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Quelques opérateurs classiques du discours sur la pratique

L'HERITAGE DES DISCOURS SUR LA PRATIQUE

1. Quelques opérateurs classiques du discours sur la pratique

Dans un plaidoyer pour « la philosophie comme opération »28 que nous allons lire, en guise d'introduction à notre problème, comme un essai condensé de cartographie de la question de la pratique en philosophie, Pierre Macherey montre que le problème de la pratique a longtemps été redevable d'un opérateur aristotélicien, analogue en un sens à celui décelé par Foucault à propos de la connaissance dans la leçon du 9 décembre 1970. Cet opérateur se trouve notamment dans les textes de l'Éthique à Nicomaque consacrés à la

praxis, que l'on peut définir comme une activité inopérante et intransitive, ayant sa fin en

elle-même. Le concept de praxis n'a pu acquérir une hégémonie dans l'ordre du discours que par dépréciation du concept de poièsis, qui dénote une activité productive, intransitive et impure, qui a sa fin hors d'elle-même. Macherey montre qu'Aristote systématise un thème culturel qui court dans toute l'Antiquité classique consistant à valoriser le fait de « vivre sa pratique » comme « rapport à soi dont rien ne doit altérer la pureté ni limiter la profondeur »29. Contrairement à la poièsis, qui maintient ses éléments constitutifs séparés, la praxis est une

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M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p. 19

28 Pierre Macherey, « La philosophie comme opération », Histoires de dinosaure. Faire de la philosophie,

1965-1997, PUF, 1999, p. 139-161

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activité intégrative que l'on peut penser, sous ce rapport ontologique, par analogie avec la vie au sens large, qui « est action et non production »30 (sans que cela implique aucun réductionnisme biologisant pour la pratique humaine). C'est sur ce point qu'Aristote fonde, on le sait, le discrimen anthropologique et politique entre ceux qui servent l'action en tant qu'instruments animés de production (les exécutants), et ceux qui (les hommes libres) vivent pleinement leur vie d'hommes vraiment hommes : une vie finalisée par une totalisation harmonieuse d'actions délibérées. Si la praxis, en tant qu'activité intransitive (energeia), caractérise le vivant en général (y compris donc dans sa dimension non délibérative), la praxis spécifiquement humaine trouve quant à elle à s'accomplir dans une activité « dont la vocation est essentiellement théorique, puisqu'elle garantit un rapport à la vérité qui constitue le fondement de tout savoir authentique »31. Macherey montre ainsi qu'il n'y a pas lieu de poser une opposition abstraite entre praxis et théorie, puisque du point de vue de l'intransitivité qui

la caractérise, c'est du côté de la théorie que la praxis trouve le mieux à s'accomplir. On peut

lire ainsi, dans le livre X de l'Ethique à Nicomaque, que la théorie est « la seule activité à laquelle on tienne pour elle-même. On n'en tire en effet rien, hors le bénéfice de méditer, tandis que des activités liées à l'action, nous tirons avantage, tantôt plus, tantôt moins, en dehors de l'action »32.

Outre le fait de s'accomplir comme activité théorétique, la praxis est le nom d'une « pratique sans objet », d'une pratique pure qui s'identifie absolument avec l'excellence et l'intention de son sujet – ce dont témoigne, du reste, la tripartition aristotélicienne de l'action en délibération, décision et accomplissement. L'opérateur philosophique auquel renvoie ici le problème de la pratique ne repose pas sur une alternative abstraite entre théorie et pratique, ou entre vie contemplative et vie active, mais sur un clivage interne à l'idée de pratique

elle-même, selon qu'on la pense comme praxis intransitive et essentiellement subjective, ou

comme opération transitive compromise dans ses effets, et astreinte à des conditions objectives et matérielles dont elle a à répondre. La disjonction praxis/poiesis l'atteste : la pratique est le nom d'un concept polémique et opératoire, dont la compréhension et l'extension ne se définissent que par exclusion ou dépréciation d'un concept antagonique. Du même coup, il n'y a pas lieu pour la philosophie de choisir son camp pour ou contre la pratique, puisque la pratique est toujours déjà « l'occasion d'un choix crucial pour la

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Aristote, Les Politiques, I, 4, 1353b-5

31 P. Macherey, Histoires de dinosaure, op. cit., p. 141.

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philosophie »33, dont elle constitue comme l'assise ultime et incontournable ou, pour utiliser une métaphore wittgensteinienne, le sol raboteux en-deçà duquel le discours ne peut plus remonter.

