluse dans la « cavité buccale ») le pronostic est bon : les survies nettes à 5 ans (2005-2010) et à 10 ans (1989-2010) sont, en effet, respectivement de 83% et 84% (Cowpppli-Bony, 2016).

Enfin, les cancers des VADS occupent une position très spécifique en ce qui concerne les inégalités sociales face au cancer. Si de fortes inégalités sociales d’incidence et de mortalité existent face au cancer avec un risque de décéder 2,5 fois plus élevé chez les personnes avec un niveau d’étude faible par rapport aux plus diplômées (L’observatoire des cancers, 2014), les écarts sont bien plus marqués en ce qui concerne cette localisation. Ils ont, en effet, une importance majeure dans les inégalités sociales de mortalité par cancer en France.

Toutes localisations confondues, l’indice relatif d’inégalités (IRI)93 est de 1,9 pour les hommes et de 1,3 pour les femmes. Celui-ci est particulièrement élevé pour les cancers des VADS : 4,30 pour les hommes et 4,41 pour les femmes (Menvielle & al., 2008b). Une étude réalisée par Gwenn Menvielle montre qu’au cours de quatre périodes de suivi94, ces cancers représentent entre 30 et 40 % des décès par cancer en excès observés parmi les hommes sans diplôme par rapport à ceux ayant un diplôme supérieur ou égal au Baccalauréat (Menvielle, Leclerc, Chastang, Luce, 2008).

Tableau 3 - Indice relatif d’inégalités (IRI) pour la mortalité tous cancers et par cancer VADS en fonction de la période (hommes)

1968-1974 1975-1981 1982-1988 1990-1996

Tous cancers 1,52 2,12 2,20 2,29

Cancers VADS 2,30 3,45 6,06 4,38

Source : Menvielle, Leclerc, Chastang, Luce, 2008, p. 291

92 74% versus 67% concernant la survie nette à 1 an, 49% versus 34% pour la survie nette à 5 ans et enfin 36% versus 17% pour la survie nette à 10 ans (pour les cas diagnostiqués sur la période 1989-2010) (Cowpppli-Bony, 2016).

93

pour la période 1990-1999.

Plus récemment, pour la période entre 1999 et 2007, il apparaît que l’IRI en fonction du niveau d’études est revenu chez les hommes à 6, soit au même niveau que pour la période 1982-1988. Par ailleurs, la même tendance s’amorce chez les femmes : l’indice d’inégalité passe, en effet, de 2 à 3 entre 1990-1996 et 1999-2007 (Grünfeld, 2010, p.49).

Ainsi, les cancers des VADS sont les plus grands contributeurs aux inégalités sociales de mortalité par cancer en France, chez les hommes comme chez les femmes. Ils se positionnent devant le cancer du poumon chez les hommes (qui présente un IRI de 2,9, soit bien en deçà) et le cancer colorectal chez la femme (qui présente un IRI de 2,1) (Menvielle, 2013). À la lumière de ces éléments, les cancers des VADS se révèlent donc particulièrement intéressants dans le cadre de notre problématique. Ils jouent, en effet, un rôle central dans les inégalités sociales de mortalité par cancer en France et, plus encore, dans la région Nord–Pas-de-Calais qui présente une incidence et une mortalité par cancer des VADS largement supérieures à la moyenne nationale95.