A contrario, Macherey plaide pour une réhabilitation du modèle de la production, et plus précisément, pour un primat de ce qu'il appelle l'opération, qu'il qualifie aussi de « pratique objective ». Cela n'implique pas que la pratique soit asservie à une objectivité préconstituée, ni qu'elle exclue toute subjectivité de son déroulement. Si l'opération désigne un « procès sans sujet », c'est au sens où « ici le procès est à soi-même son propre sujet »34. L'opération ne préfigure pas un sujet privilégié pour la pratique – un « sujet-substance » ou encore un « sujet sans procès », elle fait advenir ce sujet comme effet dans un processus assimilable à un travail, à une technique de production. C'est ainsi que

La philosophie est pratique de soi, dans tous ses secteurs d'intervention, dans la mesure où elle remet en question les limites à l'intérieur desquelles ces activités s'exécutent, et effectue sa puissance en découvrant, en révélant le caractère illimité de ses processus35.

L'opération relève à la fois de la « pratique de soi », expression que Macherey reprend implicitement à Foucault, et du « processus », concept qui, dans le texte, renvoie explicitement à Hegel. Ce couplage entre Foucault et Hegel permet à Macherey de produire ce concept original d'opération, à rebours du schème de la praxis. Mais il n'en laisse pas moins ouverte la question d'une compatibilité ou d'une commensurablité possible entre deux types

d'intelligibilité à propos de la pratique. La distinction n'est plus entre la praxis et la poièsis,

mais, au sein de l'opération (ou de la production) elle-même, entre : (i) une activité processuelle et historique, qui finit par s'attester à elle-même comme conscience de soi au terme d'un parcours – on reconnaît là la position hégélienne ; (ii) une pratique qui produit un sujet ou un « soi » comme effet immédiat d'elle-même, sans que cette production implique un parcours processuel, ni un retour à l'idée classique de praxis – ce qu'il nous faudra interroger chez Foucault.

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P. Macherey, Histoires de dinosaure, op. cit., p. 142. Ainsi par exemple, dès lors qu'on le réenvisage du point de vue de ce choix crucial entre pratique pure et pratique impure, le motif kantien d'une raison pure pratique témoigne d'une incontestable filiation à l'égard du concept classique de praxis, puisqu'il s'agit encore, chez Kant, d'affirmer une co-appartenance ou un « bouclage » (pour reprendre l'expression de Foucault à propos d'Aristote) de la pratique sur le sujet autonome.

34 P. Macherey, Histoires de dinosaure, op. cit., p. 147.

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On sait que pour Hegel, l'intelligibilité réside dans un travail dialectique du négatif jalonné de médiations et de contradictions internes. L'opération processuelle ne résout pas a priori le problème de l'union entre théorie et pratique, ni celui des rapports entre sujet et objet ; elle les expose à un devenir contradictoire fait de détours et de détournements. Ce procès sans fin assignable n'en a pas moins sa nécessité propre, qui n'est autre que la double aventure du sujet et de l'objet que le processus dialectique rend possible – et dont la

Phénoménologie de l'Esprit s'emploie à retracer l'expérience36. On serait bien en peine en revanche de trouver un tel travail du négatif et de la médiation chez Foucault. Si comme chez Hegel, l'histoire est pour Foucault le plan d'explicitation des pratiques, elle n'a pas la dimension d'un processus dialectique où le négatif serait mis au travail. Dans la préface à la première édition (de 1961) de l'Histoire de la folie, Foucault affirme que toute histoire d'une culture et des « pratiques divisantes »37 par lesquelles elle se définit est comme reconduite, à ses « confins », à une négativité inaugurale et tragique qui interrompt son cours processuel sans jamais y prendre part. L'histoire n'est donc possible « que sur fond d'une absence d'histoire » : « Le grand œuvre de l'histoire du monde est ineffaçablement accompagné d'une absence d'œuvre, qui se renouvelle à chaque instant, mais qui court inaltérée en son inévitable vide tout au long de l'histoire »38.

L' « histoire du monde » est d'abord un concept hégélien tiré des Principes de la

philosophie du droit qui exprime le processus d’auto-explicitation de l’Esprit. L'Esprit, c'est

en un sens le nom de l'opération (au sens de Macherey) portée à un niveau supérieur de réintériorisation du sens, à un niveau où elle « opère » en explicitant spéculativement la précarité ontologique de ses propres productions finies et mondaines39. L’Esprit, mouvement spéculatif de recollection du sens, renie ses propres traces ou « œuvres » comprises dans leur dimension empirique (même si, anachronique par principe, il arrive toujours trop tard pour une perspective finie et mondaine). Le discours dialectique procède dans son mouvement spéculatif d’explicitation à un émondage de l'inessentiel. Si Foucault reprend l'expression d'histoire du monde à Hegel, c'est en un tout autre sens, puisqu'il sépare ce qui fait œuvre et ce qui ne fait pas œuvre, sans que cette dualité puisse être dialectiquement convertie à un niveau

36 Cf. Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, introduction, trad. Hyppolite, Aubier t. 1, p. 75 : « Ce mouvement

dialectique que la conscience exerce en elle-même, en son savoir aussi bien qu’en son objet, en tant que devant elle le nouvel objet vrai jaillit, est proprement ce qu’on appelle expérience ».

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Foucault utilise cette expression dans « Le sujet et le pouvoir », Dits et écrits, t. II, op. cit., p. 1042 : « Dans la deuxième partie de mon travail, j'ai étudié l'objectivation du sujet dans ce que j'appellerai les ''pratiques divisantes''. Le sujet est soit divisé à l'intérieur de lui-même, soit divisé des autres. Ce processus fait de lui un objet ».

38 M. Foucault, « Préface », Dits et écrits, tome I, op. cit., n° 4, p. 191

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Je reprends sur ce point les analyses décisives de Gérard Lebrun dans L'envers de la dialectique. Hegel à la

supérieur de l'opération. Ce qui fait œuvre dans l'histoire, c'est ce qui y « opère » au sens fort, c'est-à-dire ce qui y produit des effets tangibles susceptibles d'être reconnus et de rentrer dans des relations pratiques de discours, de pouvoir, de réciprocité. Inversement, ce qui ne fait pas œuvre, ou ce qui se traduit comme « absence d'œuvre », ce sont des pratiques dont les effets, non reconnus comme tels, ne s'insèrent pas dans le jeu des relations pratiques en position d'hégémonie à une époque donnée. Dans une optique hégélienne, poser une telle scission, c'est en rester au point de vue abstrait de l'entendement séparateur, qui reste comme fasciné par sa rencontre avec l'obstacle, sans voir que cette rencontre est déjà en elle-même une promesse de conciliation, où en passant l’un dans l’autre, chaque opposé engendrera un nouveau contenu qui explicitera l’inconsistance ontologique de l’opposition que l’on prenait au sérieux au départ. Chez Foucault en revanche, la facticité de l'opposition comme telle n'est pas effacée ni réintériorisée : elle demeure dialectiquement inconvertible. Il nous faudra du même coup assumer le fait que les pratiques sont toujours déjà prises dans des jeux d'opposition non totalisables ni dépassables dans une trame processuelle qui attesteraient de leur inessentialité.

En dépit de ce rejet du processus dialectique comme plan supérieur d'explicitation, c'est pourtant bien la production, ou l'horizon poiétique, qui constitue chez Foucault, de bout en bout, le schème d'intelligibilité de la pratique. Le schème de la production est explicitement formulé dans la thèse générale selon laquelle le pouvoir produit plutôt qu'il ne réprime :

Il faut cesser de toujours décrire les effets de pouvoir en termes négatifs : il « exclut », il « réprime », il « refoule », il « censure », il « abstrait », il « masque », il « cache ». En fait le pouvoir produit ; il produit du réel ; il produit des domaines d'objets et des rituels de vérité. L'individu et la connaissance qu'on peut en prendre relèvent de cette production.40

Non pas que les opérations négatives (principalement juridiques et idéologiques) n'aient aucune incidence concrète sur les individus ; elles sont simplement inadéquates en tant que schèmes d'intelligibilité des pratiques, que Foucault n'envisage que du point de vue de leurs effets « opérés ». Du coup, il faudra réenvisager l'efficience d'instances négatives (comme la loi qui réprime ou l'idéologie qui masque) sous l'orbe de ce que les pratiques produisent comme types d'effets concrets : aussi bien des manières de faire cohérentes et

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individualisées que des découpages du réel en « domaines d'objets ». On retrouvera ce schème de la production dans les recherches finales sur la subjectivation, en particulier dans

L'herméneutique du sujet, où Foucault reprend un « mot très intéressant » à Plutarque et à

Denys d'Halicarnasse, celui d'ethopoiesis41, dont il fait un programme de recherche à part entière : il s'agit alors d'expliciter sous l'orbe de la production des pratiques de soi anciennes qui se pensaient plutôt traditionnellement sous l'orbe de la praxis intransitive. On assiste alors à un décentrement à l'égard de l'opérateur philosophique classique de praxis (et de la manière dont il fonctionnait chez les Grecs) au nom d'une analytique plus large des techniques « ethopoiétiques » de soi.

En prenant pour fil conducteur le texte de Macherey sur l'opération, cette première cartographie nous a permis de mieux cerner notre problème : l'intelligibilité non pas de l'action comme telle, mais de la pratique en tant que production. Qu'est-ce-à-dire ? Que l'action n'est intelligible que du point de vue de ses produits, de ses effets objectifs, et qu'en elle-même, en tant que « cheminement auto-modifiant du sujet »42, elle n'est pas vraiment l'action, de sorte que même le sujet de l'action soit à comprendre comme un effet produit par l'action elle-même ; qu'il soit en somme traité comme un objet, comme les autres objets, et non pas comme un ordre de réalité à part soustrait à l'ordre des effets produits, tanquam

imperium in imperio, pour reprendre la formule spinoziste qu'affectionne Macherey. Cette

démarche privilégie la pratique à l'action en tant que telle, ainsi que le souligne Jean-Michel Salanskis à la fin de son ouvrage Modèles et pensées de l'action. Salanskis justifie a contrario sa propre approche43 par rapport à celle de Macherey : une approche selon laquelle l'issue matérielle de l'action, bien que nécessaire, n'est pas un critère déterminant pour son intelligibilité : « Toute individuation de l'action comme telle se joue dans la structure […] de l'impulsion résultative en laquelle un suppôt s'implique et se rassemble »44. Le concept d'impulsion résultative dénote une continuité entre résultat, impulsion et suppôt de l'action. L'accent est ainsi mis sur le sujet de l'action – terme dont l'étymologie (hypo-keimenon,

sub-jectum/sup-positum) nous renvoie bien à l'idée de suppôt. Salanskis voit dans la perspective

de Macherey l'indice d'une tendance de la pensée contemporaine à une forme d'« actionnisme » (il faudrait plutôt dire : de « praticisme ») hérité de Hegel et de Marx, selon

41 M. Foucault, L'herméneutique du sujet. Cours au Collège de France, 1981-1982, Seuil/Gallimard, 2001, p. 227

42

Jean-Michel Salanskis, Modèles et pensées de l'action, L'Harmattan, 2000, p. 223

43 Une approche qui emprunte autant aux traditions « analytique » (Davidson, Kenny, von Wright) que « continentales » (Husserl, Merleau-Ponty, Ricœur).

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laquelle « la pratique médiatise en quelque sorte la fluence du devenir pour nous. De sorte que, reconduire toutes choses de ce monde à la pratique, c'est les renvoyer à leur support matériel, à la seule hylè dont elles se tissent »45.

Il est clair que c'est cette perspective de la pratique plutôt que celle de l'action qui sera à l'horizon de cette recherche, en tant qu'elle semble être un problème commun à Sartre et à Foucault46. La question du sujet-suppôt de l'action, impliqué et rassemblé dans son impulsion résultative, ne sera pas cependant absente de notre propos, mais loin d'en faire le dernier mot,

nous ne la considérerons que comme un moment de l'intelligibilité de la pratique : ainsi, chez

Foucault le moment d'épreuve du soi, de l'institution d'un rapport à soi qu'implique toute conduite dans son rapport à des codes ; ou chez Sartre, le moment du projet intentionnel, appelant une compréhension située. Pour décisives qu'elles soient, ces deux modalités épistémiques de l'épreuve et du projet n'épuisent pas l'intelligibilité de la pratique objective, comme « ensemble pratique » enveloppant l'agent et ses déterminations.

Nous allons examiner dans quelle mesure le schème de la production peut nous fournir l'intelligibilité de cette pratique objective. Ce faisant, il nous faut poursuivre le travail de cartographie en nous demandant, outre la référence hégélienne mise en avant par Macherey, de quels autres opérateurs philosophiques la conception de la pratique comme production est redevable. Comme nous l'avons indiqué en introduction, c'est vers Marx que nous allons nous tourner. Si la référence à Marx s'impose tout naturellement en ce qui concerne Sartre, elle n'en est pas moins décisive également pour saisir l'approche foucaldienne de la pratique.

2. Les concepts de la pratique après Marx

L'enjeu ici n'est pas de proposer une lecture interne de l'idée de pratique au sein de l'œuvre de Marx, mais plutôt de dégager la manière dont certains énoncés célèbres de Marx ont pu fonctionner après Marx comme opérateurs philosophiques, en configurant un régime de discours dont participe non seulement le marxisme compris dans ses différentes tendances, mais également des discours extérieurs au marxisme proprement dit. Il ne s'agit pas, donc, de

45 J.-M. Salanskis, Modèles et pensées de l'action, op. cit., p. 228

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L'idée de praxis chez Sartre implique, à partir de la Critique de la raison dialectique jusqu'à L'idiot de la

famille, tout un infléchissement d'une problématique de l'action – dont on peut se demander si elle répond ou non

aux critères, avancés ici par Salanskis, du suppôt impliqué-rassemblé dans une impulsion résultative – à une problématique de la pratique, conçue comme « totalisation en cours » ou, pour le dire dans les termes de Salanskis à propos de Macherey, comme médiation de « la fluence du devenir pour nous ».

proposer une énumération exhaustive des opérateurs philosophiques qu'on peut trouver chez Marx, mais simplement d'en pointer quelques uns que nous verrons ressurgir ensuite au cours de notre enquête comme points de litige autour desquels s'est posé le problème de la pratique dans les années 1960. On peut relever l'énoncé de L'Idéologie allemande selon lequel les hommes produisent leurs moyens d'existence et, partant, « produisent indirectement leur vie matérielle elle-même »47 ; également, le début du 18 Brumaire de Louis Bonaparte : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de toutes pièces, dans des circonstances qu'ils auraient eux-mêmes choisies, mais dans des circonstances qu'ils trouvent immédiatement préétablies, données et héritées »48 ; ou encore, les Thèses sur Feuerbach, en particulier les célèbres Huitième et Onzième Thèses : « Toute la vie sociale est essentiellement

pratique. Tous les mystères qui incitent la théorie au mysticisme trouvent leur solution

rationnelle dans la praxis humaine et dans la compréhension de cette praxis » / « Les philosophes ont seulement interprété le monde de diverses manières, ce qui compte c'est de le transformer »49. Penchons-nous d'abord sur ces deux Thèses : on notera qu'indépendamment de la place qu'elles occupent dans l'ensemble des onze Thèses, et plus généralement dans la pensée de Marx, elles ont accrédité l'idée que la pratique n'est pas qu'un objet de recherche extérieur à la philosophie, qui ne serait que matière à « interprétation ». La pratique concerne de près la philosophie, sommée, dès lors qu'elle postule un « primat de la pratique », de s'envisager elle-même comme une pratique. La philosophie comme pratique ne peut trouver le